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Émeutes de la faim

Mercredi 21 mai 2008

La longue liste des « troubles » liés à cette envolée des cours mondiaux des matières premières ne suit pas un ordre chronologique, mais un ordre géographique. Chacun pourra y ajouter ce que nous avons pu omettre ou les derniers développements d’une situation qui ne fait que s’aggraver. Cette liste non exhaustive se déroule depuis le Mexique et Haïti puis l’Afrique de l’Ouest vers l’Est pour faire ressortir à la fois cette ceinture explosive, la concomitance et les caractères similaires de ces réactions prolétariennes.

Ce qui frappe, lorsqu’on connaît (mal, d’après ce que les médias veulent bien livrer) ces réactions, c’est leur caractère immédiat de violence (on peut y trouver des similitudes avec les luttes « le dos au mur » qui éclatent dans nos propres cités). Ce caractère leur est commun, qu’il s’agisse de manifestations populaire spontanées ou de grèves dirigées à l’origine contre les exactions d’un employeur. On peut y voir une réponse à la violence de la répression qui s’exerce aussitôt pour réprimer ce qui est d’emblée une contestation globale d’un système plus que du pouvoir en place. On peut y voir aussi des utilisations des oppositions politiques dont l’intervention masque les réalités sociales de ces émeutes. On peut y voir aussi, découlant souvent de ces manipulations politiques, des conflits ethniques ou religieux.
Mais toutes ces évolutions, ces diversions, ne sauraient masquer le caractère initial et général, au-delà de tous les particularismes, d’une sorte de mouvement global, bien que non exprimé comme tel, contre un système qui enferme leur vie dans une prison dont ils ne peuvent s’échapper qu’en faisant sauter les murs.

Il est difficile à la fois de parler de tous ces mouvements de révolte qui peuvent se dérouler dans ces régions (le spectaculaire guidé par des intérêts capitalistes prenant le pas sur ce qui ne peut « servir ») ou d’en situer exactement les causes réelles des causes apparentes s’y substituant. Pour ces mêmes raisons, on ne peut en donner les détails, notamment comment ces mouvements naissent et se sont organisés.
Lors de la dernière rencontre annuelle internationale de capitalistes et de leurs divers séides à Davos en Suisse, une de ces sommités déclarait, en relatant des émeutes de la faim au Maroc, en Ouzbékistan, au Yémen, en Guinée, en Mauritanie et au Sénégal, émeutes liées à la hausse exorbitante du prix des produits alimentaires, que « Ces phénomènes inquiétait bien davantage les gouvernements que l’augmentation du prix de l’essence ». Une autre sommité pouvait aussi souligner que dans 36 Etats dont le Lesotho, la Somalie, la Zambie et le Mozambique, la plupart des habitants n’ont plus de quoi acheter leur nourriture et sont tout simplement menacés par la faim et qu’en Asie 2,5 milliards d’habitants dépendent d’une nourriture de base bon marché et abondante alors que la prix du riz a augmenté de 75% en 2007. L’organisation des Nations Unies pour l’agriculture (FAO) a lancé en février 2008 un avertissement que l’essor incontrôlé du prix des céréales constituait pour les « pays en développement » un lourd fardeau financier qui entraîne le déclin de la consommation alimentaire. Ces pays vont payer 35 % de plus (1) pour leurs importations de céréales même si les achats ont diminué de 2 %.

La Food and Agricultural Organisation (FAO) a signalé des émeutes au Mexique en 2007. Le 31 janvier 2007, des dizaines de milliers de manifestants, dont beaucoup de paysans et de syndiqués, ont défilé à Mexico, suite à la plus forte hausse du prix de la tortilla, aliment de base des pauvres.

A Haïti, où la misère est telle qu’on y mange des galettes de terre, les 3 et 4 avril, les manifestants « contre la vie chère » s’en sont pris aux Casques bleus de l’ONU. Dans le sud de l’île, des camions de riz et un entrepôt de vivres ont été pillés. On a compté quatre morts ce jour-là, puis un cinquième dans de nouvelles manifestations le 7.

Au Maroc, le 24 septembre 2007, des émeutes ont éclaté à Sefrou, suite aux dernières augmentations des prix des denrées alimentaires de base. Au total plus de 300 blessés, et une quarantaine d’arrestations.
Le gouvernement a annulé la hausse (de 30%) du prix du pain qui venait d’être décidée au lendemain des élections législatives et à la veille du mois de Ramadan.

Après la Mauritanie – qui importe 70 % de ses besoins alimentaires et où le PAM prévoit « une crise alimentaire sérieuse en 2008 » (la pénétration de l’islam radical dans ce pays ayant aussi un lien avec cette misère aggravée) et le Sénégal – vingt-quatre personnes arrêtées le 31 mars à Dakar lors d’une manifestation contre la vie chère, qui avait été interdite et a été réprimée par la police –, on arrive en Guinée où l’on a vu, en 2007, des troubles liés à la baisse du niveau de vie ponctués de grèves et de manifestations parfois violentes.

Le Burkina-Faso a vu en février et mars de très importantes manifestations contre la vie chère dans plusieurs villes. La vigueur de la répression a entraîné une grève générale de deux jours les 8 et 9 avril.
En Côte-d’Ivoire, le 31 mars, plus de dix personnes ont été blessées à Abidjan au cours de manifestations sporadiques contre la « vie chère » violemment dispersées par les forces de l’ordre. Il n’est guère besoin d’insister sur la guerre civile qui a secoué ce pays, autrefois un des fleurons de la décolonisation. La concurrence mondiale ayant ruiné la monoculture du cacao (qui dans son développement avait éliminé les cultures vivrières), une crise économique a déclenché une guerre civile politique, le tout exacerbé par la hausse des produits de base qui doivent être tous importés.

Au Nigeria, sur fond d’affrontements permanents dans la zone pétrolière côtière, des populations ruinées par l’extraction sauvage d’or noir mènent une guérilla faite de coupures (parfois meurtrières) de pipelines, de séquestrations et de sabotages. Fréquemment des grèves générales durement réprimées éclatent en réaction à des augmentations de prix et devant lesquelles la junte militaire a dû plusieurs fois céder.

En février et mars, le Cameroun voit des émeutes de la faim dans la plupart des villes avec pillage des boulangeries. Leur cause est toute simple : hausse du prix des carburants, de la farine, du ciment, etc. La réponse du pouvoir : des balles – il y aurait plus de 100 morts – et une légère baisse du prix des carburants.

Comme ailleurs, ces émeutes de la misère s’accompagnent de manipulations politiques contre un gouvernement qui s’accroche au pouvoir.

Le Tchad et le Sud du

Soudan (Darfour), mais aussi la

Somalie en proie à la guerre et à des déplacements de populations fuyant les combats, souffrent évidemment de pénuries alimentaires sporadiques et de pénurie sanitaire chronique (dans une région où la prévalence duVIH-Sida est forte).

On peut se demander d’une part si l’origine profonde de tels troubles n’est pas dans la misère renforcée par ces hausse du prix notamment des céréales et s’ils ont une autre origine (par exemple le pétrole comme au Soudan) quel est l’impact de telles situations sur des approvisionnements alimentaires de plus en plus chers, qu’ils relèvent du commerce ou de l’aide humanitaire.

La situation du Kenya, l’un des derniers pays à être entré dans la ronde infernale, n’est pas sans rappeler celle de la Côte d’Ivoire. En janvier-février, ce pays autrefois présenté comme un modèle de développement post colonial a soudain connu, surgissant apparemment de fraudes électorales, une explosion de violence et de massacres qui en quelques jours ont fait plus de 1 000 morts et provoqué le déplacement de 250 000 réfugiées. La vallée fertile, le Rift, qui sépare le pays en deux, a été le théâtre d’affrontements sanglants qualifiés d’ethniques mais qui recouvrent les séquelles de la colonisation dans une appropriation des terres fertiles et des emplois agricoles (exportation de fleurs et cultures maraîchères) par l’ethnie dominante.
Pour les plus pauvres ainsi éliminés de toute ressource paysanne, la pénurie alimentaire aggravée par l’envolée des prix est le moteur de la révolte qui, manipulée par l’opposition politique, prend ces formes de conflits de pouvoir et d’affrontements ethniques. Par contre-coup, les approvisionnements de carburant et de produits de base des pays voisins, Ouganda, Rwanda, Burundi, Congo, se sont raréfiés et les prix s’envolent.

Le Zimbabwe connaît depuis des années un chaos économique et l’inflation y est telle (240 % en décembre 2007 et 66 000% pour tout 2007) que nombre de travailleurs sont payés avec des paniers de provisions. Ce pays connaît une situation politique particulière, son président Robert Mugabe ayant décidé à la fin des années 1990 de redistribuer les terres à ses partisans, sans formation agricole. Depuis, ce pays autrefois surnommé « grenier à blé de l’Afrique » et fournisseur du Pam, en est devenu client. En mars-avril des troubles ont éclaté pour chasser le dictateur qui, bien qu’il ait organisé et perdu des élections, s’accroche au pouvoir.

En Égypte, où des manifestations contre la vie chère avaient encore lieu en avril, avec par exemple à Mahallah la participation des ouvriers de l’usine textile Misr Filature et Tissage (3), un ministre a déclaré : « Nous ne pouvons élever le prix des denrées déjà lourdement subventionnées et les variations resteront à la charge de l’Etat » (4). Le gouvernement a dû devant la récurrence de conflits depuis décembre 2006, céder à des revendications ouvrières portant essentiellement sur des augmentations de salaire pour faire face à la hausse du niveau de vie. L’un de ces conflits en février 2008 a débordé le cadre de ces revendications d’usine pour se transformer en manifestation radicale politique qui a contraint le gouvernement à des concessions globales sur les salaires. Courant janvier, le gouvernement avait déjà dû, pour freiner la hausse du prix du riz, en interdire l’exportation. Plus récemment, des cartes de rationnement pour se procurer à prix cassés de l’huile de palme et de la farine de blé ont été distribuées à plus de 7 millions de familles.

Si la déclaration de Davos parle d’émeutes de la faim au Yémen 17, elle ne fait pas allusion aux conflits sociaux qui ont éclaté récemment dans les émirats Arabes UNIS 18 et particulièrement marqués à Dubaï. Là, où la population est composée à 80% d’immigrés venus de toute l’Asie du Sud-est, les salaires stagnent depuis des années alors que la nourriture est de plus en plus chère. Des grèves des travailleurs du BTP ont conduit à l’expulsion d’un grand nombre de ces esclaves modernes ; bien qu’une convention avec des garanties minimales de salaires et de conditions de travail ait été conclue entre les Emirats et les pays exportateurs de main-d’œuvre, elle servira à garantir l’approvisionnement en chair fraîche plus qu’à modifier la réalité, Tout le Moyen-Orient est pris, on le sait assez, dans une tourmente de conflits internes et de guerres qui, à coup sûr, masquent les incidences que ces hausses de produits de base peuvent avoir soit sur des population luttant dans une économie totalement déstabilisée ou vivant dans des camps alimentés par des aides politiques ou humanitaires en subissant aussi les conséquences.

L’Iran a connu aussi récemment des grèves et manifestations – violemment réprimées - suite à la hausse du prix des carburants. Le 10 janvier 2008, au Pakistan 20 les conflits politiques ont éclipsé des manifestations motivées par le manque de farine de blé. Des cartes de rationnement ont été rétablies distribuant à prix réduit farine et huile pour 7 millions des plus démunis.

L’Inde, qui compte 300 millions de pauvres (29 % des 1 100 millions d’habitants), souvent des paysans sans terres appartenant aux basses castes, connaît constamment des émeutes localisées, occasionnées manifestement par des situations extrêmes de pauvreté (exacerbées par les hausses de prix) mais qui souvent s’expriment par des affrontements ethniques ou religieux – comme, en décembre 2007, des attaques contre des minorités chrétiennes dans l’Etat d’Orissa (côte est de l’Inde) qui ont fait 5 morts et laissé 400 maisons incendiées. La population la plus pauvre manquerait, à cause de la hausse des prix, d’huile alimentaire, de blé, de riz et de haricots secs. A la suite de la sécheresse, la production de blé a diminué et les importations alimentaires ont crû de 54 % tout en restant insuffisante vu l’accroissement de la population.

Les réactions contre la pauvreté et l’appauvrissement au Bangladesh se sont manifestées, tout au long de l’année 2006 et au début de 2008 par des grèves surprises qui aussitôt deviennent des émeutes (voir p. 17) étendues à toute une zone, ceci malgré l’état d’urgence instauré en janvier 2007 (un gouvernement provisoire de technocrates, porté par l’armée, a pris alors le pouvoir ; cette autorité intérimaire a promis des élections d’ici à la fin 2008). Les dépenses alimentaires (dont la base est le riz) représentent 60 % du salaire moyen. Les 15 euros (inchangés) de salaire mensuel des usines textiles permettaient en 2000 l’achat de 6 à 7 kg de riz, aujourd’hui de seulement la moitié. La situation alimentaire catastrophique est aggravée par la violence des conditions climatiques (2,2 millions de sinistrés du cyclone Sidr qui a frappé le pays le 15 novembre, entraînant la mise en place d’un programme d’aide du PAM pour six mois).

En Birmanie, la junte militaire au pouvoir augmente brutalement, le 15 août 2007, le prix de l’essence de 66 %. Quatre jours plus tard, en protestation contre cette hausse et celle d’autres produits, des manifestations commencent à s’organiser autour d’une opposition politique. D’abord sporadiques elles prennent une énorme dimension associant la majorité de la population de l’ex-capitale Rangoon et l’ensemble du clergé bouddhiste. Comme elles se répètent et menacent de se transformer en émeutes, armée et police emploient les grands moyens, briser le mouvement par la force : 10 morts avoués, des centaines d’arrestations.

En Thaïlande, en février 2008, l’échec des militaires qui avaient pris le pouvoir suite à un coup d’Etat, incapables de résoudre les difficultés économiques engendrées par la hausse des cours mondiaux, sont contraints, sous la pression d’une tension croissante, de rendre le pouvoir aux civils qu’ils avaient évincés et qui doivent engager un programme de redressement de l’économie.

En Malaisie, par-delà des conflits ethniques latents, la hausse du prix du soja alimente les tensions entre communautés.

Le Vietnam, qui subit aussi ces hausse de prix (15,7 % d’inflation en février 2008, essentiellement due aux produits alimentaires) a connu 387 grèves en 2007 et de nouveau une vague de conflits début 2008, grèves qui se terminent généralement par des hausses de salaires.

On ne peut exclure de ce tableau la Chine, où les tensions sociales qui débouchent sur des grèves sont telles que le gouvernement central a promulgué un nouveau code du travail, applicable au 1er janvier 2008, contraignant les entreprises à améliorer les conditions d’exploitation. Seul le rapport de forces en décidera en fait. Mais dans le même temps, alors que l’inflation (8,7 % en 2007 contre 2% antérieurement) pousse de son côté à des revendications de salaires, le gouvernement tente d’établir un contrôle des prix sur des produits d’alimentation essentiels pour endiguer des revendications qui, si elles étaient satisfaites, perturberaient sérieusement l’économie chinoise, basée pour une large part sur les exportations à bas prix.

La Corée du Sud se trouve, comme beaucoup de pays industrialisés ayant peu de ressources naturelles, prise dans une contradiction quasi insoluble. D’un côté, pour éviter des revendications de salaire qui obéreraient les exportations, activité vitale pour le capital coréen, le gouvernement prend des mesures pour tenter de freiner la hausse des prix. Mais d’un autre côté, la récession américaine et l’instabilité du marché financier font qu’il ne peut vraiment endiguer cette hausse de prix.

Aux Philippines, en janvier 2008, pour prévenir une grève des transporteurs routiers, le gouvernement baisse le taux de la taxe sur les produits pétroliers. En mars 2008, le gouvernement cherche désespérément à importer 500 000 tonnes de riz alors que les pays producteurs ferment leurs exportations pour protéger le marché intérieur et la paix sociale.

Le problème du prix du soja (base du tofu, aliment courant), victime de l’expansion des cultures en vue de la production d’éthanol, se retrouve en Indonésie. L’huile de palme (dont le pays est un des premiers producteurs mondiaux) a vu son prix doubler en quelques mois du fait de son utilisation comme agrocarburant, d’où sa raréfaction dans son utilisation alimentaire (dans certains pays, le prix de cette huile est aligné sur celui du pétrole).

Le 16 janvier le gouvernement a dû décréter l’état d’urgence pour apaiser les tensions qui débouchaient sur des manifestations de masse notamment à Djakarta, à la limite de la violence ; en même temps était institué un contrôle des prix.

35 % du budget subventionnant déjà les produits alimentaires de base, le gouvernement tente de limiter les exportations et d’assurer les approvisionnements. D’autres manifestations ont tenté de faire baisser le prix du soja dont le prix a augmenté de 125 % en 2007 et de 50 % en janvier 2008.

Et l’on finit par Timor, où la situation économique a déclenché en février 2008 des affrontements politiques.