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Les racines de la crise

Mardi 22 janvier 2008, par Michel Husson

La crise immobilière est en train de se transformer en crise bancaire et en crise tout court. Les banques ont fabriqué des pochettes surprises (la « titrisation ») en y plaçant des créances douteuses, et particulièrement les dettes des ménages pauvres américains (les subprimes) escroqués par des contrats trompeurs. Leur faillite a entraîné une perte de confiance généralisée sur la valeur de ces titres dont personne ne connaît vraiment la composition. Tout cela est évidemment le résultat de la soif inextinguible d’une finance déchaînée.

Mais qu’est-ce qui a permis, au fond, ce phénomène de la financiarisation ? Si on essaie de suivre le conseil de Marx de ne pas s’en tenir à l’apparence des choses, la réponse se trouve dans la baisse universelle de la part salariale. A peu près partout dans le monde, la part des richesses qui revient aux travailleurs (qui les ont produites) baisse depuis au moins 20 ans. C’est un fait établi et reconnu aussi bien par le FMI que par la Commission européenne [1]. Quel rapport avec la finance ? Il est le suivant : cette plus-value qui augmente plus vite que le revenu national n’est pas plus investie qu’avant, et la contrepartie de la baisse de la part salariale est donc une croissance rapide de la plus-value non accumulée. Que devient-elle ? Elle est distribuée à une mince couche de possédants et de pseudo-salariés à la recherche de placements qui pourront à nouveau la faire fructifier. D’où une énorme surabondance de liquidités et de capitaux financiers qui revendiquent des rendements toujours plus extravagants.

Au bout d’un certain temps, la finance s’autonomise, autrement dit se développe selon sa propre « logique » Elle oublie que le volume de valeur disponible dépend du degré d’exploitation et que celui-ci ne peut pas, malgré les efforts des possédants, croître de manière exponentielle. Les crises financières sont donc autant de rappels périodiques de cette loi de la valeur. Après les illusions de la « nouvelle économie », ce sont les illusions des nouveaux produits financiers qui viennent de s’envoler dans la fumée des pertes bancaires.

Les recommandations prônant une meilleure gouvernance, une plus grande transparence, etc. sont donc sans commune mesure avec les délires inventifs d’une finance délibérément placée hors de tout contrôle. Quant aux banques centrales, elles n’hésitent pas à freiner l’économie en augmentant les taux d’intérêt chaque fois que pointe la menace d’une augmentation « excessive » des salaires. Pas de pitié alors pour les prolétaires ! Mais quand survient un risque de crise financière, elles n’hésitent pas un instant à injecter des masses énormes de liquidités pour tirer d’affaire les banques en difficulté. Deux poids, deux mesures : les banques centrales sont bien des instruments de gestion des intérêts des possédants.

La nature de classe des phénomènes à l’oeuvre devrait sauter aux yeux : l’argent que les possédants jouent dans ce gigantesque casino, c’est celui qui a été extorqué, au-delà de toute mesure, aux salariés du monde entier. Mais ce sont eux aussi qui vont payer les pots cassés : pour éponger les pertes, il va falloir assainir l’économie sur leur dos en freinant la croissance, en augmentant les taux d’intérêt, et en prenant prétexte des perturbations actuelles de l’économie mondiale pour baisser encore les salaires du plus grand nombre.

Le capitalisme est ainsi entré dans une nouvelle zone de tempêtes car le fragile équilibre de l’économie mondiale est aujourd’hui au bord de la rupture. Les Etats-Unis peuvent difficilement faire financer par le reste du monde un déficit commercial abyssal ou espérer le réduire grâce à la chute sans fin du dollar, sans que cela fasse éclater les tensions croissantes avec la Chine et l’Europe.

Nous sommes ici confrontés aux dérives d’un « pur capitalisme » délivré de ses chaînes, capable d’imposer une croissance ininterrompue du taux d’exploitation. Mais c’est en même temps son talon d’Achille. Pour sortir en douceur de la situation actuelle, il faudrait en effet que les principales économies se réorientent vers la demande salariale, ce qui supposerait une répartition des revenus plus favorable aux salariés. Mais les possédants disposent, grâce à la mondialisation, d’un rapport de force tellement favorable qu’ils n’ont aucune raison d’emprunter spontanément cette voie.

* Ecrit pour Regards, février 2008. Initialement paru sur le site « hussonet ».