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CUBA

L’après Fidel

Jeudi 21 février 2008, par HABEL Janette et DENIS Anne

Quel est l’enjeu des élections législatives cubaines dans un régime à parti unique ?

L’enjeu est réel. L’essentiel est de savoir si on va vers un changement institutionnel et si oui lequel. En d’autres termes, quelle place occupera Fidel Castro à l’issue de ce processus électoral complexe, qui doit déboucher sur l’élection du président du Conseil d’Etat, qui fait office de chef d’Etat. Fidel Castro avait, jusqu’ici, cumulé les titres de président, laissé à titre provisoire, en juillet 2006, à son frère Raul, depuis ses problèmes de santé, de Premier ministre, de premier secrétaire du Parti communiste cubain et de commandant en chef des forces armées. Plusieurs scénarios sont possibles. Il peut être ou non candidat à la présidence, abandonner le poste de Premier ministre - ce qui en pratique est déjà le cas -, n’être que député... Autre hypothèse, Raul Castro devient président, Carlos Lage, homme clef du pouvoir, relativement jeune et très respecté à Cuba, devient Premier ministre et Fidel reste premier secrétaire du PCC.

Mais même si rien de spectaculaire ne ressort de ces élections, cela ne veut pas dire que le mouvement de transition sera stoppé, tant il est vrai qu’à Cuba, on fait souvent les choses avant de les dire. Or, il est clair que, depuis dix-huit mois, c’est Raul Castro et son équipe et non Fidel qui déterminent la politique intérieure et qui dirigent le gouvernement. Fidel Castro écrit des articles. Il a, d’ailleurs, déclaré récemment qu’il ne s’accrocherait pas au pouvoir en précisant même « qu’il ne disposait pas de la capacité physique pour parler aux habitants du quartier qui l’ont proposé comme député ». Nous sommes donc déjà dans l’après-Fidel.

Y a-t-il une volonté de changement à la tête du pouvoir ?

Absolument. Même si le désir de réformes est freiné par deux contraintes. La première est la volonté du pouvoir de ne pas donner prise à l’ingérence américaine. Il ne faut pas oublier que Washington a créé une « Commission pour la transition à Cuba » dirigée par un Américain et qui ne jugera la transition acceptable que si les deux frères Castro sont écartés du pouvoir ! Cela seul suffirait à figer le processus.

La seconde est liée à la volonté d’éviter toute division dans l’équipe dirigeante. Or le rapport de forces est très instable au sein de l’appareil d’Etat entre les réformistes et les autres.

Quoi qu’il en soit, Raul Castro, qui est un bien meilleur gestionnaire que son frère, a déjà imprimé sa marque. D’un point de vue politique, on assiste à une tolérance plus grande dans les milieux intellectuels et culturels. Au plan économique, Raul a annoncé des « changements structurels » qui devraient concerner au premier chef l’agriculture. L’objectif est de laisser un espace plus important aux petites exploitations. L’étau devrait être desserré aussi pour les travailleurs indépendants. Il faut dire qu’il y a urgence : les conditions de vie quotidienne des Cubains se sont beaucoup dégradées, qu’il s’agisse du logement, des transports ou de l’alimentation. La population est très fatiguée, la double parité du peso a accru les inégalités et Raul Castro le sait. Mais les réformes seront lentes et graduelles afin de ne pas compromettre la stabilité du régime car le pouvoir est hanté par la façon dont l’Union soviétique s’est effondrée.

Quelles sont les marges de manoeuvre de Cuba pour conduire ces réformes ?

Le contexte régional et international actuel lui est plutôt favorable. L’aide pétrolière du Venezuela est évidemment essentielle, mais le basculement à gauche d’une partie de l’Amérique latine a aussi offert à Cuba le soutien et la solidarité active de nombreux gouvernements ou, au moins, la neutralité bienveillante d’autres. Même le président mexicain Felipe Calderon, pourtant proche allié de Washington, veut restaurer des relations cordiales avec Cuba. Tout ceci crée un rideau protecteur face aux Etats-Unis.

Au plan international, la coopération commerciale très intense avec la Chine, notamment en matière de biotechnologies, constitue un moteur de développement précieux. Enfin, on est presque sûr aujourd’hui qu’il y a du pétrole de bonne qualité dans le golfe du Mexique au large des côtes cubaines. C’est un espoir important pour Cuba de réduire sa facture pétrolière. L’inconnue, c’est donc bien l’évolution des rapports de force à la tête de l’Etat. L’issue de l’élection présidentielle américaine comptera aussi.

* Propos recueillis par Anne Denis pour le journal Les échos, édition du 21 janvier 2008. Reproduit par les Editions La Brèche numérique.