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La lutte pour les alternatives en Haiti

Jeudi 27 avril 2006

Les côtes haïtiennes ont longtemps servi de repère aux pirates et boucaniers des Antilles. L’île d’Hispaniola leur servait de lieu stratégique pour traquer les bateaux espagnols, qui ramenaient vers l’Europe des cargaisons pleines d’or et autres richesses obtenues en Amérique latine. Les violents affrontements ont provoqué la perte de plusieurs navires, coulés au large d’Haïti. La valeur des artéfacts qui jonchent le sous-sol marin des Caraïbes est estimé à plusieurs millions de dollars : or, poteries, canons et autres objets centenaires.

En janvier 2004, le gouvernement haïtien signait une entente commerciale avec Sub Sea Research, accordant à cette compagnie américaine d’exploration des sous-sols marins des droits d’exclusivité sur trois zones au large des côtes haïtiennes. John Blot, directeur du Bureau national d’ethnologie à Port-au-Prince, souligne que depuis 1994, l’archéologie sous-marine ne relève plus de l’organisation qu’il dirige, mais d’une « institution fantôme », l’Office national d’archéologie marine (OFNAM). Il s’étonne de réaliser qu’en vertu du contrat signé avec Sub Sea Research, seulement 35% des revenus du « sauvetage » des vaisseaux reviendront au gouvernement haïtien.

« On assiste à une véritable privatisation de notre patrimoine national », s’indignait l’économiste haïtien Camille Chalmers, lors d’une conférence prononcée à Montréal en septembre. « Déjà, des ventes aux enchères ont lieu sur Internet, sans que notre État ne puisse vérifier au préalable la valeur des biens repêchés. »

Des alternatives au néolibéralisme

L’ouverture des « marchés subaquatiques » n’est qu’un exemple des nombreux secteurs économiques convoités par les entreprises étrangères, dans un pays qui croule sous les conditions d’extrême pauvreté. Force est de reconnaître que les diverses négociations internationales de libre-échange – Accords de Cotonou, Marché commun des Caraïbes (CARICOM), Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA), Accord général sur le commerce des services (AGCS) de l’OMC – n’ont pas épargné Haïti, malgré les troubles politiques que le pays connaît.

Afin de sensibiliser la société haïtienne sur ces différentes pressions néolibérales auxquelles le pays est confronté et la nécessité d’élaborer des alternatives de développement socioéconomique, la Plateforme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif (PAPDA), une coalition de groupes populaires et communautaires haïtiens, a inauguré en 2002 le programme de plaidoyer pour une intégration économique alternative. Appuyée par le réseau international Oxfam et l’ONG montréalaise Alternatives, cette initiative vise à interpeller les institutions gouvernementales, le secteur privé et la société civile quant aux revendications populaires en matière de développement. C’est notamment lors d’un colloque organisé dans le cadre de ce programme que fut débattu le processus de privatisation des sous-sols marins d’Haïti.

Le programme a permis, jusqu’à maintenant, de former plus de 300 cadres haïtiens sur la complexité des accords commerciaux internationaux et les différents enjeux qui y sont liés. Trois structures régionales d’éducation et de documentation ont été mises sur pied pour rejoindre les organisations populaires du secteur rural. Le Conseil national haïtien des acteurs non-étatiques, qui regroupe dix-sept organisations de la société civile représentant 13 secteurs différents, a également été implanté afin de poursuivre le dialogue avec l’État haïtien quant aux politiques publiques de développement.

Luttes populaires

« Ce programme nous a également permis d’appuyer de nombreuses luttes populaires extrêmement importantes, notamment dans les secteurs de l’éducation, de l’agriculture et du droit des travailleurs », affirme Camille Chalmers, coordonnateur de la PAPDA. « Les nombreux échanges que nous avons eus avec les organisations membres de l’Assemblée des peuples de la Caraïbe furent très bénéfiques. Nous avons pu partager nos analyses, comparer nos situations respectives, et développer ensemble des alternatives concrètes aux politiques néolibérales trop souvent exécutées naïvement par nos dirigeants ».

Chalmers se rappelle du Forum national sur la ZLÉA, convoqué par la PAPDA en novembre 2003 : « Tous les points de vue étaient représentés, jusqu’aux plus durs défenseurs de l’ouverture totale des marchés ». Plusieurs panélistes de la sous-région avaient été invités, dont Ygnacio Hernandez, secrétaire général de la Fédération dominicaine des travailleurs de zones franches. Nombreuses en République dominicaine, les zones franches se multiplient de plus en plus en Haïti, notamment près de la frontière qui sépare les deux pays. Sous le prétexte alléchant de favoriser la création d’emplois, les États permettent aux entreprises étrangères qui s’y installent de ne pas souscrire aux règles fiscales et au code du travail en vigueur dans le reste du pays. Les travailleurs des zones franches dominicaines ne gagnent qu’un peu plus de la moitié du salaire minimum, avait indiqué M. Hernandez lors de ce forum.

« Ygnacio Hernandez avait lancé un vibrant appel à la solidarité entre travailleurs dominicains et haïtiens pour la défense de nos droits », fait remarquer Chalmers. Un appel qui a été entendu par l’Intersyndicale Premier Mai – Batay Ouvriyè. En 2004, celle-ci a appuyé la création d’un syndicat de travailleurs du textile de la zone franche de Ouanaminthe, au Nord-Est d’Haïti. Après huit mois de conflit de travail, celui-ci a fini par s’entendre sur un contrat de travail avec l’employeur, Grupo M, fournisseur des compagnies Lévi-Strauss et Gap.

Souveraineté agricole

Le programme de plaidoyer sur l’intégration économique de la PAPDA s’est également transformé en véritable laboratoire d’alternatives à la mondialisation économique. Plusieurs projets prometteurs ont ainsi été développés lors de discussions avec les organisations paysannes du pays. « L’ouverture des marchés agricoles s’est avérée nettement désavantageuse pour la production paysanne du pays », souligne Frank St-Jean, agronome de la PAPDA, qui ajoute que 58% de la consommation alimentaire d’Haïti dépend des importations, alors que les paysans peinent à écouler leurs stocks.

Pour favoriser la consommation alimentaire locale, la PAPDA a entrepris de sensibiliser les cantines scolaires, grandes consommatrices de farine de blé importée des États-Unis. « Il est si simple de mélanger la farine de blé avec une farine de manioc locale, explique M. St-Jean. Et les gâteaux gouttent aussi bon ! Si l’ensemble des cantines scolaires du pays reconnaissaient le rôle important qu’elles peuvent jouer en consommant des produits locaux, notre paysannerie pourrait s’engager dans la voie d’un réel développement socio-économique », fait-il remarquer.

François L’Écuyer