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Chine et occident : la comédie des apparences

Mardi 8 avril 2008, par Contre Info

En admettant qu’existe un « esprit olympique » rassemblant les hommes et les cultures au-delà de leur différences, en sommes nous les dépositaires exclusifs ? De quel droit ? Où donc est-il inscrit que l’occident soit propriétaire des institutions internationales ? On entend ces jours-ci avancer l’argument selon lequel le CIO n’aurait pas du donner les jeux à une Chine qui ne les méritait pas. Faut-il que nous soyons aveugles et sourds pour ne pas être saisis de honte devant une telle arrogance. Il y a 180 nations sur terre. 6 milliards d’êtres humains. Sommes-nous - pour reprendre une image inscrite au tréfonds de la culture occidentale - les bergers du troupeau ? Qui nous mis en position de juger ? Notre avidité, nos armes, nos succès guerriers, le développement sans limite de notre puissance technique, celle là même qui éreinte aujourd’hui une planète devenue trop petite. Pas notre grandeur d’âme.

Nous assistons depuis quelques semaines à une nouvelle et exemplaire mobilisation contre la dictature chinoise et la répression brutale au Tibet.

Défenseurs des droits de l’homme, politiques, journalistes, unis dans la réprobation accusent, dénoncent et sermonnent la Chine, qui ne saurait entrer dans le concert des nations symbolisé par les réjouissances olympiques sans avoir fait amende honorable et rejoint le cercle de la raison, de la démocratie et du droit.

Ce combat nous apparaît évident, simple et clair. Les valeurs de l’humanisme sont notre bien le plus précieux et leur défense une ardente obligation.

Au risque de gâcher cette belle unanimité, permettez nous d’y apporter un bémol. Car ce bel enthousiasme est aussi pour l’occident l’occasion de se livrer à un genre de démonstration collective dont il raffole. Une représentation de la lutte des forces du bien et du mal où il tient à la fois le rôle d’acteur et de spectateur dans en une mise en scène tapageuse de sa bonne conscience, qui n’est en fait destinée qu’à lui et à lui seul.

Vous en doutez ? Posons les questions

A qui cette représentation sur la scène mondiale est-elle destinée ?

Quelle est la nature du message véhiculé, et quels sentiments fait-il naître ?

A la première question, la réponse semble évidente : le message est adressé à la Chine, ou, plus précisément, aux dirigeants chinois et au peuple tibétain. L’indignation mondiale devant contraindre à la résipiscence les uns et réconforter les autres.

Ce passage insensible de la Chine à ses dirigeants, cette équation entre le pays et son régime, méconnaît une réalité fondamentale. La Chine ne se réduit pas aux hommes en place. C’est d’abord un peuple, une histoire et une nation.

Réduisant la Chine à son appareil de pouvoir, nous faisons abstraction de cette réalité, et ignorons du même coup ce peuple et ses sentiments, en lui attribuant évidemment les nôtres, comment pourrait-il en être autrement, puisque nous agissons au nom d’un bien supérieur ?

Nous oublions ainsi que cette nation, qui compte parmi les plus anciennes du monde, fière de ses traditions de haute culture et de son histoire immémoriale, n’a perdu son autonomie que durant une centaine d’année lorsque ce sont singulièrement l’occident et les puissances rivales régionales qui l’ont envahie, dépecée, humiliée.

Ce qui ne nous place pas exactement dans la position du conseilleur amical, convenons en.

Que nous l’appréciions ou non, il est évident que le régime communiste installé après guerre est l’héritier et l’artisan d’une souveraineté et d’une fierté nationale retrouvée dont il est le défenseur sourcilleux. Depuis qu’il a abandonné sous l’impulsion de Deng Xiao Ping les errements et les lubies criminelles du Grand Timonier, il assume aujourd’hui un rôle différent, en organisant le passage à la modernité et au développement qui donnent naissance peu à peu à une classe moyenne et à des corps intermédiaires, en l’absence desquels la démocratie qui devra s’installer un jour prochain en Chine ne serait qu’une coquille vide.

Comment les chinois - tous les chinois, qu’ils soient « apparatchiks, » citoyens de base, et même dissidents - ne seraient-ils pas fiers de ce qu’ils ont accompli en une vingtaine d’années ? Leur pays s’est doté d’une infrastructure industrielle moderne, son économie est entrée dans le peloton de tête mondial et les paysages de Shanghai n’ont rien à envier à ceux de Manhattan. La Chine fait désormais partie du club très fermé des nations ayant envoyé des hommes dans l’espace, ce que l’Europe n’a pas fait. Elle développe des relations commerciales avec des dizaines de pays de par le monde et concoure fréquemment au développement de leurs infrastructures.

Les Jeux Olympiques viennent couronner cette phase de développement accéléré qui lui a permis de renouer avec sa grandeur passée et de retrouver un statut international qui préfigure le rôle qu’elle jouera dans le monde à venir.

Nous pourrions - nous devrions - nous réjouir de voir un peuple retrouver peu à peu sa vigueur et sa fierté. Ce n’est pas le cas. L’occident juge que l’impétrant est indigne et se lance dans une campagne d’attaque et de dénigrement d’une ampleur inégalée et sans guère de commune mesure avec la réalité de la situation au Tibet, ou tout au moins de sa perception par l’ensemble des chinois.

Ce faisant, croyant peser sur le régime, ce sont les chinois dans leur ensemble que nous humilions, et ceci d’autant plus quand on sait le rôle que jouent dans cette culture, le respect des formes, l’obligation de ne pas « perdre la face. » Au lieu de fêter des retrouvailles, de voir là l’occasion d’entamer le dialogue, d’installer la confiance qui permettrait sans doute de critiquer et d’influer sur le cours des choses - au Tibet et au-delà - notre attitude de diabolisation sans nuance ne peut que susciter méfiance et repli nationaliste dans une population désarçonnée par ces volées de bois vert qu’elle estime imméritées.

De la même manière, loin d’infléchir l’attitude du régime, c’est également son nationalisme que nous exacerbons. Quels que soient les dirigeants en place demain à Beijing, qu’ils aient été choisis par la nomenklatura du Parti Communiste ou élus démocratiquement par la population, aucun d’entre eux n’acceptera que la souveraineté nationale ne soit remise en cause avec l’appui de l’étranger. Il n’est qu’à imaginer la réaction de la France, si les indépendantistes Corses recevaient le soutien de Rome, ou celle de Washington si les Latinos de Californie réclamaient avec l’aide de Mexico le retour à la mère patrie pour comprendre à quel point toute sympathie manifestée vers ce qui apparaît comme un séparatisme peut être contre productive.

L’exemple récent de la Russie Eltsinienne, dépecée au plus grand bénéfice de l’occident qui a ainsi pu prendre pied en Asie Centrale est là pour rappeler aux dirigeants de Beijing combien la bienveillance de l’ouest en la matière est pétrie d’intérêts bien compris. Il s’agit d’affaiblir un rival, ni plus ni moins. Et les 6 millions de Tibétains, soit 0,5% de la population qui revendiquent peu ou prou des droits historiques sur près de 25% du territoire, pèseront bien peu dans cette balance là, que cela nous plaise ou non.

Au-delà de son efficacité pour le moins contestable, il faut également s’interroger sur les motifs profonds de ce soudain prurit anti chinois.

Car le non-dit de cet accès de moralisme, c’est aussi une évidente peur latente de la Chine, une forme de résurgence qui ne dit pas son nom de la phobie du « péril jaune » de triste mémoire. Nous savons tous, intimement, que la place occupée actuellement par l’occident dans les futurs équilibres de la planète est compromise. Les forces de la tectonique des plaques qui sont à l’œuvre aujourd’hui ne nous sont pas favorables sur le long terme, et nous en sommes parfaitement conscients, comme le sont d’ailleurs nos concurrents d’Asie et d’ailleurs.

Ainsi, cette campagne - que nous croyons mondiale tant notre aveuglement est grand et qui n’est pourtant qu’à peine occidentale - est une représentation grandeur nature, sur le plan symbolique, des tensions latentes qui agitent le monde contemporain et préfigurent notre futur.

Elle dessine - à notre insu - le contour de notre réaction face à ce défi et la forme de ces relations nouvelles que nous devrons inventer très rapidement, nécessité faisant loi.

Conflit ou partage ? Dialogue entre pairs ou diktats ? Guerre ou négociation ? Voilà l’enjeu de cette première rencontre d’un nouveau type, face à une puissance émergente qui ne pliera pas, préfigurant le nouvel état du monde, et que nous devrons apprendre à respecter - ce à quoi nos réflexes d’anciens « dominants » ne nous prédisposent guère - faute de quoi nous allons au conflit.

Car l’arrière plan de ce « choc des civilisations, » mimé dans les rues de Londres Paris et Los Angeles, ne nous y trompons pas, c’est la guerre.

Comment ne pas voir que vis-à-vis de la Chine nous baignons sous les dehors festifs de la contestation dans une ambiance belliqueuse qui ne dit pas son nom ? Toute prudence, tout respect sont oubliés, dans la représentation hystérique de la lutte éternelle du bien contre le mal à laquelle nous nous adonnons sans retenue. « Nous » avons raison, « ils » ont tous les torts. Voilà bien une simplification outrancière qui rappelle les heures les plus sombres d’autres époques où la raison s’est égarée.

Mais ce message implicite, croyez-le bien, est reçu cinq sur cinq, de Beijing à Moscou, de Sao Polo à Islamabad. Si ce n’est que, comme l’expérience devrait pourtant nous l’apprendre, le message reçu n’a souvent qu’un lointain rapport avec celui que l’on croit émettre.

En l’occurrence, voici ce qui est entendu de par le monde :

Qui conteste la puissance de l’occident se voit mis au ban des nations.

Mais, direz vous, c’est faire bon compte des droits de l’homme, de la démocratie. N’avons-nous pas une responsabilité morale ?

Certes, individuellement. Mais en tant que nation, c’est-à-dire en tant que puissance, c’est beaucoup plus contestable.

Qui sommes nous pour donner des leçons de moralité à la planète entière du haut de nos certitudes ? Serions nous de purs esprits ayant pour mission de ramener à la raison des lumières les dirigeants des nations ? Sommes nous de nouveaux missionnaires chargés de répandre la bonne parole démocratique, prenant ainsi la relève de la fameuse « mission civilisatrice » qui décorait d’un voile pudique des motifs et des pratiques nettement moins avouables ? Allons nous faire la guerre - au sens propre - pour libérer les afghanes de la burqua comme le proposait il y à peu un « philosophe » ?

Cessons donc d’abuser de la « moraline » pour reprendre le mot d’Hubert Védrine. Si les hommes ont évidemment une responsabilité morale, les états, eux tous, sans exception, la France y compris, sont des puissances, agissent selon une logique de puissance, défendent des intérêts de puissance et se procurent et se garantissent l’accès aux ressources nécessaires ou indispensables à leurs sociétés. Cette réalité là - la nôtre - n’a qu’un lointain rapport avec les émois qui nous transissent de temps à autre.

D’un bout à l’autre de la planète se déroulent en ce moment des manifestations et des émeutes - durement réprimées, elles aussi - contre la cherté des aliments de base, mais de cette tempête qui menace la vie quotidienne de centaines de millions de familles - et accessoirement de nombreux régimes - il n’est qu’à peine question. Il va de soi que nous n’avons évidemment aucune responsabilité collective dans la spéculation sur les cours des grains, les incitations au développement des biocarburants, ou la sécurité alimentaire mondiale, ni aucun moyen d’agir, n’est-ce pas ?

L’invasion de l’Irak, sciemment organisée sur la base de mensonges, est l’un des plus grands drames humain de l’après guerre, avec ses quatre millions de réfugiés, ses centaines de milliers de morts, sa violence endémique. La France n’a pas pris part à ce qu’il faut bien appeler un crime. Mais quid de l’Europe ? Grande Bretagne, Italie et Espagne, pour ne citer que les états les plus importants, ont participé à l’invasion. Où est notre responsabilité ? Où sont les infatigables batailleurs réclamant que soient déférés MM. Bush, Aznar, Berlusconi et Blair devant leurs juges à la Haie ? Où sont les actions réparatrices entreprises en faveur du peuple irakien que la folie d’une poignée de dirigeants inconscients a plongé dans le chaos et la violence ?

Nulle part bien sûr.

C’est pourtant à cette aune là, celle de nos actes et non celle de nos paroles, que les peuples du monde jugent de nos prétentions. Autant dire que les uns plaident assez peu pour les autres.

Mais il y a plus encore. Car cette « position du missionnaire » qui nous est si chère ignore également toute dimension historique constitutive et nécessaire à l’élaboration, au mûrissement des valeurs qu’une société fait sienne, peu à peu.

Il a fallu à l’occident des centaines d’années pour définir, stabiliser et commencer à mettre réellement en œuvre les valeurs de l’humanisme reprises à la renaissance. Héritiers oublieux de cette longue histoire collective douloureuse et faite de tâtonnements, nous considérons aujourd’hui ses fruits comme s’il s’agissait de vérités éternelles sous le ciel des idées, méconnaissant le lent et difficile travail de leur accouchement.

Et nous ne parlons pas là de périodes obscures perdues dans la nuit des temps. Des droits qui nous semblent tellement évidents, comme celui de la liberté d’expression, ne sont effectifs que depuis deux ou trois décennies, c’est-à-dire un battement de cil à l’échelle des sociétés humaines. L’auteur de ces lignes est né en un temps pas si éloigné où existaient encore un ministère de l’information, la censure de journaux, d’ouvrages et de films et où l’homosexualité comme l’avortement étaient punis par la loi. Faudrait-il pour autant brûler en place de grève les effigies de De Gaulle et Mendès, pour ne citer que deux noms des responsables de l’époque ?

Il faut une certaine dose de myopie et pas mal d’arrogance pour exiger d’autrui sur l’heure ce que nous venons à peine d’acquérir nous-mêmes, et ce, au prix d’âpres luttes sociales et sociétales. Comment ne pas entendre non plus ce que nous dit le « sud » sur notre propre inhumanité, quand par exemple Marianne Satrapi conclut de son premier passage à Vienne que la liberté y est tellement totale, qu’elle inclut même celle d’être abandonné de tous dans la misère et le dénuement, ce que jamais sa société d’origine n’aurait toléré ?

En sommes nous réduits au silence, à l’acceptation ?

Certes non. Mais cela n’autorise pas à se dispenser de toute modestie, ni de se demander de quel droit nous agissons, et d’interroger la valeur de nos lettres de créances. Ni plus ni moins d’ailleurs que dans les relations individuelles, où il ne viendrait à personne l’idée de se transformer en Savonarole exigeant des bonnes mœurs et des bonnes pratiques, ni à quiconque d’accepter d’écouter ne serait-ce qu’une seconde un être faisant étalage d’une prétention aussi déplacée. En la matière, nous le savons tous, c’est la diplomatie et l’art de la persuasion qui conviennent, pas la leçon ex-cathedra, que d’ailleurs nous n’osons même plus infliger à nos enfants.

Faute de quoi, croyant faire preuve de grandeur d’âme, nous ne révélons que notre aveuglement. En prétendant personnifier le bien, nous ne sommes que les jouets d’un narcissisme complaisant. Et là où nous voyons une bienveillance désintéressée, d’autres lisent - à juste titre souvent - une arrogance qui ne présage rien de bon.


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