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Crise au Niger

Les impacts de la crise sur l’espace démocratique

L’Association Alternative Espaces Citoyens et l’Association Nigérienne de Défense des Droits de l’Homme ont organisé à Niamey en août dernier un séminaire sur la crise qui frappe le Niger actuellement.

Mardi 11 septembre 2007, par Maman Sani Adamou

Dans sa communication sur ce thème, M. Maman Sani Adamou a souligné que l’analyse du conflit armé dans le Nord gagnerait à être replacée dans le contexte global des dynamiques contradictoires et des rapports de forces internes et externes qui ont marqué les processus démocratiques. Si pour les travailleurs nigériens l’instauration d’un cadre démocratique et pluraliste était apparue comme la solution à l’échec du régime d’exception et à la faillite d’un modèle de développement extraverti et dépendant, pour les puissances occidentales qui ont soutenu cette revendication, la libéralisation était apparue comme le remède à la toute puissance de l’Etat post-colonial et comme le cadre idoine de déploiement du capital transnational censé assurer la prospérité générale et mettre fin à la mauvaise gestion.

Partant de ce postulat, le conférencier soutient que ce n’est pas un hasard si c’est en contexte démocratique que le Niger a enregistré le plus de conflits violents avec recours aux armes. Analysant les impacts prévisibles de l’actuel conflit armé, il souligne que celui-ci entraînera une réduction drastique des ressources allouées aux secteurs sociaux et à la lutte contre la pauvreté. En plus de l’effort de guerre, ce conflit peut entraîner aussi un ralentissement des activités économiques dans le nord, avec notamment une paralysie de l’exploitation des ressources minières.

Sur le plan politique, le conférencier souligne que le conflit armé actuel pourrait fragiliser davantage l’appareil de l’Etat en soustrayant de facto une partie du territoire à l’application des lois et règlements. Ce qui peut accentuer les tendances centrifuges susceptibles de faire le lit de convoitises extérieures ; et dans ces conditions, il estime qu’il n’est pas exagéré de penser que l’intégrité territoriale du pays peut être menacée.

Par ailleurs, le conférencier estime que ce conflit peut saper l’unité nationale, à cause principalement de la rhétorique guerrière développée par certains acteurs sociaux et politiques. Le climat d’insécurité ambiant entretient aussi, selon lui, le sentiment que le régime d’exception est plus apte à garantir la paix et le mieux-être des citoyens ; ce qui peut ouvrir la voie à une remise en cause du cadre démocratique.

Sur le chapitre des droits humains, le conférencier soutient qu’il faut s’attendre à une forte propension des belligérants à restreindre ou à attenter aux droits et libertés, sans possibilité pour les victimes de faire recours contre les abus et violations. A titre illustratif, il évoque les tentatives du gouvernement de museler les médias auxquels il est reproché un manque d’objectivité.

En dépit de toutes ces conséquences négatives, le conférencier soutient que le conflit actuel peut être perçu à la fois comme un test de viabilité de nos institutions et une opportunité pour questionner leur fonctionnement. Si nous voulons saisir cette opportunité, il faut se rendre à l’évidence qu’il ne sert à rien de se contenter de ressasser que le Niger est un pays démocratique et de fustiger tout recours à la violence, affirme-t-il. Selon lui, une telle attitude ne conduirait qu’à occulter le fait que le système démocratique nigérien se réduit à un pluralisme politique de façade et un rituel électoral servi aux citoyens tous les cinq ans. La croyance aux vertus de la démocratie s’est érodée sérieusement, selon lui, à cause des politiques économiques et sociales qui ont accentué la pauvreté, et à cause de la gestion prédatrice et clientéliste sans précédent des ressources publiques.

En guise de conclusion, le conférencier estime qu’il n’existe pas de véritable démocratie sans une justice indépendante et crédible, sans participation populaire effective, sans contrôle citoyen de l’action publique, sans un état de droit. C’est pourquoi il préconise comme pistes de solutions :

• la réhabilitation des institutions démocratiques actuelles en commençant par la mise en place d’un système judiciaire crédible et indépendant ;

• la promotion d’une culture de prévention des conflits en lieu et place d’une culture de réaction ;

• le parachèvement du processus de décentralisation en l’étendant au niveau des régions et en résolvant urgemment les problèmes de fonctionnement des collectivités décentralisées ;

• la résorption des disparités entre les régions et entre les zones rurales et les centres urbains, soutenue par la mise en œuvre d’un modèle de développement fondé sur la satisfaction des besoins des classes populaires.

Après cette introduction aux débats de Maman Sani Adamou, les discussions ont été lancées sur l’axe thématique 3 : Les impacts prévisibles du conflit armé sur le cadre démocratique, et sur l’axe thématique 4 : Analyse de la gestion actuelle du conflit et propositions de sortie de crise. Les échanges autour des deux axes ont permis de dégager les idées forces suivantes :

• Le conflit armé dans le Nord rappelle avant tout que le Niger doit relever le défi de renforcer son cadre démocratique et améliorer le fonctionnement de ses institutions ; car, lorsque le cadre démocratique fonctionne normalement et permet aux citoyens de se faire entendre, les risques de conflits violents sont minimisés. Le plus urgent est de toute évidence de restaurer la crédibilité de notre système judiciaire et d’accélérer le parachèvement du processus de décentralisation ; et ce dans le souci, d’une part de faire reculer chez les citoyens le sentiment de vivre dans un climat d’injustice, et d’autre part de favoriser une dynamique de développement équilibré des régions.

• La pérennité du cadre démocratique et la préservation de la paix ne sont possibles que si les pouvoirs publics déploient des efforts considérables pour améliorer les conditions de vie des populations. Ce qui suppose que les politiques économiques, sociales et culturelles mises en œuvre par l’Etat doivent s’efforcer de prendre en compte l’impératif de satisfaire les besoins essentiels des populations, notamment l’éducation, la santé, l’accès à l’eau potable et l’alimentation ; de même qu’elles doivent mettre un accent particulier sur la résorption du chômage endémique des jeunes, qui constitue aujourd’hui une véritable bombe à retardement.

• Au regard des lacunes constatées dans le fonctionnement des institutions, il semble judicieux aux yeux de certains de songer à améliorer le système de représentation à travers la mise en place d’une deuxième chambre à l’assemblée nationale. Cette chambre pourrait être constituée par des représentants des régions, avec pour mission d’examiner en dernier ressort les décisions prises par le parlement. La représentation au sein de cette chambre doit être égale pour toutes les régions, contrairement à la règle qui a cours pour l’assemblée nationale actuelle.

• La gestion du conflit armé dans le Nord se caractérise principalement par des défaillances graves sur le plan de la communication. Le gouvernement communique très mal sur le sujet, alors qu’il est de son devoir d’informer objectivement les citoyens et les partenaires sur ce qui se passe. A l’heure actuelle, ni les citoyens nigériens ni les partenaires ne disposent d’une version officielle cohérente sur tous les contours de la situation dans le Nord. Sur ce point, les interventions publiques de l’armée et le battage organisé par certains acteurs sociaux et politiques sont jugés par des nombreux observateurs comme des fausses notes. Le gouvernement doit se ressaisir et œuvrer à ramener la sérénité au niveau de l’opinion plutôt que d’encourager des initiatives qui ne font que brouiller le vrai débat ; car, la surenchère patriotique à laquelle s’adonnent actuellement certains acteurs sociaux et politiques, hostiles à toute négociation avec le MNJ, peut aggraver sérieusement la situation. Les exemples ivoirien et soudanais démontrent clairement que des tels agissements peuvent conduire à des dérives préjudiciables à l’unité nationale.

• Le refus des autorités nigériennes de reconnaître officiellement le MNJ comme une rébellion est diversement apprécié ; même si personne ne semble contester le fait que certains ténors de ce mouvement ont été, à une période donnée, impliqués dans des activités illégales, notamment comme passeurs des véhicules transportant des produits prohibés. Si certains sont d’avis que ce mouvement n’est que le bras armé des puissances extérieures, d’autres rétorquent que ce refus est dans tous les cas contre-productif et déraisonnable. En tout cas, certains témoignages laissent croire que la naissance et la radicalisation de ce mouvement auraient pu être évitées, si les autorités nigériennes, à l’instar de celles du Mali, ont accédé à la demande d’amnistie formulée par les dirigeants du MNJ dès le début de leurs actions.

• Selon certains témoignages, aucune rébellion ne peut naître et prendre de l’ampleur dans le Nord sans le consentement des populations de la région et de l’Algérie avec laquelle le Niger partage plus de 800kms de frontière. Se fondant sur cette assertion, certains estiment qu’il est impératif d’impliquer l’Algérie dans la recherche d’une solution au conflit armé dans le Nord du pays. D’autres ajoutent que c’est le lieu pour le Niger d’abandonner sa politique actuelle de soutien au Maroc dans l’affaire du Sahara ; car, si les relations diplomatiques avec le Maroc sont importantes, il serait absurde d’ignorer que la bonne entente avec l’Algérie est simplement un gage important de stabilité pour le pays.

• Le conflit armé dans le Nord est indissociable de la politique minière menée par les autorités nigériennes ; car, tous les protagonistes officiels, y compris le MNJ, le reconnaissent ouvertement. Cette politique minière ne déplait donc pas seulement à la compagnie française AREVA, qui a perdu son monopole sur l’exploitation de l’uranium ; elle est source d’inquiétude également pour d’autres acteurs locaux, qui craignent des dégâts environnementaux considérables et l’amenuisement subséquent des espaces pastoraux. Si personne ne remet en cause la justesse de la politique actuelle des autorités nigériennes, principalement dans son volet diversification des partenaires miniers, il en va autrement en ce qui concerne l’appréciation de la procédure d’attribution des permis et la prise en compte des intérêts des communautés locales. L’État a le droit inaliénable d’exploiter ses ressources naturelles avec les partenaires de son choix, mais il doit également reconnaître le droit tout aussi inaliénable des populations locales de réclamer des dédommagements pour l’occupation et la dégradation des zones de pâturage. Il incombe à l’Etat le devoir également de mettre en œuvre des programmes de reconversion pour ceux qui viendraient à prendre leurs moyens traditionnels d’existence.

• Le Niger a adhéré officiellement à l’Initiative sur la Transparence des Industries Extractives (ITIE) en 2005 ; mais, le gouvernement n’a pas à ce jour satisfait à son obligation de publier un bilan des activités menées dans le cadre de ladite initiative. A quelques jours de l’échéance du 31 août 2007, on peut se demander si l’Etat nigérien n’est pas entrain de reculer par rapport à son engagement en faveur de l’initiative pour la transparence des industries extractives et gazières. De plus, il n’a jamais rendu public un bilan exhaustif des ressources engrangées, alors que plus d’une centaine de permis d’exploration minière ont été attribués au cours des sept (7) dernières années. Les dispositions du code pétrolier et de la loi minière prévoyant pour les communautés locales 15% des bénéfices tirés par l’État ne sont pas respectées. Or, la transparence dans la gestion des revenus tirés de l’exploitation des ressources minières, ainsi que la réalisation par l’Etat des investissements au profit des communautés locales, sont considérées partout dans le monde comme une condition nécessaire à la préservation de la paix.

• Aujourd’hui, partout dans le monde les compagnies minières sont astreintes à l’obligation de prendre des mesures idoines pour protéger les populations, le cheptel, la faune, la flore et la biodiversité contre tous les dangers découlant de l’extraction minière. Les impacts causés à Arlit par la radioactivité sur la santé de la population, l’environnement et les nappes phréatiques sont illustratifs de la catastrophe à laquelle peut aboutir l’absence d’un contrôle étatique de l’activité minière. Après 40 ans d’exploitation de l’uranium, il est inacceptable que la ville d’Arlit et ses environs ne puissent même pas disposer de l’eau potable. Les compagnies doivent assumer une responsabilité sociale vis-à-vis des communautés locales au profit desquelles elles doivent réaliser des investissements sociaux répondant à leurs besoins. En dépit de la pression exercée par la société civile d’Arlit, l’État nigérien n’a fait aucun effort pour obliger la compagnie AREVA à réparer ses torts ; bien au contraire, il a entravé toutes les initiatives visant à mener des enquêtes indépendantes sur les effets de la radioactivité sur les populations.

• La récente révision du contrat de AREVA, dans des conditions obscures, a laissé beaucoup de Nigériens sur leur soif. L’accord conclu n’a été rendu public que partiellement. La revalorisation du prix de l’uranium n’a pas été à la hauteur des attentes légitimes des citoyens nigériens ; et des inquiétudes demeurent quant à l’issue des négociations prévues avec AREVA au cours de l’année prochaine. Les prix de l’uranium nigérien sont toujours libellés en franc CFA, alors que ceux de toutes les matières premières le sont en devises. Les négociations futures doivent prendre en compte tous les aspects, et être menées dans la plus grande transparence. A l’heure actuelle, le prix de l’uranium sur le marché international est de l’ordre de 126 000fcfa pour un kilo, mais le groupe français AREVA n’a accepté de payer que 40 000fcfa. Ce prix n’est pas acceptable, surtout que, depuis 40 ans, AREVA a eu le loisir d’imposer son prix.

• La récurrence des attaques du MNJ a mis à nu les défaillances de notre système de sécurité et de défense. Les forces de défense et sécurité, et en particulier l’armée nigérienne, peinent à contenir les rebelles. Cette situation pourrait s’expliquer, non pas seulement par les conditions difficiles dans lesquelles exercent les troupes, mais aussi par les frustrations nées des injustices commises à l’endroit des nombreux soldats. En l’espace d’une décennie, les hommes de rang de l’armée nigérienne ont exprimé plusieurs fois leur ras-le-bol à travers une série de mutineries, sans que cela n’entraîne une amélioration significative de leurs conditions de vie et de travail. Certains soldats arrêtés et jugés dans le cadre de ces mutineries ont été radiés des rangs de l’armée, alors même qu’ils ont été reconnus non coupables des faits qui leur sont reprochés. La situation des hommes de rang contraste d’avec celle des officiers de la hiérarchie ; et cela n’est pas de nature à favoriser la cohésion au sein du corps et à renforcer le moral face à une adversité intense.

Maman Sani Adamou est Secrétaire Général de l’ORDN-TARMAMUWA