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INDE

Les oubliés du ‘miracle’ économique

Mardi 27 mai 2008, par Rajagopal P.V

En Inde, des petits paysans et des communautés tribales sont chassés de leurs terres par de grands projets industriels et l’installation de multinationales. Depuis 1991, Rajagopal P.V se bat pour les droits économiques et sociaux des plus démunis en se fondant sur la philosophie gandhienne du Satyagraha, la lutte non violente

Depuis plus de 35 ans, Rajagopal P.V., – qui se présente par son prénom et ses initiales pour ne pas révéler sa caste, un système qu’il refuse – se bat contre l’exploitation, l’injustice et la pauvreté. Dans les années 80s, il enseigne aux jeunes Indiens à prendre en main leur destin, en leur expliquant que s’ils sont pauvres, ce n’est pas à cause de leur karma, mais par le fait de l’Homme. Et pour coordonner les actions entreprises, il créé l’association Ekta Parishad , qui rassemble les sans voix de l’Inde, des dalits (intouchables) aux adivasis (communautés tribales) en passant par les paysans sans terre et les ouvriers agricoles victimes de servitude. Son moyen d’action privilégiée : la marche pacifique. C’est ainsi que du 2 au 29 octobre 2007, 25.000 personnes démunies ont parcouru 350 kilomètres de Gwalior à New Delhi pour revendiquer leurs droits. Rencontre avec un homme d’exception.

En octobre dernier, vous avez organisé votre première grande marche nationale. Six mois plus tard, quel est le bilan ?

Cette marche nous a beaucoup appris : elle montre que les plus pauvres peuvent défier la puissance de l’Etat, qu’ils peuvent faire bouger les choses. Il y avait aussi énormément de jeunes et j’espère que ces jeunes réussiront à terme à introduire une nouvelle façon de faire de la politique, fondée non plus sur un esprit de pouvoir et de possession mais sur la volonté de se mettre au service du peuple. Cette marche a aussi montré que la non-violence est un instrument très puissant : nous pouvons réussir par la non-violence. Enfin, la solidarité a été remarquable, notamment pour nourrir les 25.000 personnes qui étaient sur les routes pendant un mois.

Concrètement, qu’avez-vous obtenu ?

Le gouvernement a accepté de créer une Commission nationale pour la réforme agraire, chargée de formuler une politique d’utilisation de la terre. Une fois que ce sera fait, un Conseil, dont je fais partie, s’occupera de la mise en oeuvre.

Par ailleurs, au début de cette année, une nouvelle loi a été adoptée : elle donne 2,5 hectares de terre à chaque famille indigène. Et le gouvernement a décidé de ne plus acquérir de terres en en expulsant les paysans, comme cela avait été trop souvent le cas par le passé, ce qui a provoqué de nombreux suicides chez les petits paysans.

Enfin, un projet de loi actuellement examiné au parlement prévoit qu’il ne pourra plus y avoir de déplacements de population sans un plan de réhabilitation. Ce qui devrait considérablement les limiter. On peut donc dire que les choses bougent. Ce n’est peut-être pas encore tout à fait ce que nous aurions souhaité mais cela va dans la bonne direction.

Comment en est-on arrivé là ?

C’est le résultat de la mondialisation. Cela a commencé par l’attaque contre les peuples indigènes qui ont été expulsés de leurs terres quand les industries d’extraction ont voulu exploiter les mines qui s’y trouvaient, et les autres se sont tus parce qu’ils ne se sentaient pas concernés ; ensuite, le gouvernement indien a confisqué leurs terres aux petits paysans pour les donner à des multinationales, et les autres n’ont rien dit ; et puis, ce sont les petits commerçants qui ont disparu parce qu’ils n’ont pu résister à l’arrivée des supermarchés, mais les autres n’ont pas bronché. Ce que je veux dire, c’est que la mondialisation finira par toucher tout le monde. Beaucoup se croient à l’abri et donc ne bougent pas. Mais eux aussi seront des victimes un jour ou l’autre.

Et les mêmes problèmes se répètent partout : au Brésil, en Colombie, aux Philippines… Tous cherchent à survivre face à des multinationales qui cherchent à accaparer leurs ressources. Il est donc absolument indispensable d’avoir une solidarité plus large.

Et en Inde ?

En Inde, 65 à 70% de la population vit de l’agriculture. Et il faut savoir que la terre, chez nous, ce n’est pas simplement un bout de terre ; c’est avoir une dignité, une identité, c’est aussi et surtout la capacité de se nourrir. Et dans les forêts, il y a des populations tribales et nomades qui vivent de la cueillette, du pâturage… Or l’Etat chasse ces personnes des forêts, il exproprie les petits paysans, parfois sans contrepartie, pour vendre les terres aux grands industriels, aux multinationales. Résultat : ces petits paysans, ces ouvriers agricoles, se retrouvent sans ressources et finissent par atterrir dans les zones urbaines, dans des bidonvilles qui ne font que s’étendre. Ils perdent ainsi non seulement leurs terres, mais aussi leur dignité et leur identité.

C’est une lutte pour les ressources naturelles, essentiellement la terre, l’eau et la forêt. Et nous voulons aider le peuple à contrôler ces ressources qui leur permettent de subsister. Les paysans doivent avoir le droit de décider de ce qu’ils mangent, ce n’est pas aux multinationales de le faire pour eux. Et aucun compromis n’est possible là-dessus.

Quelle est votre prochaine étape ?

Il faut garder la pression constante sur l’Etat : il doit faire face à ses responsabilités. L’Etat est comme un éléphant : s’il n’a pas de cornac, il devient fou et il détruit tout. Nous jouons le rôle du cornac, nous devons diriger l’éléphant. Alors, si dans trois ans, l’Etat n’a pas respecté ses engagements, ce n’est pas 25.000 mais 100.000 personnes qui prendront la route. L’année dernière, sur 25.000, il y avait 250 sympathisants étrangers, venus essentiellement d’Europe et des Etats-Unis. Dans trois ans, il en faudrait mille. Alors, réservez vos billets !


Voir en ligne : www.cetri.be