|  

Facebook
Twitter
Syndiquer tout le site

Accueil > français > Archives du site > L’arc des crises > « Trot tôt pour se réjouir, ce n’est qu’une trêve »

LIBAN

« Trot tôt pour se réjouir, ce n’est qu’une trêve »

Entretien avec Georges Corm

Mardi 27 mai 2008

"Les problèmes les plus difficiles n’ont pas encore été résolus et nous devons nous attendre, je ne saurais pas dire quand, à d’autres tensions fortes quand ils arriveront à la surface. " L’accord trouvé à Doha s’est-il acheminé vers une entente nationale ou a-t-il seulement trouvé une trêve entre les formations politiques opposées et leurs sponsors extérieurs respectifs ? C’est la question que de nombreux libanais se posent (ou des libanais –et journalistes de leurs sponsors- surpris et désorientés voire très embêtés par cet accord, et que nous avons posée au Professeur Georges Corm, intellectuel de Beyrouth, analyste politique et financier et auteur.

Professeur Corm, quelle valeur donnez-vous à l’accord de Doha ?

Il me semble bon, ou du moins satisfaisant. J’aurais tendance cependant à le considérer comme une trêve plutôt que comme une entente définitive entre les deux parties. Les problèmes les plus difficiles n’ont pas encore été résolus et nous devons nous attendre, je ne saurais pas dire quand, à d’autres tensions fortes quand ils arriveront à la surface. Pour le moment réjouissons-nous de ce résultat important et essayons de nous détendre, nous en avons vraiment besoin après les combats de ces dernières semaines qui nous ont fait revivre les jours de la guerre civile (1975-1990).

Quels sont les points de l’accord qui vous semblent les plus convaincants ?

Un en particulier. La décision d’amender la loi électorale, le système de 1960 ; c’est très important parce qu’on essaiera maintenant de ré-équilibrer électeurs et circonscriptions alors qu’ils avaient été déterminés d’une certaine façon par une partie (la majorité, NDR) (obtenue par ce découpage, fait par les puissances dites mandataires - coloniales- occidentales, majorité dite aujourd’hui à juste titre par nos médias dominants, proeuropéenne, NdT) aux détriments de l’autre (prosyrienne, toujours selon les médias dominants, NdT). Et nous en avons vu les résultats aux élections passées. S’il n’y a pas d’obstacles, et malheureusement j’en prévois beaucoup, l’an prochain nous aurons des résultats électoraux plus respectueux de la réalité politique du pays.

De quoi le Liban a-t-il besoin pour sortir de la crise ?

De deux choses. Du respect de cette « démocratie consensuelle » qui représente le principal résultat des accords de Taif (qui mit fin à la guerre civile à la fin des années 80, NDR) et que le Premier ministre actuel Fouad Siniora retourne immédiatement chez lui, sans délai. Le système actuel de fait assigne d’importants pouvoirs au Premier ministre et, dans la situation de crise que nous vivons, nous devons nommer un premier ministre qui représente la majorité des libanais et pas seulement une partie d’entre eux. Toutefois, ces efforts voués à redonner au pays un élan se révèleront inutiles si nous ne brisons pas aussi le monopole économique et financier de la famille Hariri. Le groupe financier des Hariri est le principal fournisseur de travail au Liban, il possède une des plus grandes banques et il est actionnaire de la majorité de beaucoup d’autres. A la Bourse de Beyrouth les actions de Solidere (la société qui a construit la capitale et le pays après la guerre civile, est la propriété des Hariri, Ndr) sont en hausse constante malgré la guerre et les désordres. Et tout ceci alors que le Liban compte plus de 40 milliards de dollars de dette publique causés, plus que toute autre chose, par les intérêts exorbitants que l’Etat paye ou doit payer aux banques ; banques où sont par ailleurs déposés des capitaux trois fois plus importants que le Pil. C’est un étranglement que subissent surtout les couches les plus faibles de la population, et qui est le produit aussi des intérêts de la famille Hariri.

Revenons ( ! à des choses moins compromettantes pour la « majorité pro-occidentale », NdT) aux accords de Doha. Les Libanais sont heureux, ils n’arrivent quasiment pas à croire que les parties en conflit aient trouvé un compromis, et bien sûr, on est content aussi à Téhéran et à Damas. A Washington et à Riyad par contre, que pense-t-on en ce moment ?

Qu’ils ont pris un mauvais coup mais n’ont pas dit leur dernier mot. A mon avis, les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite n’ont rien pu faire pour prévenir cet accord qui ne reflète pas leurs intérêts au Liban. Ils n’ont pas pu l’empêcher parce que même leurs alliés (libanais) voulaient une pause, un compromis, une voie qui évite un nouveau désastre à notre pays. Mais le pas en arrière qu’ont fait Washington et Riyad n’est que temporaire, je dirais tactique. Donc ils reviendront à l’attaque. Mais j’ai de bons espoirs parce que la majorité de la population, représentée par l’opposition, ne veut pas finir sous l’hégémonie étasunienne ou israélienne après avoir rompu celle de la Syrie.

Edition de jeudi 22 mai 2008 de il manifesto

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/22-Maggio-2008/art47.html

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio