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La question de la dette

Vendredi 1er août 2008, par Abdourahmane Ndiaye et Samir Amin

Abdourahmane Ndiaye et Samir Amin

(i) Le discours dominant attribue la seule responsabilité de la dette aux pays emprunteurs dont les comportements auraient été injustifiables (corruption, facilité et irrationalité des décideurs politiques, nationalisme outrancier etc …). La réalité est toute autre. Une bonne partie des emprunts ont été en fait le résultat de politiques systématiques mises en œuvre par les prêteurs cherchant à placer un excédent de capitaux qui – du fait de la crise économique profonde des vingt dernières années – ne trouvaient pas de débouché dans l’investissement productif ni dans les pays riches ni dans ceux censés pouvoir recevoir leurs capitaux. Des débouchés alternatifs factices ont donc été fabriqués pour éviter la dévalorisation des capitaux excédentaires. L’explosion des mouvements de capitaux « spéculatifs » placés à très court terme résulte de ces politiques, comme leur placement dans la « dette » du tiers monde et des pays de l’Est. La Banque mondiale en particulier, mais tout également beaucoup des grandes banques privées des Etats Unis, d’Europe et du Japon, comme les transnationales ont une part de responsabilité majeure dont on ne parle jamais. La « corruption » s’est greffée sur ces politiques, avec la double complicité des prêteurs (Banque Mondiale, Banques privées, transnationales) et de responsables des Etats concernés du Sud et de l’Est. Un audit systématique des « dettes » s’impose en priorité. Il démontrerait qu’une grande partie des dettes en question sont juridiquement illégitimes.

(ii) Le poids du service de la dette est rigoureusement insupportable non seulement pour les pays les plus pauvres du Sud, mais même pour ceux qui ne le sont pas. Doit-on rappeler ici que lorsque, aux lendemains de la première guerre mondiale, l’Allemagne fut condamnée à payer des réparations qui s’élevaient à 7 % de ses exportations, les économistes libéraux de l’époque concluaient que cette charge était insoutenable et que l’appareil productif de ce pays ne pourrait s’y « ajuster ». Aujourd’hui les économistes de la même école libérale n’hésitent pas à proposer « l’ajustement » des économies du tiers monde aux exigences du service d’une dette qui est cinq ou parfois dix fois plus lourde. Deux poids, deux mesures. Rarement le discours libéral aura-t-il été autant cynique. En réalité donc le service de la dette est aujourd’hui une forme de pillage des richesses et du travail des peuples du Sud (et de l’Est). Une forme particulièrement juteuse puisqu’elle est parvenue à faire des pays les plus pauvres de la Planète des exportateurs de capitaux vers le Nord. Une forme particulièrement brutale qui libère les capitaux dominants des soucis et des aléas de la gestion d’entreprises et des forces de travail que celles-ci mettent en œuvre. Le service de la dette est dû, c’est tout. Il appartient aux Etats concernés (et non aux capitaux des « prêteurs ») de l’extraire du travail de leurs peuples. Le capitalisme dominant est libéré de toute responsabilité et souci : indice de sénilité ?

(iii) Un « classement » des dettes s’impose. Celles-ci peuvent être rangées sous l’une des trois rubriques suivantes :

* Les dettes indécentes et immorales :

Un bel exemple de celles-ci est fourni par les emprunts du gouvernement de l’apartheid de l’Afrique du Sud de l’époque, emprunts destinés à l’achat d’armes pour faire face à la révolte de son peuple africain. Pourquoi celui-ci devrait-il aujourd’hui « rembourser » cette dette ou en subir la charge ? Que les vendeurs d’armes en question se retournent contre leurs propres gouvernements qui ont toléré leur engagement actif au service de l’apartheid.

• Les dettes douteuses :

Il s’agit de ces emprunts qui ont été largement suggérés par les puissances financières du Nord (Banque mondiale incluse) et rendus possibles par des procédés de corruption dont les créanciers ont été les acteurs autant que les débiteurs. La plupart de ces emprunts n’ont pas été investis dans les projets qui en déguisaient l’octroi (et le fait était connu des prêteurs complices). Dans ces cas les dettes sont purement et simplement illégales aux yeux d’une justice quelconque digne de ce nom. Dans quelques cas les emprunts ont bien été investis, mais dans des projets absurdes imposés par les prêteurs (et notamment par la Banque mondiale). Ici aussi c’est le procès de la Banque qui mériterait d’être fait. Mais cette institution n’est pas « responsable » financièrement, s’étant placée elle même au dessus des lois et des discours du libéralisme sur les « risques » !

Ces dettes comme les précédentes doivent être répudiées après constatation par des audits appropriés de leur caractère douteux pour le moins qu’on puisse dire.

• Enfin les dettes acceptables :

Lorsque les emprunts ont été effectivement utilisés aux fins auxquels ils étaient destinés la reconnaissance de la dette n’est pas discutable.

(iv) La stratégie que nous avons proposée aux Etats du tiers monde et de l’Afrique en particulier est fondée sur le classement dessiné ci-dessus. Non seulement les dettes indécentes et douteuses doivent être unilatéralement répudiées (après audit) mais encore les paiements opérés à leur titre doivent être remboursés par les « créanciers », après leur capitalisation aux taux d’intérêts qui furent ceux que les débiteurs ont dû supporter. On verrait alors que c’est le Nord qui, en fait, est largement débiteur de ses victimes du Sud.

2. La gestion de la dette proposée aux « Pays Pauvres Très Endettés » (PPTE) relève d’une toute autre logique. L’ensemble de la dette est considérée comme parfaitement « légitime » sans examen ni audit. La proposition, analysée dans ce qui suit, relève du seul principe – inacceptable – de la « charité ». Il s’agit « d’alléger » la charge pour les « peuples très pauvres », mais par la même occasion, de leur imposer des conditions draconiennes supplémentaires qui les placent définitivement dans une catégorie proche de celle de « colonies administrées directement par l’étranger ».

Les principaux mécanismes de gestion de la dette des PMA avant l’Initiative des PPTE sont les suivants. Les rééchelonnements sont des aménagements négociés des échéances de remboursement au Club de Paris. Des délais de grâce sont alors accordés sans que les intérêts ne continuent de courir.

• Les rachats de dettes “ debt buy backs ”. L’emprunteur rachète la dette en profitant d’une décote qu’elle subit sur le marché secondaire des dettes. Il évite à l’avenir d’avoir à verser les intérêts afférents à la dette et à rembourser la totalité du capital emprunté. En revanche, cet achat s’opère dans des devises car le prêteur souhaite que le remboursement se fasse dans la monnaie d’emprunt ou tout au moins en monnaie convertible. C’est l’importance du coût en devises pour le pays endetté qui limite le nombre de ces rachats. Plus la décote est élevée, moins l’effort demandé à l’emprunteur est grand. Ainsi, la banque créancière qui récupère de “ l’argent frais ” assainit son bilan mais subit une perte d’actifs équivalant à la décote.

• Le rachat-conversion en actifs réels “ debt equity swap ”. L’emprunteur échange une créance contre une participation dans une entreprise publique ou, plus généralement, il rachète en monnaie locale et, avec la somme reçue, la banque investit dans le pays ou prend des participations dans des établissements financiers locaux. Cette opération met en relation une banque, un pays emprunteur et un investisseur.

• Les conversions en obligations “ exit bonds ”. Ce sont des obligations échangées sur la base d’une décote contre un titre généralement libellé dans la même devise que la dette. Leur durée est longue, de l’ordre d’une vingtaine d’années. Ces titres sont souvent négociables c’est-à-dire qu’ils peuvent être vendus librement sans l’accord de l’émetteur à toute personne morale ou physique désireuse de les acquérir.

• La réduction des intérêts ne s’applique en général que sur les dettes non concessionnelles. Elle s’opère si les pays du Nord consentent à octroyer des subventions aux banques qui acceptent de réduire leurs intérêts.

• L’annulation des créances . Cette solution à la crise de l’endettement international n’est pas nouvelle. En effet, dès 1978, les premières annulations de dettes sont opérées par l’Allemagne (1,8 milliards $ US) et la Grande-Bretagne (228 millions $ US) à l’initiative de la CNUCED. Dix ans plus tard, 12 pays annulèrent un peu plus de 3 milliards $ US qui ont essentiellement profité aux pays d’Afrique Subsaharienne mais ne représentent que 3 % du volume de la dette en 1988. Si une telle solution est souhaitable, il convient de remarquer que les annulations de dettes restent marginales lorsqu’on pose le problème de manière globale (2,3 milliards $ US entre 1980 et 1988). Même si les annulations ne constituent pas une solution idéale, elles représentent une bouffée d’oxygène pour les pays les plus endettés et les plus pauvres de la planète, notamment les PMA d’Afrique Subsaharienne.

La plupart des PMA ont exploité ces possibilités de désendettement pour obtenir au moins des annulations partielles. Entre 1978 et 1986, 33 des PMA ont bénéficié des mesures rétroactives de l’ajustement des conditions de la part des 15 pays du CAD, portant sur des dettes d’une valeur nominale totale de 4,1 milliards de dettes, dont 3 milliards de dollars sous forme d’annulation de la dette (CNUCED, 1986 : 128-134). Entre 1988 et 1998, presque tous les PMA ont bénéficié des remises de dettes dont le montant total nominal est 7,2 milliards $ US. Durant les années 1990, les PMA ont entrepris un rééchelonnement dans le cadre du Club de Paris, et pour la plupart, ce n’était pas le premier. En 1998, 12 PMA se sont adressés au moins cinq fois au Club de Paris pour une restructuration de leurs dettes. Dix PMA ont bénéficié d’une réduction de leur dette commerciale grâce au fonds de désendettement de l’IDA. Le montant total de la dette commerciale des PMA annulée au moyen d’opérations de rachat financées par ce fonds a atteint 620 millions de dollars, avec une forte décote (87 à 92 %) (CNUCED, 2000 : 140).
En 1998 pourtant, 27 des 42 PMA ploient sous le poids d’une dette extérieure jugée insoutenable. Or une lourde dette extérieure pèse de différentes manières sur l’investissement interne, moteur de la croissance et du développement. D’abord, les ressources versées au titre du service de la dette sont en concurrence directe avec la capacité des pays à importer des biens d’équipement et celle des pouvoirs publics à satisfaire les besoins de base des populations. Ensuite, une dette extérieure jugée insoutenable est source d’incertitudes pour les investisseurs nationaux et étrangers, elle nuit à la cote crédit du pays et donc à la perception du risque-pays pénalisant des entreprises potentiellement rentables d’accéder aux marchés financiers internationaux.

Comme on peut le constater, ces mécanismes “traditionnels” permettent sans doute d’alléger l’endettement de nombre de PMA, mais ils ne constituent pas une solution durable au problème de l’endettement extérieur excessif des pays. Pour déterminer l’ampleur de l’allégement de la dette, les créanciers évaluent le montant minimum à consentir afin que le service de la dette soit assuré sans renouvellement de l’annulation de dettes (Killick et Stevens, 1997 : 154). Compte tenu des conditions non favorables dans lesquelles se font les rééchelonnements, les pays débiteurs le répètent plusieurs fois et donc augmentent le stock de la dette. Pour que les rééchelonnements se fassent dans des conditions favorables, apparaissent les termes de Toronto (1988), de Londres (1991), de Naples (1995) et de Lyon (1998), décrétés par le G7 et mis en œuvre par les Institutions de Bretton Woods.

L’initiative des pays pauvres très endettés

L’initiative PPTE, prise en 1996 au cours des Assemblées générales annuelles de la Banque mondiale et du FMI à Washington et renforcée par les décisions prises à Cologne en juin 1999 par les membres du Sommet G7, se situe dans une perspective visant à apporter une solution durable à l’épineux problème de l’endettement extérieur des pays en développement. Pour bénéficier des avantages de l’Initiative PPTE (1996) et de Cologne (juin 1999) , des critères draconiens doivent être observés par les pays. Les principaux sont :

1. Le pays doit être très pauvre (environ 760 dollars de revenu annuel par habitant) et très endetté (ici s’appliquent des ratios tels que « encours de la dette égal ou supérieur à 265 % du PNB et le service égal ou supérieur à 25 % des recettes d’exportations ». Les critères sont tellement stricts et arbitraires que des pays endettés très pauvres ne sont pas considérés comme des PPTE. Ne sont pas admis dans la catégorie des PPTE éligibles pour des allégements éventuels des pays comme Haïti, le Bangladesh, le Pakistan, le Nigeria, le Pérou, l’Équateur, sans parler de l’Inde ou de l’Indonésie. Or, 80 % des plus pauvres de la planète vivent dans des pays qui ne sont pas considérés comme PPTE.

2. Le pays doit être considéré comme offrant des garanties politiques. C’est ainsi que des PPTE comme le Soudan, le Liberia, la République Démocratique du Congo, la Somalie ne peuvent imaginer entrer dans un processus de sélection tant qu’ils ne changeront pas radicalement d’orientation.

3. Le pays doit avoir appliqué avec succès durant 3 à 6 ans une politique d’ajustement structurel définie par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Ce sont ces deux institutions qui évaluent les résultats du pays. Ses chances de succès sont déterminés par elles. Si les réformes conduites durant les trois premières années qui précèdent le point de décision permettent d’accroître les exportations, l’allégement devient compromis. Malgré ce succès atteint après 3 ou 6 ans, le niveau de dette doit être encore considéré comme insoutenable par le FMI et la BM. Imaginons le cas suivant : les performances sont telles que le pays a vu son endettement devenir relativement moins pesant notamment parce que la valeur de ses exportations a augmenté. C’est arrivé en 1998 à l’Ouganda dont le café représente la principale exportation. Le prix du café venait de monter de manière passagère. Cela a été également le cas du Bénin. Conséquence, le FMI et la BM considèrent que le niveau d’endettement est devenu soutenable, il n’y a donc pas lieu d’alléger le fardeau de la dette. Conclusion : les autorités d’un PPTE ont donc intérêt à noircir la situation juste avant de se présenter à l’examen du FMI et de la BM. 

5. Il faut que le pays ait épuisé toutes les autres possibilités d’allégement au niveau du Club de Paris. Le pays se présente seul devant le Club de Paris, si ce dernier donne son feu vert, le pays rend une nouvelle fois visite au FMI et à la BM pour obtenir un allégement de remboursement à l’égard de ces deux institutions.

6. Depuis septembre 1999 avec l’initiative PPTE renforcée, une nouvelle étape rallonge ce parcours du combattant : les autorités du pays doivent élaborer un document intitulé « Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté » en partenariat avec la société civile. C’est la fameuse trouvaille du lien entre la lutte contre la pauvreté et le désendettement. Dans tous les cas, c’est une conditionnalité nouvelle qui vient s’ajouter aux autres déjà présentes dans le cadre des PAS. Pour la Banque mondiale, deux ans suffisent pour élaborer un programme de réduction de la pauvreté, mais l’Ouganda en a mis cinq !

Il convient de souligner que l’initiative PPTE vise les pays pauvres et pas exclusivement les PMA, mais elle est en passe de devenir un problème qui concerne essentiellement les PMA. Elle introduit quelques innovations qu’il importe de souligner :

• Elle pose l’introduction de la lutte contre la pauvreté comme conditionnalité importante de l’Initiative renforcée.

• Elle élargit l’éventail des dettes pouvant faire l’objet d’un allégement, en y incluant les dettes multilatérales. L’impossibilité d’annuler les dettes multilatérales par le passé a conduit les Institutions de Brettons Woods à accorder de nouveaux crédits afin de permettre le remboursement du service des dettes anciennes. Autrement dit, ces dernières prêtaient pour le remboursement de dettes, ce qui a fini par créer une situation insoutenable pour les PMA où les dettes multilatérales pèsent lourd, environ 60 % de la dette totale de long terme.

• Elle vise la viabilité de la dette. Selon Boote et al., (1997 :126), “l’endettement extérieur d’un pays est viable si l’on peut s’attendre à ce qu’il s’acquitte intégralement de ses obligations actuelles et futures sans devoir recourir à de nouvelles mesures de remises de dettes ou de rééchelonnements de dettes ou à l’accumulation d’arriérés, et sans que cela ne compromette trop sa croissance”.

• L’initiative PPTE, enfin, introduit de nouveaux sources et de mécanismes de financement de l’allégement de la dette par la vente d’or du Fonds monétaire international pour alimenter le fonds d’affectation spéciale. L’Initiative est fondée sur le concept central de soutenabilité.
La soutenabilité de la dette des PMA, un concept controversé
Le surendettement des pays africains constitue aujourd’hui un des principaux obstacles à la croissance et au développement économique dans cette région du monde (Dahou, Kassé et Ndiaye, 2000). L’emprunt extérieur a pendant longtemps été considéré comme une source de financement des déficits internes et externes (modèles à doubles déficits de Chenery et Strout, 1966). Au niveau interne, le déficit renvoie à l’insuffisance de l’épargne intérieure qui doit financer les besoins d’investissement. Au niveau externe, il s’agit de trouver les ressources nécessaires au financement du solde déficitaire de la balance courante. Nombre de pays ont donc recours à l’épargne externe pour couvrir leurs besoins de consommation et d’investissement. De ce fait, le financement extérieur vient s’ajouter aux recettes d’exportations pour autoriser des niveaux de dépenses supérieurs aux revenus réels permanents des économies endettées. Ainsi, le boom des recettes d’exportations tirées du pétrole a dirigé – au delà même de ces recettes – d’importants flux de capitaux vers les pays qui en ont bénéficié. Comme le dit l’adage, “on ne prête qu’aux riches” ! Jarret et Mahieu (1991) montrent, à travers l’exemple de la Côte-d’Ivoire, que ces apports de capitaux bénéficient également à des pays rentiers non pétroliers. Les mouvements de capitaux sont en effet guidés par les variations de taux d’intérêt, qui découlent elles-mêmes de la rareté relative du capital.

L’emprunt extérieur permet ainsi de desserrer certaines contraintes intérieures. Il donne la possibilité de différer des mesures de politique économique impopulaires, comme l’augmentation de la pression fiscale. Les mouvements de capitaux sont également considérés comme des mécanismes de transmission de la croissance à travers la substitution progressive de l’épargne locale aux flux extérieurs de capitaux. En fait, de tels modèles s’interrogent sur le niveau d’endettement extérieur compatible avec le taux de croissance de la production. En d’autres termes, il s’agit de déterminer les conséquences du financement extérieur sur la croissance et l’équilibre de la balance des paiements. La réponse la plus ancienne à cette question constitue la “théorie des stades de la balance des paiements” (Cairnes, 1874 ; Bastable, 1899). Selon elle, les économies passent par quatre phases successives qui marquent la transformation à terme des pays nouvellement emprunteurs en pays prêteurs évolués. Si tout le monde s’accorde sur la nécessité, pour les jeunes nations, de faire appel aux capitaux extérieurs, le processus d’endettement des pays africains n’est pas conforme au cycle de la dette.

Les modèles tirés de cette théorie reposent donc sur l’hypothèse que le financement extérieur est destiné à l’investissement productif. En vertu des modèles de croissance du type Harrod-Domar, il n’y a pas de substitution entre les facteurs de production : l’offre de travail est parfaitement élastique, la croissance ne dépend donc que de la croissance du stock de capital. Le financement extérieur vient combler le déficit extérieur (déficit de la balance courante, auquel s’ajoute le service de la dette extérieure). Ainsi, les épargnes internes et externes sont considérées comme complémentaires. Or, dans de nombreux cas, la relation négative entre l’épargne interne et les flux financiers internationaux est démontrée.

Par ailleurs, on suppose que les capitaux extérieurs financent l’investissement interne. Cette dernière hypothèse ne se vérifie pas toujours. Dans bien des cas, le financement extérieur vient combler le déficit budgétaire ; il en est ainsi dans la plupart des PPTE d’Afrique. Aussi bien, cela peut signifier qu’il existe des niveaux d’endettement plus ou moins soutenables. Au delà d’un certain seuil, les emprunts nouveaux permettent seulement, dans le meilleur des cas, de rembourser les emprunts passés. Au pire, ils ne permettent même plus d’assurer le service de la dette. C’est l’effet “boule de neige”. Quand le taux d’intérêt de l’emprunt est supérieur au taux de croissance de l’économie, le poids de la dette dans le PNB s’accroît indéfiniment. Dès lors, il devient essentiel d’évaluer le niveau d’endettement que peut supporter une économie.

Ces indicateurs de soutenabilité de la dette restent très controversés quant à leur applicabilité. La récente décision du G7 d’alléger la dette des pays pauvres très endettés, amplifiée par les institutions de Bretton Woods appelle une discussion approfondie sur le concept de soutenabilité de la dette qui permet de ranger les pays débiteurs en deux groupes : ceux dont leur dette est soutenable selon leur capacité de remboursement et les autres qui ploient sous le fardeau de l’endettement extérieur. Le concept de soutenabilité est discutable pour deux raisons. Pour Raffinot (1998), le renouvellement des analyses de la croissance, notamment dans le cadre des diverses théories de la croissance endogène constitue un premier pallier de préoccupations. Par ailleurs, les économies les plus pauvres présentent des spécificités qu’il est difficile de laisser de côté lorsqu’on évalue leur solvabilité. Il faut notamment citer à ce niveau le caractère très concessionnel des financements reçus. En effet, le fait que l’Etat soit le seul emprunteur à l’extérieur et qu’il n’ait accès qu’à des financements majoritairement multilatéraux provenant des organismes spécialisés édifie sur la difficulté de préserver la souveraineté nationale pourtant nécessaire à la formulation de politiques dans une relative autonomie.

Cette dernière caractéristique implique que l’analyse de l’impact de la dette doit porter sur une période très longue, car les remboursements sont étalés sur plusieurs dizaines d’années. Sur des périodes aussi longues, les approches modélisées de la croissance présentent des limites du fait qu’elles prennent difficilement en compte les modifications structurelles qui accompagnent le processus de développement. Ces modifications devraient normalement comprendre celles du financement extérieur. En effet, le développement, à partir d’un certain stade, devrait pouvoir ouvrir l’accès aux marchés internationaux des capitaux et réduire le recours à l’aide publique au développement. Tout ceci devrait inciter à n’utiliser qu’avec beaucoup de précautions les résultats d’études menées suivant les méthodes financières classiques, lorsqu’il s’agit d’établir un pronostic sur la soutenabilité de la dette des pays les plus pauvres. Par ailleurs, l’analyse du problème de l’endettement international ne doit pas se faire dans un sens uniquement technique (techniciste) en oubliant ou en faisant semblant d’oublier les implications politiques de l’endettement international comme outil de domination des uns sur les autres.

Le choix des critères déterminant la viabilité de la dette est essentiel dans un processus d’annulation compétitive et équitable. Plus le seuil est bas, plus le pays a des chances d’échapper durablement au cercle vicieux de l’endettement, mais plus le désendettement sera coûteux pour les créanciers. Les ratios ont, dans ce cadre, été plusieurs fois manipulés pour répondre aux nouvelles exigences des pays donateurs et aux bailleurs de fonds. En effet, le ratio valeur actuelle de la dette sur les exportations est passé de 200-250 % à 150 % comme le stipulent les termes du Sommet G7 de Cologne. En ce qui concerne le ratio valeur actuelle nette sur recettes budgétaires, il est passé de 280 à 250 % ; le ratio exportations sur PIB est passé de 40 à 30 % et celui des recettes d’exportations sur le PIB de 20 à 15 %.

Désormais la possibilité d’obtenir un allégement de la dette dans le cadre de l’Initiative PPTE et des crédits assortis de conditions de faveur de la BM et FMI est liée à l’élaboration d’une stratégie de réduction de la pauvreté. L’introduction de la nouvelle conditionnalité consistant à lutter contre la pauvreté pour bénéficier des remises de dettes mérite d’être discutée. En effet, en introduisant une nouvelle conditionnalité sans qu’aucune autre ne soit supprimée, on contraint les pays qui veulent bénéficier de l’Initiative PPTE à une sélection encore plus rigoureuse qu’auparavant (Killick, 2000 : 3). Le parti pris de la lutte contre la pauvreté comme objectif central de politique économique est fortement affirmé par le passage de la Facilité d’ajustement structurel renforcée à la Facilité pour la réduction de la pauvreté et la croissance (FRPC), entré en vigueur en novembre 1999, après l’Assemblée générale du printemps du FMI et de la BM. Ces programmes sont définis dans le cadre d’un Document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP) qui appelle un processus participatif ouvert à la Société civile pour une meilleure appropriation des programmes de réformes. Le DSRP est comme à l’accoutumée soumis à une évaluation du FMI et de la BM pour approbation ou rejet, c’est le fameux “avis de non objection”,… De plus, les hausses des budgets prévues dans le cadre de l’Initiative renforcée sont microscopiques quant on sait qu’ils ont subi des coupes massives durant les vingt dernières années. Au rythme de deux pour cent l’an, il faudra attendre l’année 2010 pour retrouver le niveau de dépenses de 1985. Donc même en appliquant l’Initiative dans un pays, on peut s’attendre à ce que la situation de la santé des populations continue de se dégrader.

Si les pays débiteurs acceptent le principe de la conditionnalité, le mécanisme d’administration internationale d’un processus de réduction de la pauvreté peut avoir des effets pervers. Ce risque est particulièrement grand lorsque les conditions imposées aux pays divergent de ce qui serait nécessaire pour la promotion d’une accumulation de capital, pour une efficience économique, un développement durable et une insertion profitable dans l’économie mondiale. Avec la subordination de l’allégement à la réduction de la pauvreté, le volume de l’aide risque de diminuer ou les décaissements différés, et la crise de financement qui en résulterait peut faire dérailler tout le processus (Deusy-Fournier, 1999). Car il faut garder à l’esprit que l’objectif ultime de ces stratégies est de réduire la dette, de stimuler la croissance par une modification des anticipations des agents du secteur privé.

Le fait d’avoir introduit un processus participatif (bonne gouvernance) par le bas et un contrôle de la part des bailleurs de fonds par le haut met les Etats dans une situation inconfortable qui réduit leur marge de manœuvre dans une entreprise d’apprentissage nouvelle qui est celle de la lutte contre la pauvreté par une croissance forte. Il faut initier des négociations serrées avec la Société civile au niveau interne et avec les bailleurs de fonds au niveau externe afin de forger un consensus autour des priorités des politiques à mettre en œuvre. Or la Société civile pourrait bloquer le processus d’allégement de dettes si elle ne partage pas la vision du gouvernement. Par ailleurs, la capacité de la Société civile à prendre la place qui lui est définie par les bailleurs de fonds n’est pas toujours effective. Leur capacité de négociation reste faible. Le domaine d’élaboration des politiques de réduction constitue, un terrain en friche pour lequel, rien ne garantit que les PMA y soient compétitifs.
Cependant du point de vue du débiteur, la question centrale est de savoir si l’allégement permet de desserrer l’étau qui entrave l’investissement et à éviter que le service de la dette n’absorbe une trop grande part des recettes de change et des dépenses publiques. En outre, il faut qu’une part importante de la dette soit allégée en début du processus pour que le désendettement ait des effets positifs sur les anticipations du secteur privé et un impact immédiat sur le niveau effectif du service de la dette, de manière constituer un véritable bol d’oxygène.

Pour répondre à cette inquiétude, les concepteurs de l’initiative arguent qu’elle sera suffisamment financée pour que l’allégement qui en découle soit bien réel et ait des retombées positives. Cependant deux points assombrissent cet quiétude des maîtres d’œuvre de l’initiative. D’abord, 85 % des engagements irrévocables d’allégement des dettes dans le cadre de l’initiative devront être consentis avant fin 2000, et les engagements des IFI reposent sur un financement garanti. Or de nombreux créanciers multilatéraux et bilatéraux ne peuvent se prononcer dans l’immédiat à cause de leurs contraintes budgétaires (GAO, 2000). Ensuite l’aide additionnelle à celle du Club de Paris n’est pas toujours garantie. En juin 2000, aucun pays bénéficiaire n’avait obtenu d’assurance de la part des créanciers.

La conclusion de la CNUCED sur la capacité de l’Initiative PPTE à alléger de manière substantielle est explicite. Selon elle, “bon nombre de pays concernés n’ont pas pu s’acquitter de toutes leurs obligations contractuelles et ont donc accumulé des arriérés. Dans certains cas, il se pourrait que ce que les pays seront censés verser après l’application de l’Initiative PPTE dépasse ce qu’ils versaient avant”. Tumusiime-Mutebile (1999 : 7-8) est encore plus critique à l’égard de cette Initiative. Pour lui, elle aura les conséquences ci-après :

1. L’Initiative PPTE renforcée ne sera pas considérée comme une première étape d’une stratégie globale d’allégement de la dette et de réduction de la pauvreté, ce qui suscitera de plus en plus de critiques des groupes de pression.

2. Les pays bénéficiaires n’obtiendront pas un allégement suffisant au point d’achèvement. En conséquence, leur endettement ne pourra pas retomber à un niveau viable et le financement de leurs programmes de pauvreté sera compromis, ce qui les empêchera d’atteindre les deux objectifs essentiels de l’Initiative.

3. La dette due à des créanciers non membres de l’OCDE ne disparaîtra pas des comptes du pays débiteur, ce qui pourrait dissuader le secteur privé d’accroître ses investissements, condition essentielle de la réussite du programme contre la pauvreté.

L’initiative PPTE renforcée peut prévenir des crises de liquidités éventuelles conséquentes aux chocs exogènes. En fait, cela pose implicitement la question de la viabilité de la dette à moyen terme. Car lorsque les bailleurs de fonds Dans l’estimation des seuils de viabilité de la dette, les projections ne doivent pas être trop optimistes comme ce fut le cas du Mozambique et d’Ouganda lors de la première Initiative PPTE. Pour le Mozambique, une forte chute des prix des produits primaires a suffit pour remettre en cause les acquis de la première Initiative. Pour l’Ouganda, l’effet combiné de la baisse des prix des matières premières (café), de mauvaises conditions climatiques, d’une chute généralisée des taux d’intérêt ont fini par resserrer l’étau du service de la dette. Ainsi, on le voit, les chances de réussite d’une telle entreprise qui consiste a lier désendettement et réduction de la pauvreté ne semble pas bénéficier d’une grande crédibilité. En effet, les recettes s’écartent même modérément des prévisions, le surendettement pourrait considérablement s’aggraver , or les prévisions macro-économiques sont souvent démenties faits dans un contexte international fluctuant .

Dans cette optique, l’Initiative renforcée pourrait fort bien être une nouvelle opération de séduction et de démonstration d’altruisme pour les pays donateurs et les institutions multilatérales. Elle constitue également un élément important de la stratégie de décrispation initiée par le G7 et les institutions de Bretton Woods afin d’obtenir un cadre de négociation et de prise de décision plus serein. En effet, comme on l’a déjà souligné, les sommets du G7, le sommet économique mondial de Davos, les sommets du développement social, de l’Organisation mondiale du commerce comme les assemblées générales du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale sont perturbés de manière significative par l’opinion internationale et les défenseurs d’une “autre mondialisation”. Après les tergiversations de la première phase de cette initiative, une bonne partie de l’opinion mondiale a cru -à tort- que les décisions de Cologne seraient une solution durable au problème d’endettement extérieur des pays les plus pauvres, dont la majorité se trouve parmi les PMA d’Afrique subsaharienne.

Actuellement, 18 des PMA sont exclus de l’Initiative des PPTE mais les motifs avancés pour justifier l’exclusion de ceux d’entre eux qui sont surendettés sont peu convaincants. Par ailleurs, pour la plupart des PMA considérés comme PPTE, le temps nécessaire pour atteindre le point de décision pose un problème majeur.

Ainsi, pour redonner aux Etats leur souveraineté nationale et les laisser redevenir maîtres leur propre destin, il devient urgent de trouver des solutions alternatives à la dette extérieure. La mobilisation de plus en plus poussée des ressources intérieures et l’apport des capitaux privés pour le financement du développement deviennent des solutions alternatives permettant de relâcher la contrainte du financement extérieur comme seule solution au rattrapage et au développement. Se libérer de la dépendance à l’égard de l’aide étrangère est un des objectifs centraux des recherches sur les PMA. Cet objectif ambitieux passe par une croissance forte. Ce qui revient à dire que la lutte contre la pauvreté passe par une croissance durable et soucieuse de réduire les inégalités socio-économiques. En effet, lorsque le revenu par habitant augmente dans les PMA, l’épargne intérieure progresse fortement. Cette croissance forte doit donc s’accompagner d’une intensification de la mobilisation des ressources intérieures.
Les programmes de réduction de la pauvreté demandent un appui financier considérable, or au même moment, on constate que les PPTE ploient sous les exigences du remboursement de la dette. Chaque année, l’Afrique subsaharienne consacre au service de sa dette 14 % des recettes d’exportations soit 13 à 14 milliards de dollars en moyenne à ses “créanciers”. Cette somme est supérieure à l’ensemble des dépenses allouées à l’éducation et à la santé ! C’est pourquoi, pour paraphraser le PNUD, une responsabilité majeure des créanciers bilatéraux et multilatéraux est d’annuler sans conditions et entièrement la dette du Tiers monde. Au-delà des effets d’annonce (14 milliards effacés sur les 100 prévus depuis 1999) l’Initiative PPTE laisse perplexe. On peut noter que la communauté internationale réduit ou conditionne son aide publique au développement qui ne représente plus que 0,22 % du PIB global des pays industrialisés. On est bien loin des 0,7 % de leur PIB adopté par les Nations Unies au milieu des années 1970 !

Liens entre le désendettement et la réduction de la pauvreté

Pour établir le lien entre l’allégement de la dette extérieure et la réduction de la pauvreté, deux approches sont en concurrence. La première encore appelée approche directe part des critères de bien-être pour déterminer l’ampleur et le rythme de l’allégement. La deuxième approche quant à elle, privilégie la logique inverse. Elle détermine l’ampleur et le rythme du désendettement en se fondant sur des critères de viabilité de la dette. Tout en concevant le processus d’allégement de la dette de façon à ce qu’il favorise la réduction de la pauvreté. Dans cette approche, le désendettement alimente le fonds d’investissement social pour l’éducation, la santé, la nutrition, la lutte contre la pauvreté. C’est cette approche dite indirecte dans le cadre de l’Initiative PPTE renforcée. Elle incite les gouvernements à adopter des réformes économiques favorables aux pauvres et affecter les ressources libérées de l’allégement aux budgets sociaux (santé, éducation et nutrition) et aux programmes de réduction de la pauvreté. Cette approche appelle quelques remarques.

Premièrement, les politiques de compensation et d’assistance humanitaire ayant montré leur incapacité à réduire durablement la pauvreté, les stratégies socio-économiques de réduction de la pauvreté ne peuvent s’opérer en dehors d’une vision visant à rendre productives les populations les plus vulnérables. L’objectif est de formuler des stratégies socio-économiques ayant le double effet de réduire la pauvreté et de contribuer à la croissance économique . Il se peut que politiquement, cela rende précaire leur système de légitimation et de domination. En effet, les choix stratégiques que peuvent adopter les gouvernements expriment à la fois des préoccupations économiques et des exigences politiques. Les politiques susceptibles d’aider les pauvres mais qui imposent aux non pauvres des coûts même faibles susciteront, à n’en pas douter, des résistances. Les non pauvres sont généralement politiquement puissants et exercent une forte influence sur les orientations stratégiques de politique économique et sociale. Une plus forte participation des pauvres aux sphères de décision pourrait aider à rétablir l’équilibre.

Mais, puisque le pouvoir politique tend à être subordonné au pouvoir économique, il est important de concevoir des stratégies de réduction de la pauvreté soutenues par les non pauvres, ou qui ne se heurteront pas à une résistance active de leur part. En règle générale, la nécessité de prévenir une résistance de la part des non pauvres imposera le choix de mesures dont le poids sera moins lourd à supporter pour la majorité mais souvent moins efficace que les mesures impopulaires. Il semble difficile de faire en sorte que les dépenses sociales ne bénéficient vraiment aux plus pauvres sauf avec des coûts de ciblage et d’administration des politiques très élevés.

Deuxièmement, l’ampleur des ressources additionnelles libérées grâce à l’Initiative PPTE renforcée restent modestes à moyen terme.

Troisièmement, même si on arrive à cibler parfaitement les pauvres, une réduction durable de la pauvreté provient de la croissance, des créations d’emplois, des gains de productivité et d’une répartition plus équitable des fruits de la croissance. Il ne s’agit pas seulement d’insister sur le rythme de la croissance (importance du taux de croissance) mais aussi sur sa qualité (durabilité) et sa répartition.

Quatrièmement, la conception et l’élaboration posent le problème de la réussite de la mise en œuvre, compte tenu de l’expérience capitalisée en matière de politiques conditionnée par les bailleurs de fonds (PAS). Ainsi, pour une meilleure appropriation des politiques, les bailleurs de fonds ont demandé aux Etats d’initier un processus participatif d’élaboration des Documents stratégiques de réduction de la pauvreté (DSRP) en l’élargissant à la Société civile. Le problème c’est que les PPTE ne s’approprient pas la conception, la vision. Ils sont exclus des instances de consultation et de décision concernant les phases préalables à l’élaboration du DSRP. L’appropriation et la responsabilisation de la Société civile ressemble à une manœuvre permettant de tempérer les critiques des pans les plus actifs des PPTE, puisqu’ils auraient participé à l’élaboration des politiques. Donc l’appropriation dont il est question ne concerne pas la vision, elle est dictée, il s’agit de s’approprier les outils, les instruments de la politique économique. Or, les capacités des PPTE à élaborer des programmes de réduction de la pauvreté performants ne sont pas prouvées surtout dans un domaine nouveau. Les programmes ainsi conçus seraient des expériences pilotes permettant d’affiner et de parfaire une meilleure stratégie de réduction de la pauvreté.

Cinquièmement, il semble établi que les PAS ont eu des impacts négatifs sur une large couche des populations des pays sous programmes. Ces retombées sociales ont conduit à se demander, de plus en plus, s’il n’est pas nécessaire d’aborder simultanément les questions d’équité et de distribution des revenus avec celles de la croissance économique . La question se pose de savoir s’il est possible de rendre compatibles et complémentaires les stratégies économiques et les stratégies sociales. S’il semble établi sur le plan théorique que la croissance est le moyen d’augmenter les ressources de l’Etat et des ménages, les travaux tendent à tempérer cette “vérité”. En effet, si la croissance économique semble être indispensable à une réduction de la pauvreté, elle ne lui est ni cependant ni nécessaire ni suffisante. Les gains de croissance ne sont jamais répartis uniformément et encore moins en faveur des plus pauvres. Ces constats ont conduit certains auteurs à se demander “do rising tides lift all boats ? (les marées hautes soulèvent-elles toutes les barques ?) En l’absence d’un système de redistribution efficace et adéquat, plusieurs groupes sociaux restent marginalisés. Des travaux récents de Danziger et Gottschalk (1986), ont montré que la relation entre la croissance et la pauvreté n’est pas linéaire et qu’il y a même assez souvent un phénomène de rendements d’échelle décroissants de la croissance pour les pauvres (Abdelkhalek et Chaoubi, 1999 : 2).

Sixièmement, selon la CNUCED (2000 : 167), les auteurs de la plupart des travaux récents concernant la pauvreté se sont demandés si la croissance entraînait une réduction de la pauvreté et quels seraient les moyens de maximiser ses effets sur la pauvreté, et non si la réduction de la pauvreté était bonne pour la croissance et quels seraient les moyens de maximiser ses effets sur la croissance. Cependant la dernière perspective mérite un peu plus d’attention. La réduction de la pauvreté est-elle un facteur de croissance ? Évidemment, il ne faut pas concevoir la réduction de la pauvreté comme une opération de compensation sociale ou d’assistance humanitaire mais comme des programmes de génération d’emplois, de création d’infrastructures physiques et humaines. Ces objectifs passent par une élévation des revenus des agents économiques. Partout où la pauvreté de masse a disparu, ce sont les pauvres qui sont devenus la classe moyenne, telle la base de la croissance fordiste qui a soutenu les Trente glorieuses. La réduction de la pauvreté passe sans doute par un agrandissement de l’accès aux revenus, aux biens et au services.

De plus, l’allégement ne se fait pas d’un coup, le processus prend des années. Reprenons le parcours du combattant. Les pays doivent avoir préalablement réalisé pendant trois à six ans des politiques d’austérité budgétaire et de réformes économiques néolibérales. Ces politiques doivent avoir reçu l’approbation du FMI et de la BM. Après cette période probatoire, le pays candidat à l’allégement doit se présenter devant le FMI qui donne ou non le feu vert pour passer à l’étape suivante. Celle-ci consiste pour le pays en question à se présenter seul devant ses créanciers publics du Club de Paris. Le Club décide éventuellement d’octroyer un allégement, voire une annulation. Contrairement aux déclarations des gouvernements relayés par la plupart des médias, il est impossible d’annuler 90 ou 100 % de la dette due aux créanciers publics. Pourquoi ? Parce que cet allégement (annulation) ne porte que sur le montant de la dette bilatérale datant d’avant le premier rééchelonnement de paiement (c’est ce que l’on appelle la date butoir, « pre cut off date »). Pour les pays cités ci-après, il s’agit du montant de la dette bilatérale d’avant l’année 1983 !!! : République Centrafricaine, Sénégal, Togo, Côte-d’Ivoire, Madagascar, Niger. Or l’essentiel de la dette bilatérale telle qu’elle se présente en l’an 2000 s’est accumulée après la date butoir et est largement constituée d’arriérés. Étape supplémentaire : au cas où le Club de Paris donne son feu vert pour appliquer au pays en question les termes de Cologne, le pays retourne seul devant le FMI et la BM afin de demander à bénéficier d’une réduction des montants à leur rembourser.

Le FMI et la Banque mondiale peuvent, s’ils jugent que la dette d’un pays reste insoutenable et s’il a satisfait aux conditions du Club de Paris, décider de réduire le montant de ce que le pays doit leur rembourser. Exemple théorique : un pays doit rembourser 52 millions de dollars à la BM et au FMI pendant dix ans. La BM et le FMI décident de réduire ce montant de 20 millions de dollars. Le pays remboursera donc 32 millions de dollars au lieu de 52. Est-ce que le FMI et la BM ont renoncé pour autant à percevoir les 20 millions de différence ? Non, afin d’être assurés du remboursement, le FMI et la BM ont créé un fonds fiduciaire (Trust fund, en anglais) dans lequel ils vont puiser pendant dix ans jusqu’au recouvrement des 20 millions de dollars. Comment est alimenté ce fonds ? Par des contributions des pays membres du FMI et de la BM, principalement les pays les plus industrialisés, mais pas uniquement. Ces contributions sont placées par la BM et le FMI sur les marchés financiers internationaux.

C’est le rendement de ces placements (intérêts ou plus value) qui est utilisé pour rembourser la BM et le FMI. La BM et le FMI réussissent ainsi à faire financer par les trésors publics des Etats membres, ce qui devrait être leur contribution à l’allégement. Parler d’annulation dans ce cas constitue donc un véritable abus de langage et ajouter que le FMI et la BM font preuve de générosité relève de l’imposture. Comme le disait à juste titre le Wall Street Journal, par l’Initiative PPTE et le mécanisme du fonds fiduciaire, le FMI et la BM ont réussi à faire financer par les trésors publics des Etats la transformation d’anciens prêts irrécouvrables par de nouveaux. En effet, la BM et le FMI octroient des nouveaux prêts aux PPTE afin qu’ils soient dorénavant à même de payer à temps ce qu’il leur reste à rembourser, notamment à la BM et au FMI. Plutôt que de parler de politique d’allégement des dettes en faveur des pays pauvres, il conviendrait de parler d’une politique d’assainissement des portefeuilles de la BM et du FMI. Et que dire du fait que le FMI et la BM augmentent la bulle financière en finançant le coût de l’opération par de nouveaux placements sur les marchés financiers ! En finançant le fonds fiduciaire, les trésors publics des pays industrialisés créent un effet d’éviction de la part des budgets naguère alloués à l’APD. Aujourd’hui, l’APD ne représente plus que 0,25 % du PNB de ces pays.