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ÉQUATEUR

Les perspectives après la victoire électorale de la gauche

Lundi 28 mai 2007, par Cécile LAMARQUE

En 1990, le mouvement indigène équatorien est le premier à se révolter avec force contre les politiques néolibérales, ouvrant la voie à une décennie de luttes sociales et politiques. Grèves générales, crises gouvernementales et crises révolutionnaires se sont succédé, provoquant la chute de trois chefs d’Etat et reflétant la large prise de conscience des méfaits du capitalisme, avec des mots d’ordre récurrents : contre l’ingérence des Institutions Financières Internationales, contre l’impérialisme américain, contre le traité de libre échange...

Après dix ans d’instabilité politique et sociale croissante, le discours de rupture avec l’idéologie dominante de Rafael Correa est accueilli favorablement par une majorité de la population. Lors de son discours d’investiture, Correa promet de mener l’Equateur vers le « Socialisme du 21ème siècle ». Il proclame d’emblée « non pas une époque de changement mais un changement d’époque » et « la fin de la nuit néo-libérale » ! Il assure que le premier axe de sa « révolution citoyenne » est « la révolution constitutionnelle » à travers l’installation d’une Assemblée Constituante, véritable mot d’ordre de sa campagne présidentielle. Au delà de la rhétorique et des slogans, dès son entrée en fonction, Correa annonce l’organisation d’une consultation populaire sur la convocation de l’Assemblée Constituante, préalable à tout projet de transformation sociale.

Triomphe pour l’Assemblée Constituante : Vers une refonte socialiste ?

Le 15 avril 2007, les Equatoriens ont largement approuvé, par référendum, la création d’une Assemblée Constituante aux pleins pouvoirs, dont les 130 membres devront être élus dans les 150 jours suivant le scrutin et seront chargés de rédiger une nouvelle Constitution, qui sera à son tour soumise à référendum en 2008. Le triomphe du « oui » à 82 % ne laisse aucun doute quant au choix des Equatoriens : ils ont clairement démontré qu’ils souhaitent qu’une Assemblée Constituante porte leurs revendications et réaffirment par là leur soutien au projet de changement radical de Correa, dans un pays où les richesses crées par l’économie nationale, au lieu de servir aux populations, sont destinées au remboursement de la dette publique qui représente 38% du budget de l’Etat.

Criminalité financière et économique face au développement humain Alors que les richesses naturelles de l’Equateur en font l’un des pays les plus riches d’Amérique Latine, les ressources du pays, principalement le pétrole et la production de bananes, ont été systématiquement spoliées par les grandes multinationales, les créanciers et les grands propriétaires. L’endettement massif et frauduleux a été le principal mécanisme de pillage des ressources.

L’hémorragie a commencé sous la dictature, à partir de l’essor pétrolier des années 70, qui marque le début du processus d’endettement du pays, et a été largement poursuivie pendant près de vingt ans par les différents gouvernements qui se sont succédés depuis. Ils ont tous appliqué les mesures d’austérité budgétaire dictées par le FMI et la BM, desquelles dépend l’obtention de nouveaux prêts pour rembourser les anciens, entretenant ainsi le cercle vicieux de la dette. L’application de politiques néolibérales, qui s’est traduit, entre autres, par la réduction criminelle des dépenses sociales, la privatisation de secteurs stratégiques (hydrocarbures, électricité, télécommunications), la suppression des subventions aux produits de bases, etc., a eu des conséquences sociales et économiques désastreuses : 80 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour, la « flexibilisation » du marché du travail a accru la vulnérabilité de travailleurs ; l’ouverture unilatérale des marchés et la dollarisation ont entraîné la faillite de milliers de petites et moyennes entreprises industrielles et agricoles, incapables de rivaliser avec l’invasion de produits importés moins chers, provoquant de tels niveaux de chômage que des millions d’Equatoriens sont contraints d’émigrer en Europe et aux Etats-Unis, etc.

Dans ce contexte, le gouvernement de Correa ne semble pas disposé à exproprier les capitalistes mais entend cependant mettre en place un ensemble de mesures de caractère redistributif, qui remet suffisamment en cause les intérêts de la classe dominante locale corrompue et des capitalistes internationaux pour déclencher d’inévitables confrontations.

Boycott de l’oligarchie contre l’Assemblée Constituante

La convocation d’une Assemblée Constituante, dont l’objectif est de transformer le système juridique et politique du pays contrôlé par l’oligarchie, de rompre avec une structure politique mafieuse pour rétablir un rapport de force favorable qui représente véritablement les citoyens, entraîna d’emblée la résistance obstinée de la majorité des parlementaires attachés à l’ancien régime, dirigé par l’opposition de droite, et de l’élite politique et économique du pays, soucieuse de défendre ses privilèges. Aucune classe dominante n’a jamais cédé volontairement son pouvoir de domination ! S’engagent alors plusieurs semaines d’instabilité politique, entre manoeuvres de l’opposition pour déstabiliser le nouveau gouvernement et mobilisations populaires massives contre cette majorité parlementaire et pour l’Assemblée Constituante, sous le mot d’ordre unificateur « Urgente, urgente, Asamblea Constituyente ».

Ces « tensions » se sont finalement soldées par la destitution de 57 des 100 députés de la coalition de droite, pour avoir tenté d’entraver le processus d’appel à la consultation populaire, en paralysant pendant plusieurs semaines les activités du Congrès et du Tribunal Suprême Electoral (TSE), et en votant une résolution qui prétendait démettre de ses fonctions Jorge Acosta, président du TSE, qui en son nom convoqua le référendum. Les travaux parlementaires ont repris le 2 mai 2007 et le gouvernement semble cette fois disposer d’une majorité parlementaire. La nette victoire du « oui » et la formation d’une nouvelle majorité parlementaire favorable au gouvernement marque le début d’un processus de rupture avec le modèle néolibéral, qui ouvre la voie vers le « Socialisme du XXIe siecle » que Rafael Correa revendique, à l’instar de son allié Hugo Chavez.

La « Révolution équatorienne » ? Rompre le cercle vicieux de la dette !

Correa plaide pour une révolution citoyenne, consistant en « une transformation radicale, profonde et rapide » du système politique, économique et social. Entre autres mesures, il a l’intention de freiner le capital spéculatif, d’imposer des mesures protectionnistes en interdisant les monopoles notamment dans le secteur bancaire, de redistribuer les « terres non productives ou mal cultivées », d’augmenter les investissements publics, de donner la priorité au marché intérieur, etc. Parmi les grandes orientations du nouveau gouvernement figure un axe majeur : la restructuration de la dette publique tant extérieure qu’intérieure, une étape indispensable pour entamer un processus de transformation vers un autre modèle de développement socialement juste.

Vers une gestion souveraine de la dette

Le gouvernement de Rafael Correa renégociera le paiement de la dette extérieure et poursuivra le processus d’audit de la dette mis en place par le président sortant Palacio, avec la création de la « Commission Spéciale d’Enquête de la Dette Extérieure Equatorienne » (CEIDEX). Correa propose également la création d’un Tribunal International d’Arbitrage de la Dette qui réviserait les dettes externes des nations et déterminerait leur légalité, en vue de leur rénégociation conjointe. Ce positionnement coïncide avec la revendication généralisée des campagnes dette de recourir à des audits pour déterminer le degré de responsabilité des pouvoirs publics et des créanciers, tant privés que publics, dans le processus d’endettement externe et pour mener à l’annulation des dettes que l’analyse aura révélé être illégitimes, douteuses ou odieuses.

A ce jour, la stratégie de négociation de la dette n’est pas clairement définie mais la position de Correa et de son ministre de l’économie Ricardo Patiño est claire : la dette extérieure sera payée dans la mesure où elle n’affecte pas les priorités du développement national, cette position n’excluant pas un moratoire, si la situation économique l’exige. Les travaux menés par la CEIDEX, qui couvrent la période 1976-2006 et qui ont permis de déceler des irrégularités quant aux renégociations de dettes, à l’obtention de nouveau prêts et à l’usage final des fonds, seront approfondis afin d’établir les responsabilités légales dans le processus d’endettement. Sur la base des résultats de l’audit, l’Equateur ne paiera pas les dettes qui n’ont pas bénéficié aux populations ou qui ont été contractées de façon frauduleuse et qui sont de fait illégitimes.

Dette sociale vs Dette externe

La dette extérieure de l’Equateur s’élève à 16 800 millions de dollars ; la part publique atteint 10 483,4 millions de dollars en février 2007, d’après les chiffres de la Banque Centrale. Afin de dédier les ressources du pays aux dépenses sociales et productives, le gouvernement de Correa prévoit une réduction significative de la part du budget dédié au paiement de la dette externe, qui passera de 38% en 2006 à 11,8 % en 2010. Au cours de cette même période, l’investissement humain passera de 22 à 38, 4% et l’investissement productif de 6,4% à 11%. Mieux, l’Equateur a soldé sa dette extérieure de 11,4 millions de dollars envers le FMI, il n’est maintenant plus question pour Correa de faire appel à cette institution pour obtenir des prêts. Dans la foulée, il a expulsé le représentant de la Banque mondiale.

En 2005, alors que Correa était Ministre de l’Economie sous le gouvernement de Palacio, la BM a bloqué un prêt promis de 100 millions de dollars en représailles aux réformes du FEIREP (Fonds de Stabilisation, d’Investissement et de Réduction de l’endettement Public), qui prévoyaient d’utiliser l’argent du pétrole pour privilégier la politique sociale plutôt que le remboursement de la dette. « Nous ne voulons plus jamais entendre parler de bureaucratie internationale », a annoncé Correa, mettant fin à plus de deux décennies de soumission aux recettes perverses du FMI et de la BM. Si les annonces de Correa et les réformes économiques et sociales énoncées dans le Plan 2007-2010 de son gouvernement sont effectivement mises en oeuvre, si Correa met effectivement un terme à l’ingérence des institutions financières internationales qu’il considère, à juste titre, responsables de la situation socio-économique désastreuse du pays, et s’il réduit l’influence américaine sur son pays, on peut attendre de son mandat qu’il permette une meilleure répartition des richesses et une amélioration des conditions de vie des populations, dans ce pays aux inégalités criantes. Par ailleurs, les positions défendues par le gouvernement de gauche porte un coup sévère à l’oligarchie équatorienne.

Contre l’impérialisme, pour la souveraineté nationale et régionale

Correa remet en cause la toute-puissance de l’impérialisme américain et exprime un engagement profond en faveur de l’intégration latino-américaine, position clairement définie dans son Plan de Gouvernement et nettement affichée lors de ces 3 premiers mois à la présidence.

Non au Traité de libre échange et à la base militaire américaine En matière de politique extérieure, Correa a pris des engagements fondamentaux, parmi lesquels le refus de l’intégration à l’ALCA (Zone de libre-échange des Amériques), s’opposant à la signature de tout traité de libre échange avec les Etats-Unis, au profit de l’intégration régionale. Il a également annoncé qu’il ne renouvellera pas l’accord de 1999, qui expire en 2009, permettant à Washington de disposer d’une base militaire sur le sol équatorien, à Manta, pour mener de sa lutte contre la drogue dans le Pacifique, mais également utilisée contre les FARC, la guérilla marxiste colombienne. Le nouveau gouvernement refuse toute implication de l’Equateur dans le conflit colombien en fonction des intérêts des Etats-Unis. Au Plan Colombie, il oppose son « Plan Equateur », présenté comme une « réponse de paix, d’équité et de développement face au Plan Colombie, militariste et violent ».

« Crise diplomatique » entre Quito et Bogota

En décembre 2006, la reprise des projections aériennes de glyphosates par le gouvernement colombien pour éradiquer les plantations de coca à la frontière avec l’Equateur, interdites un an auparavant à moins de 10 km de la frontière entre les deux pays (les conséquences environnementales et sanitaires de cet herbicide sont vivement dénoncées en Equateur), à laquelle s’ajoute l’intrusion de militaires colombiens en Equateur, provoque un incident diplomatique entre Correa et Uribe. Le 10 janvier, les deux chefs d’Etat passent un accord, la Colombie s’engageant à informer Quito avant toute nouvelle pulvérisation à la frontière. Cependant le gouvernement colombien poursuit les fumigations sans en informer les autorités équatoriennes. La discorde est telle que le gouvernement équatorien envisage de traduire la Colombie devant le Tribunal de La Haye. Le gouvernement Bush, par le biais de Alvaro Uribe, semble décidé à déstabiliser le nouveau gouvernement qui remet en cause les intérêts géostratégiques nord-américains dans la région.

Vers une gestion souveraine des ressources naturelles ?

Les hydrocarbures sont également un des axes principaux de la lutte contre l’impérialisme et l’oligarchie locale. L’Etat finance environ 35% de son budget grâce aux revenus du pétrole, principal produit d’exportation. Durant l’administration de Palacio, la réforme de la Loi des Hydrocarbures a permis à l’Etat de percevoir davantage d’impôts des multinationales pétrolières. Correa et son ministre de l’Energie, Alberto Acosta, prévoient de renforcer le contrôle d’Etat sur l’industrie pétrolière. Ils se sont engagés à renforcer la société d’Etat Petroecuador, à renégocier les contrats avec les sociétés étrangères afin d’augmenter les revenus de l’Etat et à réintégrer l’Equateur dans l’OPEP, abandonnée en 1992. Les ressources pétrolières du pays, jusqu’alors destinées au paiement de la dette, seront mises au service du développement. Le gouvernement a également signé plusieurs accords de coopération stratégiques pour le secteur de l’énergie avec le président vénézuélien Hugo Chávez et le brésilien Lula.

La Banque du Sud : prémisse d’une nouvelle architecture financière, économique et politique régionale ?

L’idée d’une « Banque du Sud », lancée par Venezuela et l’Argentine, fait son chemin, au moment où plusieurs pays de la région ont réglé leurs dettes et coupé tout lien avec le FMI. Elle devrait voir le jour avant la fin de 2007. Cette Banque du Sud vise à soutenir la réappropriation des ressources naturelles par les peuples du Sud et appuiera le financement de projets dans la santé, l’éducation, l’infrastructure, l’industrie, etc. Au delà de la possibilité de mettre fin à la dépendance financière avec les organismes de prêts internationaux, le FMI et la BM entre autres, Correa voit en cette initiative l’opportunité de se doter d’une monnaie commune et de convertir la Banque du Sud, par la suite, en une véritable banque de développement. Partisan enthousiaste de l’intégration régionale, il plaide pour une intégration non seulement commerciale, mais aussi monétaire, financière et politique, et pour la fusion du Mercosur et de la Communauté Andine des Nations avec l’Union des Nations Sud-américaines (Unasur). D’autres projets communs sont également envisagés : l’incorporation de l’Equateur à la chaîne de télévision Telesur., la création d’une Radio du Sud, le Gazoduc du Sud, l’Université du Sud... De tels projets contribueront à résoudre les difficultés économiques, commerciales et sociales, indépendamment de la logique économique et financière internationale.

Époque de changements ou changement d’époque ?

Face au bloc politique et idéologique qui défend le système capitaliste néolibéral et impérialiste, les luttes sociales s’intensifient en Amérique Latine et un contre-pouvoir s’impose, à travers des gouvernements de gauche, de diverses tendances, qui sont désormais la grande majorité, et s’organise, à travers la construction d’alliances régionales, capables de résister aux diktats de Washington et à la suprématie des transnationales. L’Equateur a fait le choix d’une gauche résolument alternative, qui s’inscrit pleinement dans ce mouvement général de contestation à l’ordre mondial néolibéral. Le processus de transformation profonde vers ce « socialisme du XXIe siècle » dont se réclame Rafael Correa n’est encore qu’à l’état d’esquisse, il est difficile d’en prévoir l’issue, entre réforme ou révolution. Quoi qu’il en soit, le long chemin avant de réussir cette « révolution citoyenne » dépendra du soutien populaire dont bénéficiera Rafael Correa.


Voir en ligne : http://www.cadtm.org