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G-20

Et l’Afrique dans tout cela ?

Lundi 6 avril 2009, par Tidiane Kassé

Le sommet du G-20 s’est tenu, le 2 avril, dans un climat de crise financière internationale dont les pays développés peinent encore à se relever. Tout un arsenal de mesures a été pris pour une régulation du système financier international (http://tinyurl.com/db9f7a). Mais ce que cette crise, dont les répercussions continuent de se dérouler en chaîne, impose comme mutations dans l’ordre mondial actuel, va bien au-delà d’un lifting. A Londres, les pays émergents (Chine, l’Inde, le Brésil, l’Argentine, l’Indonésie et l’Afrique du Sud), invités à la table des « grands », ont posé les termes de cette remise en cause. Avec un état d’esprit que traduit le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, quand il parle d’une crise "créée par des Blancs aux yeux bleus".

Les pays en développement, qui ont suivi de loin ce conclave, ont eu écho de la volonté du Premier ministre britannique, Gordon Brown, d’aborder la question de l’évasion fiscale, qui constitue un obstacle majeur au développement. Ils ont aussi entendu dire que la Banque mondiale a proposé un "fonds de vulnérabilité" pour aider les pays pauvres. Sans compter que les Vingt ont accepté de verser 1.000 milliards de dollars au FMI et à la Banque Mondiale pour l’aide aux pays en difficulté.

Mais on sait, depuis la fin des années 1970, ce que valent les interventions de ces institutions financières internationales. La pauvreté qui se sédimente en Afrique a une « traçabilité » bien évidente. Depuis les Programmes de Redressement Economique et financiers (PREF) jusqu’aux Stratégies de Réduction de la Pauvreté (SRP), en passant par les Programmes d’Ajustement Structurel, le FMI et la Banque Mondiale ont toujours tenu la baguette. Que peuvent-ils apporter de plus et de meilleur ?

Le système actuel a failli de manière dramatique et appelle des remises en cause. Celles-ci s’expriment de plus en plus ouvertement. Lors de ce sommet du G20, par exemple, la Chine n’a pas hésité à critiquer l’ordre mondial dirigé par les Etats-Unis, pour proposer une stratégie rapide de sortie de crise avec un plan de relance de 4.000 milliards de yuans. En fait, ce sommet de Londres a été vécu par plusieurs analystes comme celui des fausses illusions, pour un système néolibéral qui a fini de pourrir de l’intérieur, et n’est plus, en lui-même, porteur de solutions. Les vérités seraient ailleurs.

Pambazuka News vous propose une revue de ces approches alternatives qui veulent que de la crise sorte un ordre nouveau, pour un meilleur développement des peuples.

1 - Un petit coup de peinture sur un monde en ruines

Peu importe au G20 si le FMI a été un acteur central dans l’imposition des politiques d’ajustement structurel depuis les années 1980, au contraire, le G20 veut le remercier d’avoir été le grand ordonnateur des privatisations à outrance, de la libéralisation de l’économie, de l’ouverture des marchés et de la réduction drastique des budgets sociaux. Le FMI, bien que discrédité et délégitimé au niveau mondial, va être remis au centre du jeu politique et économique grâce à un apport de fonds d’ici 2010.

Un petit coup de peinture sur un monde en ruines, voilà la démarche du G20. Seule une forte mobilisation populaire pourra permettre de bâtir des fondations solides pour construire enfin un monde dans lequel la finance est au service des êtres humains, et non l’inverse.

Une nouvelle crise de la dette est en préparation au Sud, elle est la conséquence de l’explosion de la bulle de la dette privée immobilière au Nord. La crise qui touche aujourd’hui l’économie réelle de tous les pays du Nord a provoqué une chute des prix des matières premières, ce qui a réduit les recettes en devises avec lesquelles les gouvernements des pays du Sud remboursent leur dette publique externe. De plus, le « credit crunch » a provoqué une hausse du coût des emprunts des pays du Sud. Ces deux facteurs provoquent déjà des suspensions de remboursement de la dette de la part des gouvernements des pays les plus exposés à la crise (à commencer par l’Equateur). D’autres suivront.

La situation est absurde : les pays du Sud sont des prêteurs nets à l’égard du Nord, à commencer par les Etats-Unis qui ont une dette extérieure totale de plus de 6 000 milliards de dollars (le double de la dette externe des pays du Sud). Les banques centrales des pays du Sud achètent des bons du Trésor des Etats-Unis. Ils devraient au contraire former ensemble une banque du Sud démocratique afin de financer des projets de développement humain. Ils devraient quitter la Banque mondiale et le FMI qui sont des instruments de domination. Ils devraient développer des relations de solidarités Sud-Sud comme le font les pays membres de l’ALBA (Venezuela, Cuba, Bolivie, Nicaragua, Honduras, Dominique). Ils devraient réaliser un audit des dettes qu’on leur réclame et mettre fin au paiement des dettes illégitimes.

(Damien MILLET, Éric TOUSSAINT)
http://tinyurl.com/c47k4z

2 - Un lifting des marchés financiers et tout continue comme avant

Pour comprendre l’enjeu de ce nouveau sommet, il est utile de se référer à la déclaration officielle du dernier sommet du G20 qui s’est tenu en novembre 2008, en pleine crise, à Washington : « Nous serons guidés dans nos travaux par la conviction commune que les principes du marché, des économies ouvertes et des marchés financiers correctement réglementés favorisent le dynamisme, l’innovation et l’esprit d’entreprise qui sont indispensables à la croissance économique, à l’emploi et à la réduction de la pauvreté. Durant la période de croissance mondiale soutenue, d’essor de flux de capitaux et de stabilité prolongée qui a marqué les débuts de cette décennie, les acteurs des marchés ont cherché à obtenir des rendements plus élevés sans évaluer les risques de façon adéquate et sans faire preuve de la vigilance requise. ».

En gros, on continue comme avant, mais il faut mieux réglementer les marchés financiers. Sauf que si les marchés financiers occupent une telle place dans l’économie mondiale, c’est bien la conséquence des politiques, initiées par Reagan aux Etats-Unis et Thatcher en Grande-Bretagne et reprises par tous les gouvernements, qui ont consisté à diminuer de l’ordre de 10% la part des salaires dans les richesses produites, à laminer les services publics, les systèmes de santé, de protection sociale et des retraites.
Et c’est bien aux racines de cette politique-là qu’il faut aujourd’hui s’attaquer. Il ne s’agira pas de se laisser illusionner par les discours enflammés que ne manqueront pas de faire Obama, Sarkozy et Compagnie contre des paradis fiscaux.

Car la première mesure sérieuse à prendre serait la nationalisation sans indemnisation et sous contrôle social du secteur bancaire. Elle seule permettrait une réelle levée du secret bancaire et le contrôle et la traçabilité des opérations financières.

(Déclaration du Nouveau Parti anticapitaliste)
http://tinyurl.com/cfm3dx

3 - La Commission Stiglitz dessine « un autre monde »

Une semaine avant la réunion du G20 à Londres, la commission Stiglitz a jeté un pavé dans la mare. La vingtaine d’experts chargés de trouver des solutions à la crise économique et financière présentaient le 26 mars, à l’Assemblée générale de l’ONU, des recommandations pour le moins audacieuses. A commencer par la nécessité de mener les réformes, non pas dans le cadre du G20 ou du G8, mais d’un G192, qui regrouperait tous les pays membres des Nations Unies.

« Il faut une architecture financière adaptée au XXIe siècle pour soutenir l’économie globale du XXIe siècle », lançait Miguel d’Escoto Brockmann, président de l’Assemblée générale. « La crise actuelle offre l’opportunité de mener des réformes qui n’étaient pas concevables il y a quelques mois encore », lui faisait écho Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie et président de la commission. Pour le professeur, la situation est paradoxale : les besoins élémentaires sont loin d’être comblés, mais l’économie mondiale souffre d’une demande trop faible.

« Tous les pays doivent adopter un plan de relance, affirme-t-il, mais les pays en développement n’ont pas les ressources pour le faire. Dès lors, la réponse globale va être déséquilibrée si des fonds additionnels ne sont pas alloués aux pays en développement. Les pays du Nord devraient octroyer 1% de leurs plans de relance aux pays du Sud. » Des fonds qui devraient être débloqués sans conditionnalités inappropriées. La réforme du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale traînant en longueur, les experts préconisent de créer une compétition salutaire entre les institutions existantes, à commencer par le FMI. Pour cela, il faut créer un nouveau mécanisme de crédit, par exemple sous les auspices de la Banque mondiale.

« C’est urgent !, assène Stiglitz. Quelle que soit la forme retenue, le nouveau mécanisme doit avoir une gouvernance plus démocratique et mieux représenter les pays en développement. »

(…) La commission propose aussi de créer un Conseil de coordination économique globale dans le cadre de l’ONU. Sorte de « Conseil de sécurité pour l’économie », il se réunirait chaque année et offrirait une alternative démocratique au G20. Ce conseil superviserait une instance de régulation financière et une autorité pour empêcher les multinationales de devenir trop grandes et de mettre en péril la compétition. Des propositions préliminaires qui doivent encore être finalisées avant le sommet de juin de l’Assemblée générale sur la crise financière.

La commission Stiglitz a prêté une oreille très attentive aux propositions de la société civile. Celles-ci ont été compilées par le Service de liaison avec les ONG des Nations Unies (NGLS), suite à une consultation en ligne à laquelle ont contribué une centaine d’organisations de tous les pays.

(...) Les ONG constatent que la crise a mis en évidence un cadre macro-économique biaisé qu’elles dénonçaient depuis des décennies. Elles ont reconnu que, si l’impact de la crise est mondial, sa responsabilité première incombe aux pays développés, qui doivent entreprendre les changements les plus importants. Les ONG ont insisté sur la nécessité de démocratiser la gouvernance économique mondiale, sous l’égide des Nations Unies et non d’un groupe restreint de pays, comme le G20 s’apprête à le faire. Elles veulent, malgré la crise, conserver intacts les systèmes de protection sociale existants.

(Isolda Agazzi)
http://tinyurl.com/ctqych

4 - L’Afrique marginalisée dans les débats

Dans ce nouveau cercle d’échanges commerciaux, c’est l’Afrique qui s’affiche comme le grand perdant. Du moins la partie du monde qui ne soit pas entièrement associée aux débats.

(…) L’Afrique, qui fait dix fois l’Europe, est le principal creuset des matières premières qui approvisionnent les industries occidentales. Pourtant, seule l’Afrique du Sud a été conviée à la table de ces négociations cruciales qui vont désormais régir le système financier international. Elle y sera en tant que porte-parole d’un continent qui subit pleinement les contre-coups d’une crise dont elle n’est pas responsable.

(…) Ainsi, maintenue dans un niveau d’immaturité et d’illégitimité, l’Afrique est obligée de confier ses intérêts à d’autres puissances. Une réclamation par procuration qui place la France parmi ses plus grands défenseurs. ’Nous essayerons de parvenir à une remise partielle de la dette des pays africains à condition pour ces derniers de ne pas la reconstituer avec d’autres pays comme la Chine’, rappelait Alain Joyandet.

(Abdoul Aziz Agne)
http://tinyurl.com/dg4aca

5 - Une présence africaine sélective

Pour le sommet de Londres, l’organisation continentale qu’est l’Union africaine a reçu un carton d’invitation, même si, par ailleurs, par de subtiles manœuvres, l’incontrôlable Kadhafi, pourtant président en exercice de l’UA, a été soigneusement évité. A Londres, ce sont Galema Motlante, le président sud-africain, le Gabonais Jean Ping de l’UA, Méles Zénawi, président du NEPAD et Premier ministre d’Ethiopie ainsi que le Rwandais Donald Kaberuka, président de la BAD, qui ont porté la voix du continent.

Mais parce que ceux-ci représentent un continent qui reste modeste économiquement parlant pour ne pas dire un nain économique en dépit des prodigieuses richesses dont regorge son sous-sol, les princes qui dirigent le monde se sont ont-ils vraiment donné la peine de prendre de leur temps pour écouter d’une oreille attentive leurs supplications et leurs appels au secours d’un « berceau de l’humanité » au creux de la vague ? Le doute est permis, pour ne pas dire que la voix du continent noir y a été inaudible.

Mais qu’a fait l’Afrique pour mériter un tel sort ? Véritablement, comme l’a laissé entendre le patron du FMI, Dominique Strauss-Kahn, ce n’est pas seulement un devoir moral, mais une obligation historique pour le monde développé de soutenir les pays en développement et particulièrement l’Afrique.

(Boureima Diallo)
http://tinyurl.com/c4be4k

6 - Pas de solution globale sans l’Afrique

« L’Afrique est la seule région du monde qui n’est pas intimement liée aux processus de décisions internationales. Les pays riches doivent comprendre que le monde a changé et que l’Afrique d’aujourd’hui n’est plus celle de l’époque coloniale. Mais en même temps, il faut reconnaître que le processus qui a mené à l’organisation de ce sommet du G-20 ne s’est pas fait sur une base géographique. Il a notamment tenu compte du niveau d’implication des pays convoqués dans l’économie mondiale. Mais cela n’excuse pas l’exclusion de l’Afrique. Il ne faut pas oublier que la plupart des matières premières sont fournies par l’Afrique et si l’Afrique va mal, le monde aura des problèmes.

Après la deuxième guerre mondiale, les puissances ont créé les institutions de Bretton Woods pour réguler toutes les économies du monde. Seuls les pays du Tiers monde ont finalement respecté les réglementations de ces institutions. Si les pays développés avaient fait autant nous ne nous retrouverions pas dans la crise actuelle. Le sommet du G-20 est un premier pas pour redéfinir un nouveau monde. Cette rencontre ne peut aboutir à des solutions globales si des régions du monde en sont écartées. Seuls les Africains peuvent mieux exprimer les problèmes du continent.

(Youssouf Ouédraogo, Premier ministre du Burkina Faso de 1992 à 1994, actuel conseiller spécial du président de la Banque Africaine de Développement)
http://www.afrik.com/article15686.html

7 - Les fausses illusions de l’aide

Quand des promesses sont faites à l’Afrique dans les sommets internationaux, cela porte toujours sur l’augmentation de l’enveloppe de l’ « aide ». L’ « aide » n’a eu, jusqu’à ce jour, pour finalité que de maintenir ses récipiendaires sous perfusion, et de les enfermer dans un cycle infernal de dettes et de pauvreté.

Le respect ou non de telles promesses ne change pas grand chose dans l’évolution des rapports de force qui maintiennent les africains dans la dépendance. La priorité devrait, désormais, résider dans la réduction de cette source de financement.

Les Africains se doivent, pour financer leur développement, de mobiliser leurs ressources propres en se dotant de bourses régionales et nationales de valeur, de lever des fonds sur les marchés des capitaux, et d’engranger des investissements directs étrangers. C’est la ligne de conduite que la délégation de l’Union africaine doit défendre en liant des alliances stratégiques avec d’autres pays membres du G20 dont les intérêts sont en convergence historique avec ceux des pays africains : il s’agit de l’Afrique du Sud, de l’Arabie Saoudite, de l’Argentine, du Brésil, de la Chine, de la Corée du Sud, de l’Inde, de l’Indonésie, du Mexique, de la Russie, et de la Turquie.

(Sanou Mbaye)
http://tinyurl.com/cukznq

* Tidiane Kassé est rédacteur en chef de l’édition française de Pambazuka News


Voir en ligne : www.pambazuka.org