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L’Éthiopie sur la brèche

Dimanche 26 février 2006, par Correspondant

En mai dernier, des élections générales avaient lieu dans ce pays de la Corne de l’Afrique qui est également l’un des plus pauvres de la planète. L’exercice a mal tourné avec des accusations de fraude qui ont par la suite été confirmées par des enquêtes indépendantes dont celle de la Mission de l’Union européenne. Par la suite, des manifestations ont été organisées dans la capitale Adis Abeba et plusieurs autres villes éthiopiennes, durant lesquelles plusieurs étudiants ont été tués par la police. 14 ans après le renversement de la dictature, l’Éthiopie s’interroge. De même que la communauté internationale qui s’est beaucoup investie dans ce pays.

Un pays ravagé par la pauvreté

Qui ne se souvient pas des images terribles qui avaient frappé les écrans de télévision du monde dans les années 1980 ? Encore aujourd’hui, les 70 millions d’habitants restent très pauvres. Sur l’échelle du développement humain de l’ONU, l’Éthiopie se range au 170ième rang sur 177 pays. 13 millions de paysans vivent une famine structurelle et permanente (avec moins de 25 cents par jour !) pendant que le reste de la population, à 80% rurale, survit à peine. L’aide humanitaire qui est importante ne parvient pas à changer cette situation d’une manière significative. La structure économique du pays, très dépendante de l’agriculture et de l’exportation de quelques denrées commercialisables (dont le café), ne permet pas d’améliorer le sort de la majorité et de faire face à l’augmentation de la population.

De la démocratie à la démocrature

En 1994, une révolution avait renversé une dictature appuyée à l’époque par l’Union soviétique. Une coalition qui a alors pris le nom du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE) s’est installée au pouvoir. Originaire de la périphérie de l’Éthiopie, le Front dirigé par Meles Zelawi a eu de la difficulté à s’imposer, mais au départ, une majorité d’Éthiopiens était prête à lui laisser le bénéfice du doute. L’opposition était d’autant plus faible puisqu’elle était divisée : une partie était associée à l’ancien régime monarchiste ; une autre partie, armée, exprimait principalement des mouvements régionalistes ou ethniques aux objectifs peu définis ; et enfin un secteur démocratique (le moins connu), non armé et partisan d’une réforme en profondeur. En 1995, le Front tentait de consolider son emprise en faisant adopter une nouvelle constitution de nature fédérale, dans laquelle diverses provinces sont découpées sur une base ethnolinguistique. Sur papier, ce projet paraissait bien car il semblait donner une certaine forme d’autonomie aux nations et aux régions. Mais en pratique selon plusieurs observateurs, le FRDPE s’est assuré de contrôler le gouvernement central d’une manière autoritaire. Selon le professeur Christopher Clapham du Centre des études africaines de l’Université Cambridge, le Front a gouverné à la manière de l’URSS, en jouant sur les contradictions interethniques pour éviter une réelle démocratisation. Les régions n’ont pas réellement accédé à davantage de pouvoirs. Et quant au pouvoir central, il a été accaparé par le Front dans une sorte de démocrature.

Des élections qui ont mal tourné

Par la suite, le Parlement et les partis politiques ont été confinés à un rôle subalterne. De même que les associations de la société civile et les médias ont été contraints d’opérer dans des limites étroites. Certes par rapport à la période de la dictature précédente, il y a eu des progrès, mais comme l’explique le professeur Clapham, « le FRDPE n’a jamais opéré de manière démocratique et ouverte. Par exemple, le président Meles est pratiquement invisible, comme un empereur vivant dans son palais d’Arat Kilo. Entre temps, le fonctionnement du gouvernement est resté opaque, dans la tradition d’un régime marxiste-léniniste où les vraies décisions sont appropriées par le Politburo ». Lors des dernières élections en mai 2005, les principaux partis d’opposition dont la Coalition pour l’unité et la démocratie (CUD) auraient selon les observateurs remporté les élections dans les grandes villes, notamment Adis Abeba. Mais à la dernière minute, une fraude gigantesque a été organisée. Par la suite, l’Union européenne a interpellé le Président Meles pour lui suggérer de mettre en place un gouvernement d’unité nationale, mais celui-ci a rejeté cette proposition.

Rumeurs de guerre

Entre-temps, la possibilité d’une reprise des hostilités entre l’Éthiopie et l’Érythrée, son turbulent voisin, réapparaît à l’horizon. Lors l’accession à l’indépendance de l’Érythrée en 1993, on aurait pu penser que les deux gouvernements issus d’une lutte commune contre la dictature de Mengistu auraient pu s’entendre et coopérer. Mais en 1998 une violente guerre éclatait faisant des milliers de morts et de déplacés. En 2000 une médiation internationale forçait la suspension des combats et la mise en place d’une force d’interposition de l’ONU. Par la suite des négociations ont continué pour délimiter les frontières et démilitariser les zones contestées. Mais à l’automne dernier, tout a basculé. Le gouvernement érythréen a expulsé en partie le contingent de l’ONU et entrepris de se procurer de nouveaux avions de chasse et d’autres armes, indiquant sa volonté de préparer une nouvelle guerre. L’Éthiopie pour sa part a refusé les recommandations de l’ONU sur la démarcation de la frontière et a également accéléré sa remilitarisation en redéployant le long de la frontière sept divisions d’armée. Le Conseil de sécurité de l’ONU devant ces menaces a adopté la résolution 1640 demandant à l’un et à l’autre pays de calmer le jeu et de reprendre les négociations, mais pour le moment, la situation est gelée. Selon l’International Crisis Group, le gouvernement éthiopien serait tenté de déclencher la guerre pour détourner l’attention de ses problèmes internes et affaiblir l’opposition. Chose certaine, le déclenchement des hostilités serait une catastrophe pour les deux pays et en particulier pour l’Éthiopie. Bien que disposant d’une majorité numérique sur l’Érythrée au niveau de la population et de ses forces armées, il est peu probable qu’Adis puisse arracher une « victoire facile » sur son voisin et surtout, une telle guerre aggraverait davantage la pauvreté et les tendances autoritaires.

Une crise aux dimensions internationales

La crise actuelle en Éthiopie fait partie d’une situation régionale problématique où la totalité des États concernés sont à risque. À l’est, la Somalie a implosé et continue d’être une zone contestée par des milices surmilitarisées. À l’Ouest, le Soudan navigue à vue de guerre en guerre avec la tragédie dans la région du Darfour actuellement. Tous ces conflits se percutent les uns sur les autres affectant gravement la stabilité et la démocratisation partout. Mais jusqu’à maintenant, la communauté internationale est intervenue minimalement, contrairement à ce qui s’est vécu dans d’autres parties du monde. Les cyniques diront que c’est parce qu’il n’y a pas de pétrole dans cette région (il y en a pourtant au Soudan). L’Éthiopie, qui avait été au centre de la guerre froide entre l’URSS et les Etats-Unis tout au long des années 1980, apparaît sur l’écran-radar des puissances comme un pays sinistré, sans beaucoup d’intérêt économique à court terme, si ce n’est que comme un cas de dépendance extrême envers l’aide humanitaire. Entre-temps, des pressions sont exercées par la diaspora éthiopienne pour que les pays donateurs, dont le Canada, agissent avec discernement. D’après le Comité des Éthiopiens –Canadiens pour des élections justes et libres, « le Canada devrait réévaluer son action et faire pression pour que le gouvernement éthiopien respecte les droits humains ». Un dernier rapport de Human Rigths Watch à ce sujet fait état d’arrestations arbitraires et d’intimidation contre des personnes associées aux partis d’opposition. Selon Peter Takirambudde, le directeur du secteur Afrique de HRW, « la répression est plus forte dans les régions rurales loin des yeux de la presse internationale, notamment dans les zones oromos au sud. La population y est terrorisée par la police fédérale qui opère avec des milices locales ».