|  

Facebook
Twitter
Syndiquer tout le site

Accueil > français > Archives du site > L’arc des crises > Le Pakistan malade de l’Afghanistan

Pakistan

Le Pakistan malade de l’Afghanistan

Vendredi 22 mai 2009, par Pierre ROUSSET

Les combats font rage dans la vallée de Swat, au nord-ouest du Pakistan. La crise afghano-pakistanaise est entrée dans une nouvelle phase.

Depuis sa création en 1947, le Pakistan est un pays sur pied de guerre, traversé des conflits internes, notamment avec les mouvements nationalistes baloutches, et de vives tensions frontalières. Pendant longtemps, la frontière « chaude » s’est située à l’Est – face à l’Inde – et singulièrement au Nord-Est sur l’abcès de fixation que constitue le Cachemire, territoire à majorité musulmane dont New Delhi a réussi à garder le contrôle. La zone « chaude » se trouve aujourd’hui au Nord-Ouest – côté Afghanistan – et cela change bien des choses.

Le conflit avec l’Inde a toujours permis à l’Etat pakistanais (en particulier à l’armée pakistanaise) de fonder sa légitimité. L’Inde est en effet l’« ennemi héréditaire », le Pakistan étant né de la division de l’Empire britannique sur une base religieuse – musulmans contre hindous – à coups de meurtriers déplacements de populations. La « partition » de 1947 a créé un fossé de sang soigneusement entretenu depuis. En revanche, le conflit à la frontière afghane oppose aujourd’hui les alliés d’hier : Washington et Islamabad (capitale du Pakistan) ont favorisé le développement de mouvements islamistes pour combattre durant les années 1980 les Soviétiques et le régime laïc de Kaboul (capitale de l’Afghanistan). Après les attentats meurtriers du 11 septembre 2001, le gouvernement US pouvait aisément faire des ennemis de ses amis. Il n’en allait pas de même pour les dirigeants pakistanais.

Face à la puissance démographique et à l’immensité géographique de l’Inde, seul l’Afghanistan peut, en cas de guerre, offrir au Pakistan une profondeur stratégique. Il faut pour cela à Kaboul un régime favorable à Islamabad : les talibans, le fondamentalisme sunnite offrant le ciment idéologique de cette alliance. Des tribus pachtounes occupent le terrain de part et d’autre d’une frontière internationale fort théorique. La question afghane devient ainsi une question intérieure au Pakistan.

L’intervention militaire de l’Otan en Afghanistan a ouvert une crise au Pakistan. Cette crise se noue aujourd’hui dans la vallée de Swat, un fief taliban. Mais elle a bien d’autres dimensions.

Pour conforter leur pouvoir, les classes et élites dominantes, l’armée et les partis clientélistes ont chacun à leur tour joué la carte de l’islamisation de l’Etat pakistanais. Ils ont ce faisant ouvert une boîte de Pandore avec, dans un premier temps, les conflits sectaires entre obédiences musulmanes chiites et sunnites. Puis, dans un deuxième temps, le développement au Pakistan même de mouvements talibans qui apparaissent aux yeux d’une grande partie de la population comme une terrible menace obscurantiste.

Par ailleurs, au temps de la guerre froide, l’appui des Etats-Unis et de la Chine était acquis, l’Inde étant soutenue par l’Union soviétique. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Alors même que l’intervention états-unienne en Afghanistan déstabilise le Pakistan et renforce « l’anti-américanisme » ambiant, Washington peut exiger d’Islamabad un engagement plus franc contre les talibans en le menaçant de se rapprocher encore plus de New Delhi.

Ce sont aujourd’hui les habitants de la vallée de Swat qui paient le prix d’une guerre régionale et de conflits religieux dont ils sont otages. Mais c’est l’Etat pakistanais tout entier qui peut demain entrer dans une crise de décomposition.

* Paru dans « Tout est à nous » n°9 du 21 mai 2009.


Voir en ligne : www.europesansfrontière.org