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La bataille du Brésil

Mardi 3 janvier 2006, par Pierre BEAUDET

D’ici quelques mois, Lula et le Parti des travailleurs (PT) seront investis dans une nouvelle élection présidentielle. Divers « scandales » ont éclaboussé Lula lorsqu’on a révélé que des responsables gouvernementaux avaient mis en place un système de corruption des parlementaires (le PT achetait l’appui des autres partis). Symptôme d’une problématique plus vaste, cette confrontation constitue pour le PT et les mouvements sociaux qui l’ont soutenu depuis 25 ans un grand défi.

L’offensive de la droite

La crise actuelle découle d’une stratégie de la droite brésilienne pour reconquérir le pouvoir dans le contexte des prochaines élections présidentielles de 2006. Élu en 2002 par cinquante-trois millions de Brésiliens, Lula était bien parti pour accélérer les réformes entreprises. Au moment de son élection de 2002 d’ailleurs, Lula avait bien expliqué que les transformations pour lesquelles le PT avait été élu étaient envisagées sur la durée et qu’un seul mandat présidentiel pouvait tout au plus mettre en place les conditions pour aller plus loin. Les principaux partis de droite dont le PSDB savaient donc bien à quoi s’attendre. Aussi avec l’appui des grands médias (tous de droite), ils tentent faire trébucher Lula dans divers « scandales ». L’idée également est de détacher Lula du PT et de sa base populaire, quitte à ce qu’il soit réélu, mais dans une dynamique où la raison d’être de sa présidence perdait son sens. On aurait donc un Président populaire, « encadré » par un appareil institutionnel très marqué à droite, ce qui jetterait les classes populaires dans la confusion.

Un système pour le statu quo

La crise actuelle reflète la fracture dans un système politique qui avait accédé de peine et de misère à la démocratie en 1985. Avec moins de 20% des députés pour le PT, Lula se retrouve à gouverner avec les « autres ». Cette hétérogénéité est aggravée du fait que plusieurs parlementaires sont élus pour leur habileté médiatique davantage que pour leurs opinions. Ce « populisme » ancré dans les mœurs fait du Congrès une sorte de « souk » où sont constamment marchandés les votes proposés par le gouvernement. Lula et le PT savaient donc en 2002 qu’ils n’avaient pas « LE » pouvoir en gagnant la présidence, mais seulement une « parcelle de ». L’hypothèse étant que l’on pourrait avancer dans une sorte de « guerre de position » à l’intérieur du système, en transformant peu à peu les institutions pour les démocratiser en faveur des classes populaires. Pari impossible ou utopie créative, le projet est maintenant fragilisé.

Le PT malmené

Le PT a subi durant la dernière période une certaine usure du pouvoir démontrée lors des dernières élections municipales (octobre 2004). La perte de villes-symboles comme Sao Paulo et Porto Alegre a fait mal. Selon Plinio Arruda Sampaio, un des fondateurs du PT, « la conduite politique du gouvernement s’est soumise aux schémas de l’élite brésilienne corrompue : connivences, petits arrangements, alliances illégitimes, financement obscur des campagnes électorales. Ce comportement confirme le scepticisme d’une grande partie de la population et démoralise les leaders populaires qui pendant deux décennies ont lutté pour convaincre le peuple que le PT était différent ». Des partisans du gouvernement Lula comme le Ministre de la réforme agraire Miguel Rossetto admettent qu’un grand virage est nécessaire. Lors des élections internes au PT en octobre, plus de 300 000 militants ont participé au débat. Candidat de la gauche du PT pour la présidence du parti, l’ex-maire de Porto Alegre Raul Pont a obtenu 48% des votes (il a par la suite été intégré dans la direction nationale comme secrétaire général du PT).

Les mouvements sociaux à l’heure des choix

Le PT demeure l’expression des mouvements de base qui ont dirigé la lutte pour la démocratie et la justice. La complicité entre le PT et les mouvements sociaux est porteuse, puisque le PT s’affiche comme « mouvement » et « partenaire » des organisations sociales, et non comme parti d’« avant-garde » au-dessus des masses. Mais depuis l’élection de Lula, les mouvements sociaux ont été un peu suivistes face au gouvernement. Seule et très importante exception, le MST a bien navigué, appuyant le gouvernement quand il le peut, s’en démarquant quand il le faut, notamment sur les ambiguïtés du pouvoir face à la réforme agraire. Car en dépit des promesses électorales, cette réforme a peu avancé. Le gouvernement a en effet adopté une politique d’austérité qui restreint les programmes sociaux. Aujourd’hui face à la crise que traverse le PT, les mouvements avertissent Lula qu’ils ne sont plus disposés à l’appuyer inconditionnellement. Des députés fédéraux du PT à l’appel du « Bloc des gauches » (regroupement des diverses tendances de gauche au sein du PT) ont signé en juin dernier un appel qui rejoint celui des mouvements sociaux : « le gouvernement Lula doit produire un choc éthique. Il doit modifier sa base d’appui parlementaire, éliminer les accords de troc des votes en échange des charges publiques. Pour un gouvernement de gauche, la « gouvernabilité » doit reposer sur son programme de changements et sur le soutien des mouvements populaires. »