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FRANCE

Après l’élection de Sarko : cinq ou dix ans de galère ?

Jeudi 10 mai 2007, par La revue Mouvements

Nicolas Sarkozy a donc été élu. Il en rêvait depuis si longtemps et on nous l’avait tant annoncé dans tous les sondages lors de ces derniers mois que le résultat semblait acquis d’avance. En ce sens, sa victoire constitue un non-événement. En dépit d’une campagne longue et intense qui aura passionné les Français, démenti les thèses sur une « société dépolitisée », réduit le score de l’extrême droite, et largement mobilisé les foules.

Malgré la dynamique enclenchée par Ségolène Royal  bien peu d’observateurs auraient misé il y a ne serait-ce qu’un an sur sa présence au second tour – qui a su inventer un nouveau style de campagne, sa « pugnacité », qui aura atteint son point d’orgue lors du débat avec son adversaire. Malgré aussi le recentrage inévitable qui a prévalu dans le contexte de cette présidentielle et des rapports de force politiques en présence (l’ex-« gauche plurielle » en miettes, une droite conquérante et « décomplexée », le succès d’estime et le score de François Bayrou) qui en a désarçonné plus d’un parmi nous.

Dont acte, c’est la démocratie. Mais que l’ancien ministre de l’Intérieur soit élu au nom de la « rupture » ou du « changement », lui qui a été omniprésent durant le quinquennat de Jacques Chirac, jusqu’à incarner à lui seul sa tonalité libérale, sécuritaire, communautariste, à grand renfort de démagogie et de populisme, a de quoi laisser perplexe sur l’état de la société française et les incertitudes qui la travaillent. Tel est le paradoxe de cette élection. En « droitisant » son discours, Nicolas Sarkozy a su convaincre les électeurs de Jean-Marie Le Pen qu’il représentait un bien meilleur rempart pour défendre les intérêts des catégories sociales mises sur la touche par la modernisation et les effets de la mondialisation, lutter contre « les souffrances du peuple » et préserver la fameuse « identité nationale ». Mais tout en cultivant une rhétorique sur les inégalités innées (certains individus sont inférieurs parce qu’ils sont « nés comme cela »), il a aussi prôné une idéologie de l’égalité des chances (« quand on veut, on peut »).

Associant rejet de la « mauvaise graine » et promotion du « mérite par le travail », allant draguer sans complexe les électorats du centre-gauche et de gauche séduits par son culte de la performance, de la réussite et du travail. C’est ainsi que, mettant au centre de son dispositif de campagne la revalorisation du travail, l’autorité, la morale, il a séduit manifestement une fraction non négligeable des couches moyennes et populaires fragilisées par les politiques qu’il aura contribué à promouvoir depuis 2002 ! Dans cette vaste entreprise de marketing politique, aucun segment de l’électorat ne semble avoir été laissé au hasard.

C’est donc en brouillant les cartes idéologiques au nom d’une morale prônant que « dire c’est faire » et en balayant le spectre social des patrons du CAC 40 aux ouvriers qu’il l’a emporté. De son action menée dans les gouvernements auxquels il a appartenu, de la politique d’ordre menée tambour battant pendant cinq ans et qui a pourtant en réalité des résultats pour le moins mitigés, de ses déclarations haineuses contre les associations « droits de l’hommiste » ou les « jeunes des banlieues », de sa gestion des émeutes de novembre 2005 comme de la mobilisation contre le Contrat premier embauche quelques mois plus tard, il n’est rien resté. Il faut le reconnaître : c’est un beau tour de magie qu’il a réussi !

Comment cela a t-il été possible ? Comment celui qui n’a cessé de monter les uns contre les autres a pu apparaître comme un rassembleur ? Telle est la question qui demeure une énigme.

La gauche de gouvernement qu’incarne à peu près seul désormais le PS, et a fortiori la gauche dite radicale mais en vérité impuissante face aux enjeux du scrutin n’auront pas pesé lourd. Pourtant la qualification au second tour de Ségolène Royal aura contribué à effacer le « séisme » du 21 avril 2002. Ce n’est pas rien ! Et c’est sans doute aussi à ce titre qu’il convient de lire les scores décevants des candidat(e)s Verts, PC, LO, de José Bové, et même de la LCR (malgré sa bonne tenue) : ils (elles) auront été balayé(e)s par le « vote utile », amplifié par le triste spectacle de l’échec d’une candidature unitaire. D’où le fait que, contrairement à l’ambiance avant le 1er tour de 2002, la gauche de la gauche a mis dans sa poche ses réserves à l’égard du programme du PS pour faire bloc contre Sarkozy. Et malgré cette sorte d’union sacrée sans adhésion politique, le score est quand même limite (pas indigne, mais pas porteur).

La candidate socialiste, après avoir fait un hold up sur le PS, l’a conduit à briser bien des tabous et à se transformer lors de cette campagne. Mais, en montant souvent au filet, sans préparation ni concertation, elle aura manqué probablement de jeu de fond de court et de soutien ! La mise en œuvre de la démocratie participative et les propositions qu’elle a faites pour aller plus loin auraient-elles heurté les intérêts des groupes ayant le pouvoir politique et intellectuel ? Pourtant, cette phase de la campagne aura constitué un appel d’air, autorisant l’échange et le conflit, avant que le pacte présidentiel ne fige les choses.

La candidate socialiste aurait-elle été confrontée au machisme, non pas celui traditionnel de la droite mais celui autrement plus « soft » du camp progressiste ? Sans doute une bonne part de l’opinion n’est-elle pas prête à voir une femme accéder aux plus hautes fonctions. La cause majeure de sa défaite tient-elle dans le fait qu’elle n’a pas su convaincre une majorité d’électeurs qu’elle était à même de construire un programme pour faire face à une triple crise (politique, socio-économique et environnementale), de façon crédible et cohérente ?

À moins que ce programme ait été trop centré sur les classes moyennes – fussent-elles « déclassées ». Les hésitations sur les très emblématiques 35 heures et la cacophonie exploitée par son adversaire ont été un indice parmi d’autres du flou et des limites de la politique économique et sociale proposée pour en contrer les accents les plus conservateurs. .Il reste que l’argument opposé au « travailler plus pour gagner plus » consistant à répartir le travail en en facilitant l’accès des plus exclus ou précaires, à commencer par les jeunes, était parfaitement légitime et audible, bien que non suffisant pour emporter l’adhésion. La réforme proposée de la constitution débouchant sur une VIe République est-elle trop audacieuse, ou largement inaudible ? Mais là aussi, comme l’ont souligné plusieurs observateurs avertis, Ségolène Royal a été la première à diagnostiquer le déficit de représentation de notre système politique et à tenter de combler le fossé entre une caste de techniciens et la vie quotidienne des Français.

N’a t-elle pas fait plus que bonne figure lors du premier tour dans les quartiers populaires depuis trop longtemps abandonnés par la gauche ? Mais précisément, elle a moins suscité l’adhésion que bénéficié du rejet de celui qui n’a cessé de stigmatiser les « zones de non droit » et la « racaille ». En tout état de cause, ce sont toutes les tendances de la gauche qui doivent se refonder, adapter leur programme, leurs formes d’organisations et leurs stratégies d’alliances à la nouvelle donne que révèle cette élection.

Dans son propre camp, les critiques, tant sur son programme que sa personnalité, ont conduit à renforcer la crédibilité de Bayrou. Et quand bien même, on peut estimer qu’une bonne part des électeurs de ce dernier ont voté utile au second tour, le divorce était consommé. Pourtant le choix était simple, comme l’a exprimé le slogan TSS, à travers nombre de pétitions et de déclarations.

Trop simple ? Tout s’est passé comme si la rhétorique de la peur et la focalisation parfois excessive sur la personne du candidat UMP avaient fonctionné comme un piège se retournant contre ses instigateurs, sans réellement construire une adhésion positive à la candidate du PS. Il n’y avait pourtant pas à hésiter, et les ralliements ont peut-être été bien tardifs…

Quoi qu’il en soit, la période qui s’ouvre s’annonce difficile. Tout d’abord pour les fractions sociales les plus fragilisées, les « précaires » et les « exclus ». Soit tout à la fois : les chômeurs soupçonnés de se satisfaire de leur situation, les « tricheurs » qui « se lèvent tard », les « sans papiers », les immigrés et leurs enfants, ceux qui sont « racisés » au quotidien par les institutions de la République prise en flagrant délit de déni de ces valeurs d’égalité, les habitants des quartiers les plus pauvres et les jeunes en particulier, les mineurs délinquants sous lesquels le sol de la solidarité est amené à se dérober lorsque ne sera retenue que leur seule responsabilité individuelle (ou celle de leurs familles nécessairement « démissionnaires »), mais les intermittents du spectacle et les intellectuels déclassés qui constituent l’avant-garde d’un précariat généralisé, sans oublier les groupes de rap en particulier dont la liberté d’expression risque d’être (encore plus) mise à mal à coup de procès et de déclarations calomnieuses.

Cela dit, on aurait tort de penser que les autres catégories sociales, plus « stables » ou « protégées », sont l’abri des menaces portées par le changement de société voulu par Sarkozy et son équipe, qu’il s’agisse des fonctionnaires en général ou des salariés du public  qui d’ailleurs l’ont bien compris en votant moins pour lui que les salariés du privé. Il en va de même des syndicalistes et des militants dont l’activisme sera plus étroitement surveillé et criminalisé. Plus largement, ce sont aussi, précisément, les libertés publiques, l’indépendance des grands médias, les protections sociales, le dialogue avec les partenaires sociaux, la participation démocratique, la défense d’une certaine idée de la culture à l’école ou ailleurs et des spectacles vivants, entre autres, qui risquent d’être fragilisés durablement. Mais tout cela nous le savions !

Car l’élection de Nicolas Sarkozy amorce une tentative de « révolution conservatrice » à la française – déjà à l’œuvre d’ailleurs. Il ne s’agit pas de diaboliser l’homme mais de saisir quel type de société il se propose de promouvoir et qui rejoint la dérive touchant l’Europe occidentale et le continent nord-américain. Dans le même temps comme on l’a observé en Italie ou en Espagne, face à au pouvoir néo-conservateur des Berlusconi, Aznar ou Bush, on a assisté à des recompositions politiques dont il faudrait faire un jour le bilan. Des mouvements de fond émanant de la société civile se sont trouvés fortifiés dans leur capacité de mobilisation massive. Le défi sera, plus que jamais, de surmonter leur action limitée à un moment donné et sur une thématique précise pour renforcer leur capacité à se structurer et à se pérenniser, et par là, à se faire entendre des formations politiques qui ne leur prêtent guère attention.

Il s’agit donc de comprendre comment on en est arrivé là, mais aussi quelles perspectives de sortie nous pouvons envisager à court et à moyen terme, sans nous contenter d’une posture réactive et radicale qui s’est imposée ces derniers mois, avec le succès que l’on sait. Quelle recomposition à gauche est possible face à un PS qui pourrait bien être laminé par ses querelles internes, le retour des « éléphants » et le départ des « nouveaux militants », mais aussi avec un PCF exsangue et des Verts guère mieux lotis ? Va t-on assister à l’amorce des législatives et des municipales à une refondation politique se traduisant par une convergence avec la création d’un « Mouvement démocrate » ?

Mais, dans ce cas, comment les forces d’extrême gauche vont-elles s’adapter à cette nouvelle donne ? L’hypothèse de la radicalisation n’est pas à exclure. À moins que dans la perspective des prochaines échéances électorales, une remise à plat soit possible entre la gauche radicale et réformiste. Mais autour de quelle plate-forme et de quelle formation ? Est-ce autour du candidat de la LCR que cette recomposition est pensable ? Allons-nous assister, passées les législatives, à l’émergence d’une nouvelle formation réunissant des sensibilités issues de l’altermondialisme et de l’écologie populaire ?

En cinq ans d’opposition, le PS n’a pas reconstruit son logiciel politique, et la gauche de la gauche court après ses fondamentaux. De son côté, la droite a trouvé une cohérence autour d’un néo-conservatisme qui s’est longtemps cherché mais qui semble s’être imposé. Si la rénovation intellectuelle de la gauche suit les lignes ouvertes par Royal, le décrochage entre un PS socio-démocrate à option centriste et une gauche du PS qui va se retrouver satellisée vers les bataillons exsangues de la gauche antilibérale risque de s’aggraver. Sauf que les lignes de clivage qui minent la gauche ne passent pas toutes entre la fraction la plus centriste du PS et sa gauche. La recomposition ne va pas nécessairement être plus facile quand la décantation post-socio-démocrate sera engagée.


Voir en ligne : www.mouvements.asso.fr