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PALESTINE

Une année de désunion

Dimanche 30 décembre 2007, par Khaled Amayreh

2007 n’a pas été une année ordinaire pour les Palestiniens et leur interminable cause. Elle a été témoin d’une mini guerre civile entre le Fatah et le Hamas, un gouvernement éphémère d’unité nationale suivi d’une confrontation brève mais sanglante à Gaza, qui s’est terminée par la prise de contrôle de la bande côtière par le Hamas. Pour sa part, le Fatah s’est vengé en établissant sa propre autorité séparée à Ramallah et en lançant une inquisition vindicative et généralisée contre les partisans et les institutions du Hamas en Cisjordanie.

Vers la fin de l’année, une autre "conférence de paix" sponsorisée par les Etats-Unis a eu lieu à Annapolis, Maryland. Cependant, comme les nombreuses conférences et initiatives de paix précédentes, la rencontre d’Annapolis, en dépit du battage et de l’euphorie initiale, n’a apporté que peu de promesses d’une paix véritable en Palestine. Et, comme toujours, la raison en est le refus inflexible d’Israël à mettre fin à des décennies d’occupation des territoires palestiniens, en particulier à Jérusalem Est arabe.

Les sanctions financières, économiques et politiques très dures imposées par Israël et l’Occident à l’Autorité Palestinienne suite à la victoire électorale du Hamas en janvier 2006 ont continué à dévaster l’économie et les conditions de vie des Palestiniens à la fois en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza en 2007. Des sanctions draconiennes ont bientôt paralysé la capacité du gouvernement Hamas à payer régulièrement les salaires des plus de 165.000 employés et fonctionnaires.

Ceci conjugué au refus d’Israël de restituer les revenus des taxes des importations palestiniennes transitant par les ports israéliens, a créé une situation implosive, en particulier à Gaza. La pauvreté rampante et une impression obsédante d’enfermement ont incité le Fatah à déstabiliser le Hamas par une quantité de tactiques perturbatrices, comme l’organisation de manifestations, de grèves et le saccage des biens publics.

Finalement, la tension montante entre le Fatah et le Hamas a culminé lors de batailles de rue ouvertes, chacun tenant l’autre pour responsable. Les affrontements de 2007 ont causé la mort de 350 palestiniens. Rétrospectivement, la confrontation quasi tribale entre les deux organisations politiques principales palestiniennes semblait inévitable étant donné l’interférence active des Etats-Unis dans les affaires intérieures palestiniennes.

A l’évidence, par l’intermédiaire de son "envoyé" pour la sécurité auprès de l’Autorité Palestinienne, le Général Keith Dayton, une administration Bush fanatique a tout fait pour allumer la guerre civile entre le Hamas et le Fatah, transférant d’énormes quantités d’argent et d’armes à l’ancien chef de la sécurité du Fatah Mohamed Dahlan, en préparation d’une insurrection militaire contre le gouvernement Hamas.

On a vu à plusieurs reprises des camions pleins de fusils automatiques, de mitraillettes, d’équipement pour vision nocturne et autre matériel militaire traverser la Bande de Gaza, venant d’Israël. Le Hamas a dit avoir saisi un camion d’armes qui faisait route vers les quartiers généraux de la sécurité de l’Autorité Palestinienne à Gaza. Le Hamas a demandé des explications au Président de l’AP, Mahmoud Abbas, sans résultat.

Les affrontements se sont poursuivis par intermittence à Gaza dans les toutes premières semaines de 2007, alors que le chef des services secrets égyptiens Omar Suleiman et ses lieutenants cherchaient laborieusement à y mettre fin. Cependant, les accords de cessez le feu ont été violés dès leur signature, une indication claire que certaines personnes voulaient à tout prix accélérer une confrontation décisive. Le Hamas a accusé Dahlan, ancien homme fort du Fatah, d’être à la tête des "putschistes" – accusation qui semble plus que vraisemblable. Des responsables américains – en plus des médias occidentaux – ont souligné à de nombreuses occasions que Dahlan servait de pion pour déstabiliser le gouvernement Hamas et le renverser complètement.

Le Fatah a rétorqué en attaquant le Hamas et en l’accusant de soumission à l’Iran et de loyauté aux Shiites. Ces insinuations, plus rhétoriques que réelles, étaient essentiellement destinées à pousser les masses arabes contre le Hamas, mouvement religieux sunnite authentique.

Plus sérieusement, les miliciens du Fatah à Gaza ont entrepris une série d’assassinats visant les hommes politiques du Hamas comme ses professeurs d’université et ses élites religieuses.

En février, des délégations du Fatah et du Hamas se sont rendues à La Mecque pour des pourparlers de réconciliation nationale. Les discussions, sous médiation saoudienne, ont abouti à "l’Accord de La Mecque", signé sous les auspices du roi Abdullah d’Arabie Saoudite le 8 février.

Selon l’accord, le Hamas et le Fatah sont convenus de former un gouvernement d’unité nationale qui chercherait à négocier un règlement de paix final avec Israël selon les résolutions des Nations Unies. Dans l’accord, le Hamas acceptait "d’honorer" les accords passés entre l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et Israël, ce qui impliquait une reconnaissance tacite d’Israël.

Pour sa part, le Hamas a nié que l’utilisation du mot "honorer" impliquait la reconnaissance d’Israël, disant que la question était une ligne rouge religieuse et morale que le Hamas ne franchirait jamais. L’Accord de La Mecque cherchait à résoudre ce nœud en stipulant que seuls les ministres des gouvernements d’unité nationale – et non leurs factions politiques respectives – s’engageraient à observer les accords précédents avec Israël.

Le Hamas et le Fatah ont ensuite formé un gouvernement d’unité nationale. Cependant, comme l’Occident – en particulier les Etats-Unis – et Israël ont maintenu intactes les sanctions, la discorde a réapparu et des clash sporadiques mais sanglants entre les deux milices ont continué, évoluant finalement en une guerre totale où tous les coups furent permis. Les affrontements ont culminé le 14 juin, lorsque la Force Exécutive du Hamas et les agences de sécurité du Fatah – supérieures en nombre et en armements mais inférieures en qualité et en motivation – ont combattu pour le contrôle de Gaza. La bataille a duré dix jours et s’est terminée par la mise en déroute du Fatah par le Hamas, qui a pris le contrôle des anciens quartiers généraux de la sécurité de l’Autorité Palestinienne à Gaza.

Scandalisé par le "coup d’Etat sanglant" contre la "légitimité" palestinienne, Abbas a immédiatement dissous le gouvernement d’unité nationale dirigé par le Premier Ministre Ismail Haniyeh et a nommé un gouvernement d’urgence de facto, à Ramallah, dirigé par Salam Fayyad, un ancien ministre des finances qui avait les faveurs des Etats-Unis et de l’Europe. Sur le principe, le gouvernement de Ramallah est illégal et illégitime, comme attesté par les experts en loi constitutionnelle qui ont rédigé la loi fondamentale palestinienne. Abbas et le mouvement Fatah ne furent pas d’humeur à discuter constitutionnalité, à la lumière du "coup d’Etat du Hamas" à Gaza.

Pour sa part, le Hamas a refusé l’accusation de coup d’Etat, argumentant qu’il incarnait la légitimité palestinienne puisqu’il était arrivé au pouvoir par les urnes, et non par décret ou par une révolution violente. De plus, les dirigeants du Hamas à Gaza ont déclaré à Al-Ahram Weekly à plusieurs occasions que le mouvement islamique palestinien devait agir rapidement pour déjouer un coup d’Etat réel soutenu et financé par les Américains contre le gouvernement démocratiquement élu.

L’homme politique du Hamas Yehia Moussa a dit au Weekly : "Qu’étions-nous supposés faire ? Qu’aurait fait n’importe qui en de telles circonstances, voyant Dahlan et Dayton affûter leurs couteaux et se préparer à nous décapiter ? ". Abbas n’a pas cessé de saper le gouvernement d’unité nationale et de neutraliser le parlement palestinien à majorité Hamas. Il a également ordonné à ses forces, renforcées par des armes américaines fraîchement arrivées, de se lancer dans une campagne d’envergure contre le Hamas partout en Cisjordanie. La campagne a visé les institutions sociales, caritatives, éducatives, culturelles et même religieuses du Hamas, dont beaucoup ont été soigneusement vandalisées.

De plus, près de 3.000 leaders politiques et militants du Hamas ont été arrêtés, et beaucoup d’entre eux sévèrement torturés. Cette inquisition n’a été rendu possible que par une coordination active de la sécurité entre les forces de l’Autorité Palestinienne-Fatah et l’armée d’occupation israélienne. Les hommes armés du Fatah ont tué plusieurs militants du Hamas et les activités politiques et culturelles du mouvement ont été effectivement interdites.

En décembre, le Ministre des Fondations religieuses soutenu par le Fatah Jamal Bawatneh a émis un décret fermant tous les comités gérant l’aumône (Zakat) en Cisjordanie. Bawatneh a essayé de justifier la décision en disant que ces associations avaient besoin d’être réformées. Il fut cependant clair pour beaucoup que le but principal du décret était d’éradiquer l’influence du Hamas sur ces associations.

Tout heureux du schisme palestinien et de la désunion nationale, Israël et les USA se sont dépêchés de soutenir le gouvernement d’Abbas basé à Ramallah. Israël a accepté de dégeler une partie des revenus des taxes palestiniennes pour "renforcer Abbas". De la même manière, les USA et les états européens ont repris le versement de l’aide financière au gouvernement Fayyad. Citant la prise de contrôle de Gaza par le Hamas, Israël – vraisemblablement en collusion avec les USA et le régime de Ramallah – a déclaré le 19 septembre 2007 la Bande de Gaza "entité hostile", imposant un blocus hermétique sur le territoire densément peuplé et soigneusement appauvri. Le blocus, d’une nature mpitoyable et d’une dureté sans précédent, a mené 1,4 millions de Gazans au bord de la famine, avec des douzaines de Palestiniens malades mourant par pénurie de médicaments.

De plus, Israël a décidé de réduire de façon significative les fournitures de pétrole et d’électricité à Gaza, apparemment pour pousser les Gazans à se révolter contre le Hamas. Israël a également empêché les Gazans d’entrer ou de sortir de la Bande, ce qui est terriblement angoissant pour des dizaines de milliers d’étudiants, de patients cherchant une aide médicale à l’étranger, ainsi que pour les Palestiniens ordinaires. Certains rapports sur Gaza ont décrit la situation comme "très similaire au Ghetto de Varsovie" et à un "génocide lent". Le 13 décembre, s’ingérant comme rarement dans la politique, le Comité International de la Croix Rouge a durement condamné les politiques israéliennes contre les Palestiniens. "Les Palestiniens sont continuellement soumis à des épreuves très dures en vivant simplement leurs vies. Ils sont empêchés de réaliser ce qui fait le quotidien de l’existence de la plupart des gens. Les territoires palestiniens sont soumis à une crise humaine profonde, où des millions de gens sont privés de leur dignité humaine. Pas une fois de temps en temps, mais tous les jours", dit un rapport du CICR.

Le rapport du CICR souligne aussi l’étranglement économique de Gaza par Israël, et son système de barrages routiers qui divise la Cisjordanie en cantons discontinus, coupant les fermiers de leurs terres et empêchant la libre circulation.

Concomitamment à l’effondrement virtuel humanitaire et économique de Gaza, les dirigeants israéliens et de l’Autorité Palestinienne ont tenu une pléthore de réunions au sommet destinées à atteindre une compréhension commune étroite de à quoi ressemblerait un accord de statut final du conflit. Cependant, les nombreuses rencontres, souvent accompagnées d’attentes élevées et appuyées par des visites médiatisées dans la région de la Secrétaire d’Etat US Condoleezza Rice, n’ont pas réussi à atteindre le moindre accord, Israël continuant à refuser de s’engager à mettre fin à son occupation militaire vieille de 40 ans de la Cisjordanie, de la Bande de Gaza et de Jérusalem Est.

Finalement, les dirigeants israéliens et palestiniens ont participé à la conférence de paix accueillie par les Américains à Annapolis, Maryland, que la plupart des commentateurs et observateurs arabes ont décrite comme un échec retentissant, certains d’entre eux se référant au proverbe arabe célèbre : "La montagne est entrée en travail, mais elle a accouché d’une souris."

Bien que de tels épithètes puissent sembler exagérés, Israël et l’Autorité Palestinienne continuent à être aussi éloignés l’un de l’autre sur les questions essentielles qu’ils l’étaient avant la conférence d’Annapolis. Les deux côtés sont tombés d’accord pour entamer des pourparlers qui mèneraient au règlement de statut final basé sur la "feuille de route" soutenue par les Américains et maintenant ressuscitée, ce qui pourra provoquer rapidement la rupture des discussions. Par exemple, Israël ne considère pas que Jérusalem Est fait partie de la Cisjordanie et insiste pour que les promesses faite par le Président Bush à l’ancien Premier Ministre israélien Ariel Sharon soient traitées comme partie intégrante de la feuille de route.

Israël continue aussi à construire des centaines d’unités coloniales "pour Juifs uniquement" partout en Cisjordanie, en particulier dans et autour de Jérusalem Est arabe. De la même manière, Israël insiste pour que dans le contexte de l’accord de statut final avec les Palestiniens, la future entité palestinienne reconnaisse Israël comme "Etat juif" du peuple juif de partout – une allusion claire au fait que les Israéliens non juifs n’auront pas de droit permanent à résidence, ni égalité.

Comme pour la direction de l’Autorité Palestinienne, il est clair qu’elle négocie d’une position de faiblesse critique, non seulement à cause de la rupture avec le Hamas, qui va vraisemblablement perdurer encore quelques temps, mais principalement à cause de la pression exercée sur Abbas par les Américains et les Israéliens. Le Weekly a lutté en vain pour obtenir des dirigeants de l’Autorité Palestinienne et du Fatah à Ramallah une réponse cohérente et crédible à la question suivante : "Quelles stratégies alternatives a l’Autorité Palestinienne dans le cas où les négociations avec Israël arriveraient à une impasse ?".

Il doit y avoir des alternatives. L’échec des discussions avec Israël, qui est plus que probable, peut tout à fait mener à l’effondrement de l’Autorité Palestinienne elle-même, auquel cas toutes les parties concernées retourneraient à la case zéro. Un tel événement lourd de menaces représenterait la meilleure des nouvelles pour les forces radicales des deux côtés, y compris pour les Etats-Unis et leur stratégie de "chaos créatif" dans l’ainsi nommé "Grand Moyen Orient".

Source : Al-Ahram
Traduction : MR pour ISM