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CHINE

Inégalités sociales en Chine : De l’alerte orange au rouge ?

Lundi 26 juin 2006, par Eva CHENG

L’écart entre les riches et les pauvres, qui a commencé à se marquer de plus en plus à partir de la fin des années 70, moment où Beijing a choisi de se tourner vers l’économie de marché, a atteint un niveau record. Selon une étude récente de la Commission chinoise du développement national, les 10% de la population urbaine les plus riches du pays possèdent le 45% des biens, alors que les 10% les plus pauvres n’en ont que le 1,4%. La situation est telle que le Study Times, journal de l’école du Parti communiste au pouvoir, a constaté que le feu orange était allumé et que l’alerte rouge pouvait être dépassée dans les cinq prochaines années.

Selon le ministère du travail et de la sécurité sociale, les 20% de Chinois les plus riches du pays accaparent 55% des richesses, alors que les 20% les plus pauvres doivent s’en partager le 4,7%. [1]

Entre villes et campagne, les inégalités sont manifestes : d’après l’Académie chinoise des sciences sociales, en 2002, 93% des 10% les plus riches résidaient dans les villes et 7% à la campagne, alors qu’à l’autre bout de l’échelle, les 10% les plus pauvres se trouvaient à 1,3% dans les villes et 98,7% dans les campagnes. Le rapport 2005 du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) note sur ce point que l’écart entre le niveau de revenu dans les villes et dans les campagnes est « peut-être le plus élevé du monde ».

Si l’on prend un autre indicateur, le coefficient Gini, qui mesure la distribution des revenus sur une échelle allant de 0 à 100 (0 étant l’égalité absolue, 100 l’inégalité absolue), il est passé en Chine de 28,8 en 1981 à 38,8 en 1995 et à 45 en 2002, s’accroissant ainsi de moitié en vingt ans.

En 2000, l’indicateur Gini de la Chine s’établissait à 44,7, nettement à la traîne de l’Inde (32,5), faisant figurer le pays au 90e rang (sur 131) du classement de l’égalité des revenus. Un résultat peu présentable.

Avancer en reculant

Le rapport du PNUD observe : « comparée au premier temps des réformes, l’inégalité de la distribution des revenus en Chine s’est accrue rapidement. Ce phénomène se manifeste aussi bien entre les zones urbaines et rurales, entre les villes, entre les régions et entre les groupes de population et il a débouché sur un écart grandissant de la distribution des richesses entre riches et pauvres. »

L’accélération a été particulièrement marquée lors de deux périodes cruciales, au début des années 90, lorsque le régime a décidé « d’approfondir » les réformes (c’est-à-dire de se diriger à toute vapeur vers la restauration du capitalisme) et depuis 1997, date du début des privatisations des entreprises d’Etat.

Le rapport souligne : « la croissance de l’inégalité des revenus personnels dans les zones urbaines est devenue spectaculaire à partir de 1992, lorsque Deng Xiaoping à fait son déplacement dans le sud de la Chine pour lancer une nouvelle vague de réformes économiques ». Il poursuit « Au début des années 80, la croissance économique rapide de la Chine a été accompagnée d’une réduction spectaculaire de la pauvreté dans les régions rurales. Mais dans les années 90, bien que l’économie continuât de croître, la réduction de la pauvreté s’est ralentie. L’une des raisons de cet état de chose est l’augmentation de l’inégalité des revenus. »
Pourquoi cette croissance des disparités sociales ?

La question est inséparable du tournant vers restauration du capitalisme - la soi-disant économie de marché socialiste - entamé par Beijing en 1992. Le tournant était présenté comme la voie chinoise vers le socialisme. De fait, la disparition des entreprises d’Etat et des prestations sociales qu’elles fournissaient (logement, accès aux soins, à l’éducation, etc.), suivant celle des communes populaires et des entreprises coopératives à la campagne, n’a fait qu’accroître les inégalités sociales. La décentralisation fiscale a brisé toute possibilité d’une politique sociale nationale et l’émergence de potentats régionaux et locaux, corruptibles et corrupteurs, n’a fait qu’empirer les choses.

Rien de surprenant donc que la revue Number One Business Daily note, le 20 février, que les coûts de l’éducation et de la santé figurent parmi les sources majeures des inégalités sociales. Une enquête menée dans huit villes grandes et moyennes (y compris Beijing, Shangai et Guangzou) concluait que 40 à 50% des pauvres interviewés mentionnaient l’éducation comme raison principale de la pauvreté de leur ménage. Dans l’échantillon de l’enquête, elle représente 32,6% du budget des ménages ruraux, 25,9% de celui des ménages des grandes villes et 23,3% de celui des ménages des villes moyennes. Le coût du traitement médical d’une maladie importante est de 7 000 yuans, alors que le salaire moyen mensuel net à la campagne est de 2 000 yuans.

Mais même si le coefficient Gini de distribution des revenus en Chine est très proche de celui des USA, seuls 65% des habitants de ce pays en concluent que l’inégalité des revenus est trop grande ; ils sont 95% en Chine. Et le rapport du PNUD en conclut que les populations de la Chine et des anciens pays socialistes « ont une plus faible tolérance à l’inégalité » ! Comme le rappel d’une conscience socialiste de ces populations et de leurs espérances en un droit à l’égalité sociale.

Eva CHENG

Note

1. Martine Bulard, « Progrès et inégalités : la Chine aux deux visages ». Le Monde diplomatique, janvier 2006, p. 12.
CHENG Eva
* Paru dans "solidaritéS" n°89 (14/06/2006). Tiré de : Green Left Weekly, 12.4.2006. Traduction et adaptation de la rédaction de la rédaction de "solidaritéS".