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ISRAEL

Un État en quête d’un homme fort

Entrevue avec Michel Warschawski

Mardi 11 septembre 2007, par Isabelle Avran

Un an après la guerre au Liban, la commission Winograd confirme l’impréparation du gouvernement israélien sans que ne soit remis en cause le choix de la guerre. Pour le journaliste et militant anticolonial israélien Michel Warschawski, l’impopularité du Premier ministre Ehud Olmert et de son gouvernement accompagne une véritable crise du politique. Le risque d’une nouvelle guerre est-il sérieux ?

PLP : Après le rapport de la Commission Winograd sur la guerre au Liban de l’été 2006, rendu en avril dernier, le rapport du contrôleur d’Etat Micha Lindenstrauss vient d’être remis à la Knesset. Tous deux fustigent la conduite de la guerre par le gouvernement. Le rapport de Micha Lindenstrauss met nommément en cause Ehud Olmert et Dan Haloutz [1], pour l’impréparation et la mauvaise gestion de la guerre et l’absence de défense des civils. Quelles ont été les genèses et vocations de ces commissions et comment analysez-vous leurs conclusions ?

- Michel Warschawski : Il aura fallu un an et beaucoup d’argent pour parvenir à des conclusions qui s’imposaient dès août 2006 et que tout un chacun connaissait : cette guerre a été un fiasco. Ces rapports confirment ce que le « bon sens populaire » savait : ce gouvernement n’a été capable d’en définir ni les objectifs, ni les moyens, l’armée est dans un état désastreux, le Premier ministre, le ministre de la Défense et le chef d’Etat major se sont avérés incapables. Ce qui est ahurissant, c’est l’indifférence de la classe dirigeante. Un indice : la Bourse n’a pas perdu un quart de point à l’annonce de leurs conclusions. Les businessmen connaissent une prospérité sans précédent, alors que l’on compte de plus en plus de pauvres.

La commission Winograd a été mise en place par le gouvernement lui-même. Les commissions nationales d’enquête nommées, elles, par le Président de la Cour suprême peuvent mener un travail intéressant ; ce n’est pas le cas de la commission Winograd. Ehud Olmert avait pris les devants et constitué une commission de moindre niveau, dont il a défini les objectifs et le mandat. Sur le fond, la société partage le sentiment que la guerre était justifiée. Celle-ci n’a été remise en cause ni pendant, ni après son échec.

PLP : Retrait prématuré de Moshé Katsav [2] de la présidence, impopularité maximale d’Ehud Olmert : assiste-t-on en Israël à une crise politique, sinon institutionnelle ?

- M. W. : On assiste en fait effectivement à une crise du politique, de la chose politique. Nombre de dirigeants politiques font aujourd’hui plus volontiers du business. S’y greffe une crise de l’Etat. Le journaliste Daniel Ben Simon pouvait écrire voici bientôt un an qu’il n’y a plus d’Etat [3]. La popularité d’Ehud Olmert est proche de zéro. Jamais un Premier ministre n’a connu une si forte impopularité, même Golda Meir après la guerre d’octobre 1973. Mais il semble qu’il n’y ait pas de remplaçant en vue. Et la majorité parlementaire ne veut pas prendre le risque d’élections anticipées qu’elle risquerait de perdre. Le parti Kadima, créé par Ariel Sharon, jouit d’une majorité confortable alors que son audience réelle est considérablement affaiblie. Au parti travailliste, Ehud Barak a remplacé Amir Peretz, mais c’est le parti lui même qui est en déliquescence. Si des élections avaient lieu, il me semble que le risque existerait de la recherche d’un homme fort et d’un pouvoir fort. Alors que domine le sentiment d’une vie politique minée par la corruption et par des incapables, il y a une aspiration forte à un homme fort, étranger à la vieille classe politique. C’est ce qui explique pourquoi l’homme d’affaires milliardaire Arkadi Gaydamak [4], jouit d’une réelle popularité. Il vient de créer un parti politique (« Justice sociale »). Mais il a annoncé ne se présenter qu’aux élections municipales à Jérusalem. Après son piètre score aux dernières élections, le Likoud peut progresser, mais l’arrogance et l’aventurisme de Benyamin Netanyahou, son président, font peur. En revanche, Avigdor Lieberman, fondateur et dirigeant du parti Israël Beitanou, progresse. Il représente l’extrême droite dure. Avigdor Lieberman parvient à faire oublier que lui-même est membre de l’actuel gouvernement. Si le mouvement de la paix, dans son sens large, ne s’est pas encore remis de la déroute de l’été 2000 (Le Grand Mensonge d’Ehud Barak), le mouvement anticolonial semble, lui, avoir progressé. La participation n’était pas négligeable lors des manifestations contre la guerre au Liban l’an dernier comme ce 9 juin pour dénoncer quarante ans d’occupation. Mais nous avions l’habitude de considérer le mouvement anti-colonial comme la petite roue susceptible de faire tourner la grande roue du mouvement de la paix, c’est-à-dire de La Paix Maintenant ; or celui-ci s’est considérablement affaibli.

Une départ sans fanfare. Après 34 jours d’une guerre totale contre le Liban, Israël évacue, finalement, ses dernières positions le 2 octobre 2006.

PLP : Après avoir refusé depuis 2000 toute négociation avec les Palestiniens, les dirigeants israéliens semblent à la fois se réjouir de la crise politique palestinienne et prétendre soutenir le président Mahmoud Abbas. Qu’en est-il ?

-M. W. : L’attitude du gouvernement israélien à l’égard des Palestiniens semble en apparence illogique. Ainsi, à la mort de Yasser Arafat, les dirigeants israéliens se sont officiellement félicités de l’arrivée de Mahmoud Abbas à la présidence sans pour autant accepter davantage une négociation avec lui, au contraire. Leur politique a visé non pas à le renforcer, mais à l’humilier et à l’affaiblir. Lorsqu’une telle politique a fini par contribuer à l’arrivée au pouvoir du Hamas, ils en ont appelé de nouveau à Abou Mazen, sans modifier pour cela leur politique. Aujourd’hui, ils annoncent restituer à Abou Mazen une partie de l’argent détourné aux Palestiniens. Ils prétendent vouloir le renforcer, tout en cherchant à ruiner sa crédibilité auprès de la population palestinienne. L’illogisme n’est qu’apparent. Tout se passe comme si le plan d’Ariel Sharon avait parfaitement fonctionné, qui visait à détruire les institutions palestiniennes et à atomiser la société. Il rêvait de séparer Cisjordanie et bande de Gaza comme de miner le mouvement national palestinien, sinon de semer les germes d’une guerre civile dont les risques sont aujourd’hui réels. Il s’agissait pour Ariel Sharon de tout mettre en oeuvre pour défaire ce mouvement national et inscrire le conflit dans le cadre d’une guerre dite « des civilisations ». Mais n’est-ce pas au fond à courte vue ?

PLP : De nouveaux risques de guerre contre le Liban, voire la Syrie ou l’Iran, sont aujourd’hui évoqués. Ces hypothèses sont-elles sérieuses et suscitentelles un débat ?

- M. W. : A lire les éditoriaux de la presse israélienne, l’hypothèse est loin d’être fantaisiste. On peut lire en juillet des scénarios sur une guerre possible en août. Pour autant, rien ne certifie qu’une guerre aura lieu. Aux Etats-Unis, la Maison Blanche défend une position belliciste, ce n’est pas le cas de la nouvelle majorité ni même du parti Républicain, comme le montre le rapport bi-partisan rédigé par Baker et Hamilton. Quant à Ehud Olmert, il est confronté au manque de crédibilité de la force de dissuasion militaire israélienne après l’échec de la guerre de l’été 2006. Perdre deux fois - fût-ce en réussissant à détruire massivement chez l’adversaire- serait risqué.

[1] Chef d’Etat-major, il a présenté sa démission en janvier 2007. Il a été remplacé par le général Gabi Ashkenazi.

[2] Accusé de harcèlement sexuel, d’actes indécents et de harcèlement d’un témoin, le président Moshe Katsav, pour lequel les accusations de viol ont été abandonnées après accord, a officiellement démissionné le 29 juin puis a été remplacé par Shimon Pérès.

[3] Journaliste et analyste politique au Ha’aretz, Daniel Ben Simon a écrit au lendemain de la guerre au Liban, le 5 septembre 2006, un papier remarqué qui s’intitulait « Betrayed by the State » (Trahi par l’Etat).

[4] Arkadi Gaydamak (franco-israélo-canadoangolais d’origine russe), propriétaire notamment du Betar, club de football de Jérusalem, fait l’objet d’un mandat d’arrêt en France dans le cadre de l’Angolagate et est recherché par Interpol.

Propos recueillis pas Isabelle Avran


Voir en ligne : www.france-palestine.org