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VENEZUELA

Essais et erreurs d’Hugo Chavès

Mardi 13 novembre 2007, par Steve Ellner

Chavez utilise-t-il les revenus exceptionnels du pétrole à bon escient ou les dilapide-t-il dans la désorganisation, la corruption et les priorités mal définies ? C’est une des questions dont débattent les Vénézuéliens.

En avril 2006, après avoir tenté de démolir le pont situé sur l’autoroute reliant Caracas au port de La Guaira, un ouvrage dont la structure était dangereuse [1], l’opposition avait exprimé son indignation face à l’incompétence du gouvernement Chavez. Manuel Rosales, le candidat de l’opposition aux élections présidentielles de décembre 2006, avait accusé le président de « laisser le viaduc Caracas-La Guaira s’effondrer » et d’ « avoir inauguré une multitude de projets publics, mais de ne pas les avoir mené à terme par la suite ».

Pourtant, le 21 juin 2007, le président Chavez a inauguré un nouveau pont, de 55 mètres de haut et de 800 mètres de long, soit plus que l’original. La construction s’est terminée dans les délais, à temps pour le coup d’envoi de la Copa América, la coupe continentale de football. Sous forme de pique, la principale télévision publique a déclaré que l’opposition ne peut se voiler la face devant ce qui a été accompli. Sont en outre à mettre au crédit de Chavez neufs stades modernes et bien conçus, construits ou réaménagés pour cette compétition qui est organisée depuis 90 ans mais que le Venezuela accueillait pour la première fois.

Si le gouvernement a marqué un but, les questions soulevées par l’opposition résistent aux réponses faciles. Les prix du pétrole atteignent des sommets historiques. De surcroît, Chavez le nationaliste a mené de dures négociations avec les compagnies pétrolières, qui paient désormais 33% de royalties pour les nombreux gisements du bassin de l’Orénoque, alors qu’elles n’en payaient que 1% durant l’époque néolibérale des années 1990. Pour financer ses programmes expérimentaux, il compte non seulement sur l’augmentation des recettes pétrolières, mais aussi sur une mise en œuvre rigoureuse du système d’impôt sur le revenu [2]. Mais les Vénézuéliens débattent pour savoir si Chavez utilise les revenus exceptionnels du pétrole à bon escient ou s’il les dilapide à cause de la désorganisation, la corruption et en déterminant de mauvaises priorités.

La controverse sur les performances du gouvernement n’est pas anodine parce qu’une large part de la manne pétrolière est investie dans des programmes sociaux novateurs destinés aux pauvres. Chavez appelle « socialisme du 21e siècle » le modèle qu’il aspire à créer. Il y réserve une large place à la solidarité et à la démocratie par en bas et donne la priorité au social sur l’économique.

D’une certaine manière, le débat actuel sur les programmes gouvernementaux rappelle le conflit qu’a vécu le Venezuela durant le boom pétrolier des années 1970. Les néolibéraux ont fortement critiqué cette décennie, notamment le premier gouvernement de Carlos Andrés Pérez, qui a utilisé le surplus de recettes pour accroître le rôle de l’État dans l’économie sans arriver à des résultats concrets. A propos de cette situation, Terry Karl, professeur en sciences politiques à Stanford, parle de « paradoxe de la richesse » (Paradox of Plenty). Selon elle, au lieu de favoriser le développement, l’explosion des recettes pétrolières a donné lieu à des distributions plus importantes, renforçant à la fois la dépendance vis-à-vis de l’État et un climat de paternalisme. Ironie de la situation, Pérez, qui avait alors nationalisé le pétrole et le fer, est revenu au pouvoir en 1989 pour imposer des mesures néolibérales qui se sont soldées par un fiasco et l’ont poussé vers la sortie.

Dans le cas de Chavez, il y a eu des exagérations. Son gouvernement a commis des erreurs en gérant des programmes sociaux qui ont coûté des fortunes et ont impliqué une foule de gens. Il n’en reste pas moins que les programmes qui fonctionnent ont commencé à transformer la vie des pauvres du Venezuela, qui jusque-là étaient totalement ignorés par les représentants politiques.

Une partie de l’opposition prêtent au gouvernement une incompétence qu’ils attribuent à la composition du mouvement chaviste, majoritairement issu des classes inférieures et comprenant peu de diplômés de la classe moyenne. Dans ce qui pourrait être interprété comme une insulte envers les pauvres, qui sont dépeints comme vivant de subsides de l’État, Rosales a qualifié les chavistes de « parasites », une désignation que Leopoldo Puchi, l’un de ses alliés, a jugée inappropriée. Quoi qu’il en soit, Chavez a renforcé involontairement cette accusation en faisant des remarques désobligeantes sur les « bureaucrates » du gouvernement et en nommant des ministres qui manquent d’expérience professionnelle.

Des coopératives dépendantes de l’État

De tous les programmes lancés sous Chavez, les nouvelles coopératives de travailleurs présentent un bilan des plus mitigés.

En 2004, le gouvernement a créé le ministère de l’Économie populaire, chargé de mettre sur pied des programmes de formation et de faciliter les prêts dans le but d’encourager ceux qui cherchaient à former des coopératives. En 2005, Chavez a sillonné le pays afin d’autoriser des prêts dans le cadre de « réunions de gouvernement régionales » télévisées, au cours desquelles les bénéficiaires exposaient leurs projets et répondaient à des questions. Une grande majorité des coopératives ne dépassent pas de beaucoup les cinq membres (le minimum légal) et s’occupent de travaux de maintenance pour le compte des gouvernements locaux et d’entreprises publiques, comme celle de l’industrie pétrolière. La plupart de ces petites coopératives sont composées des membres d’une même famille, une configuration qui fonctionne généralement bien puisque une confiance mutuelle règne parmi les associés. Des porte-parole du gouvernement ont mis en avant certaines coopératives, comme celles des pêcheurs, qui se sont mise à défier des compagnies en position de monopole.

La coopérative Venezuela Avanza du noyau endogène « Fabricio Ojeda » est l’une des plus grandes : elle compte 150 travailleurs (uniquement des femmes, à une exception près). Les structures sanitaires et éducatives des coopérants sont également destinées aux résidents des classes inférieures qui vivent dans les environs, dans la partie occidentale de Caracas.

Lors d’une visite de présentation, Alida Bastida, un « superviseuse » élue par les travailleurs, a été très fière de montrer les huit machines à coudre achetées par sa coopérative, contrairement à d’autres équipements, qui sont des dons de la compagnie pétrolière d’État. Interrogée sur l’absentéisme, elle explique : « Si un travailleur souffre d’un problème de santé légitime, il peut bénéficier d’un congé tout en recevant le même salaire que n’importe qui d’autre. Par contre, à la fin de l’année, le bénéfice de la coopérative est redistribué à chaque travailleur sur la base du nombre de jours travaillés. » L’année dernière, la part du bénéfice empochée par les travailleurs atteignait presque leur salaire annuel.

L’échec de nombreuses coopératives financées par l’État — dû à l’improvisation ou à une mauvaise utilisation des fonds publics — a engendré des pertes de dizaines, voire de centaines de millions de dollars. Reste que les coopératives qui ont résisté à l’épreuve du temps peuvent contribuer à transformer la société, notamment parce que la majorité de leurs membres proviennent de secteurs non privilégiés de la population.

Les coopératives dépendent fortement de l’État. Les mesures d’encouragement comprennent des crédits généreux, de longs délais de remboursement et une exemption de toute taxe. Une coopérative montre des signes d’indépendance lorsqu’elle finit de rembourser l’emprunt initial et qu’elle acquiert son propre équipement. Lors d’une conférence sponsorisée par l’Université de Carabobo, un coopérant a déclaré : « Nous avons remboursé notre emprunt en sept mois, ce qui nous donne une grande satisfaction. Maintenant ce sont eux [la banque d’État] qui nous relancent et nous poussent à prendre un nouveau crédit. »

L’expérience a montré à quel point il est difficile de décréter d’en haut des changements aussi expérimentaux dans la vie des gens. Le gouvernement a évalué à 140 000 le nombre de coopératives en 2006, mais cette année, le ministère de l’Économie populaire a annoncé qu’il n’en comptait que 74 000. Un recensement plus récent indiquait même qu’elles ne seraient que 48 000. Nombreuses sont les coopératives qui n’ont jamais décollé. Dans d’autres cas, des membres ont empoché l’argent des prêts ou les acomptes pour des contrats. Un député pro-Chavez a admis : « Jusqu’ici personne ne peut dire que le programme des coopératives a été un succès. En fait, il n’y a pas grand-chose à faire valoir si l’on considère tout l’argent qui a été dépensé. »

En réponse à ces difficultés, le ministère a tenté d’exercer davantage de contrôle, mais il se peut qu’il ait versé dans l’excès inverse. Les coopératives sont désormais tenues de demander tous les trois mois au bureau principal du ministère, à Caracas, un certificat attestant qu’elles ont bien assumé leurs responsabilités. Les démarches, qui incluent la présentation d’un bilan signé par un expert-comptable, demandent énormément de temps. Par ailleurs, la coopérative doit prouver sa solvabilité en matière d’obligations financières envers des agences gouvernementales telles que la sécurité sociale ou encore l’institut de formation professionnelle.

Chavez et ses supporters attribuent généralement les problèmes des coopératives au manque de conscience sociale de leurs membres. Pour y remédier, ils préconisent une transformation culturelle sur le modèle de ce que Che Guevara appelait « l’homme nouveau ». Toutefois, dans la promotion des coopératives et d’autres programmes sociaux, le gouvernement fait face à un problème plus pratique, que les dirigeants « chavistes » n’ont pas reconnu : s’il est vrai que des mécanismes ont été créés afin de surveiller les coopératives, aucun membre n’a encore été sanctionné pour avoir manqué à ses obligations légales. Certes, Pedro Morejón, a annoncé, à la fin de l’année dernière, quand il était encore ministre de l’Économie populaire, avoir porté devant les tribunaux 300 cas, mais on ignore si Chavez, qui se défini comme le président des défavorisés, voudra mettre en prison des gens qui ont utilisé à mauvais escient de l’argent public, ou saisir leurs biens.

En revanche, un des aspects positifs des coopératives est qu’elles ont permis à de nombreuses personnes d’acquérir des compétences administratives et de changer leur attitude en matière de coopération et de solidarité. Les membres des coopératives sont tenus légalement de travailler pour leur communauté, d’assurer par exemple un service de maintenance dans les écoles ou de distribuer des cadeaux de Noël aux enfants. De plus, l’expérience du partage des bénéfices de l’entreprise rompt avec la tradition du travail salarié et tend à influencer leur manière de penser.

La « massification » de l’éducation à tous les niveaux

Le bilan des programmes d’éducation connus comme les « missions », qui concernent aussi des centaines de milliers de Vénézuéliens défavorisés, est plus positif que celui des coopératives. Destinés principalement aux adultes, ils dispensent un enseignement de niveau primaire, supérieur et universitaire au moyen de cassettes vidéo conçues à Cuba ; des « facilitateurs » sont présents dans les salles de classe pour répondre aux questions des étudiants.

En octobre 2005, Chavez a annoncé que le programme « Mission Robinson » avait atteint son objectif, à savoir apprendre à lire et à écrire à 1,5 million de Vénézuéliens, et donc éradiquer l’analphabétisme dans le pays. Toutefois, certains participants n’ont appris qu’à écrire leur nom. La « Mission Ribas », quant à elle, implique près d’un million de Vénézuéliens, dont 200 mille reçoivent une bourse d’environ 100 dollars par mois. Ce programme s’adresse notamment aux plus exclus de la société - comme les indigènes, les handicapés, les délinquants et les prisonniers.

Si des cassettes vidéo ont déjà été utilisées à des fins d’enseignement dans d’autres pays, jamais elles ne l’ont été de manière aussi massive. Héctor Navarro, qui a dirigé la Mission Ribas dans l’État de Bolivar au cours des trois dernières années, explique la nature expérimentale du programme : « Nous aurions voulu que nos facilitateurs soient titulaires d’un diplôme universitaire, mais la grande majorité ont seulement terminé des études secondaires. Ils apprennent donc sur le tas. Leur formation se fait sous forme de réunions de groupes au cours desquelles ils cherchent des solutions à des problèmes, sous la supervision du coordinateur de l’école, qui a généralement suivi une formation universitaire. »

De nombreux étudiants de niveau universitaire qui suivent les cours des « missions » craignent que les écoles et les associations professionnelles qui désapprouvent la nature non conventionnelle du programme ne reconnaissent pas leur titre. Afin d’éviter toute discrimination, le gouvernement a conclu avec les universités placées sous la houlette du ministère de l’Éducation des accords en vertu desquels celles-ci supervisent les « missions » et remettent les diplômes en leur nom propre. Toutefois, les universités les plus importantes ont refusé de coopérer.

Des membres de l’opposition affirment qu’en abaissant la qualité de l’éducation, le programme des « missions » abaisse également la valeur des diplômes existants. Selon eux, plutôt que de délivrer des diplômes de niveau primaire, secondaire et pré-universitaire, les « missions » devraient octroyer des diplômes spécifiques de sorte à ne pas saper le système éducatif en place.

Le besoin d’assimiler les erreurs

La combinaison de progrès et d’occasions manquées ne caractérise pas que les programmes sociaux, mais tous les types d’initiatives gouvernementales. La rhétorique et les actions révolutionnaires de Chavez ont suscité de grandes attentes, ce qui contribue à ses formidables succès électoraux. Cependant, son gouvernement est confronté à de nombreux problèmes pratiques.

Un exemple. Le gouvernement Chavez a grandement amélioré les transports publics. Le Venezuela est l’un des rares pays dans le monde à se construire un réseau ferroviaire. En juin, un service de trolleybus a été inauguré à Mérida, dans les Andes, faisant désormais d’elle la plus petite ville d’Amérique latine à être dotée d’un tel système. L’année dernière, des métros ont commencé à rouler dans les villes de Valencia et de Maracaibo, une nouvelle ligne a été ajoutée dans le centre de Caracas, et deux voies ferrées relient désormais ce système à des villes avoisinantes. Le ticket de métro coûte moins de 20 centimes d’euro et ce moyen de transport est gratuit pour les personnes de plus de 60 ans.

Dans le même temps, la prospérité engendrée par le pétrole a exacerbé le trafic automobile ainsi que les problèmes qui s’y rapportent. Au cours du premier semestre de cette année, les ventes de voitures ont augmenté de 52% par rapport à la même période de l’année dernière ; 65% des véhicules vendus ont été importés. Bien que Chavez ait vivement critiqué les 4x4, il n’a pas instauré de taxe spéciale sur ce genre de véhicule, ni sur les voitures en général. Au contraire, le gouvernement a encouragé les Vénézuéliens pauvres à acheter des voitures en supprimant la taxe sur la valeur ajoutée pour les produits autres que les produits de luxe.

Pour que le Venezuela puisse tirer des leçons des erreurs commises sur la nouvelle voie qu’il a empruntée, la discussion au sein du mouvement est indispensable. Les médias privés se portent à merveille et continuent à critiquer le gouvernement, parfois de façon agressive, malgré le non-renouvellement de la concession de la chaîne de télévision RCTV. Mais les critiques de l’opposition ne sauraient remplacer la critique constructive formulée par ceux qui défendent le projet révolutionnaire.

Durant leurs huit années et demi au pouvoir, les partis pro-Chavez ne sont pas parvenus à établir des mécanismes internes de discussion. La récente création du Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV) - qui sera le « parti le plus démocratique de l’histoire du Venezuela », selon les termes du président - remédie à ce manque en organisant des élection internes et en convoquant un congrès idéologique. Avec des ressources aussi considérables à sa disposition, le gouvernement ne peut croire qu’il ne commettra pas d’erreurs. Il est impossible de ne pas se tromper sur cette voie du changement faite d’expérimentations et d’erreurs. Le principal défi pour le gouvernement est de trouver comment encourager un débat constructif qui permette de convertir les mauvaises expériences en des programmes efficaces.

NOTES :

[1] [NDLR] Il menaçait de s’effondrer.

[2] [NDLR] Lire Francisco Peregil, Gregorio Vielma Mora, le nouvel Eliot Ness vénézuélien,RISAL, 30 avril 2007.

En cas de reproduction de cet article, veuillez indiquer les informations ci-dessous :
RISAL - Réseau d’information et de solidarité avec l’Amérique latine
URL : http://risal.collectifs.net/

Source : In These Times (http://www.inthesetimes.com/), septembre 2007.

Traduction : Chloé Meier Woungly-Massaga, pour le RISAL (http://risal.collectifs.net/).

Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l’entière responsabilité de l’auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du Réseau d’Information et de Solidarité avec l’Amérique Latine (RISAL).
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