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PALESTINE

Tout est calme sur le front de Gaza

Jeudi 26 juin 2008, par Uri Avnery

ET SOUDAIN : le calme. Pas de Qassams. Pas d’obus de mortiers. Les chars n’évoluent plus. Les avions ne bombardent plus. Á Sdérot, des soupirs de soulagement. Les enfants s’aventurent au dehors. Les habitants qui ont émigré vers d’autres villes reviennent à la maison. Et quelle est la réaction ? Une explosion de joie ? Des danses dans les rues ? Des applaudissements pour le Premier ministre et le ministre de la Défense qui ont fini par entendre raison ? Pas du tout.
Pas du tout. Ce que l’on observe sur le visage de la nation est une grimace de dégoût. Que se passe-t-il donc ? Où est notre victorieuse armée ?

Les gens de Sdérot sont vraiment en colère. OK, il n’y a pas de Qassam, mais cela ne devait se produire qu’après que l’armée fut entrée à Gaza et l’eut anéantie.

Haaretz ouvre sa première page sur le titre mensonger : "Israël paie avec des actes – et obtient des promesses".

« C’est fragile » nous rassure Ehoud Olmert, cela peut se terminer d’une minute à l’autre. Et l’autre Ehoud, Barak, qui a poussé au cessez-le-feu, a une excuse : nous devons faire semblant avant de lancer la Grande Opération à Gaza. Par souci des opinions publiques israélienne et internationale.

Et personne ne dit : grâce à Dieu, la tuerie a pris fin !

POURQUOI ? QUELLE est la cause de cette réaction presque unanime de déception ? Pourquoi observe-t-on un sentiment général d’humiliation, presque de défaite ?

C’est parce que l’ego national est blessé. Comme il aurait été merveilleux de voir l’armée israélienne à Gaza en train de détruire le Hamas, et la ville entière avec. Mais, au lieu d’une victoire écrasante, nous enregistrons quelque chose comme le choc d’une déroute. Et cela malgré les discours de ceux qui appellent maintenant à réoccuper la Bande de Gaza : ceux qui disent que d’un moment à l’autre, avec seulement un peu plus de privations et d’enfermement, la population aurait cédé et se serait révoltée contre le Hamas.

Du point de vue militaire, une année de guerre dans la bande de Gaza s’est conclue par un match nul. Armée israélienne – Hamas : 1 partout. Mais l’armée israélienne et le Hamas ne sont pas deux équipes de football de la même division. Le Hamas est un mouvement politico-religieux armé que l’on qualifie dans le langage occidental habituel d’"organisation terroriste". Lorsqu’une telle organisation obtient un match nul contre l’une des armées les plus puissantes du monde, elle peut à bon droit crier victoire.

L’objectif de la guerre d’Olmert était de renverser le gouvernement du Hamas dans la bande de Gaza et de détruire l’organisation elle-même. Ce but n’a pas été atteint. Au contraire, d’après tous les rapports, le Hamas est plus fort que jamais, et son emprise sur la bande de Gaza est forte. Même en Israël cela ne se discute pas.

Pendant une année, le gouvernement israélien a imposé un blocus total à la bande de Gaza – terrestre, maritime et aérien. Il a bénéficié du soutien inqualifiable de l’Europe qui a aidé à affamer une population d’un million et demi d’hommes et de femmes, d’enfants et de vieillards. Les États-Unis étaient, naturellement, un partenaire à part entière dans cette glorieuse entreprise. L’Egypte de Hosni Moubarak, dépendante des États Unis, y a collaboré, même si c’est à contrecœur.

Tout cela n’a pas suffi à vaincre une bande de Gaza pauvre et surpeuplée, un étroite bande de terre de 35 km de long sur 10 km de large. Non seulement les tirs de roquettes n’ont pas cessé mais leur nombre a augmenté. Le nombre de victimes en Israël a été faible, un enfant pourrait en faire le décompte, mais leur impact sur le moral a été considérable.

L’armée israélienne s’est révélée impuissante contre cette arme primitive qui ne coûte presque rien. L’armée a tué en masse et de façon ciblée, sur terre et depuis les airs, à l’aide de missiles, d’obus et d’armes d’infanterie. Sans résultat.

Le Hamas a survécu mais lui non plus n’a pas atteint ses objectifs. Il n’a pas trouvé de réponse au blocus. C’est seulement la pression de l’opinion publique internationale (et aussi celle des forces de paix israéliennes) qui a permis d’éviter la famine complète, mais on manquait de tout dans la Bande de Gaza. Le chômage était général, le carburant manquait, de nombreux habitants souffraient de sous-alimentation, à la limite de la famine.

C’est ce qui caractérise un match nul : aucune des parties n’est capable de faire la décision et d’imposer sa volonté à l’adversaire.

UN CESSEZ-LE-FEU intervient lorsque les deux parties en ont besoin. (Il est vrai que Carl von Clausewitz, le penseur militaire prussien, a dit qu’à la guerre il est impossible qu’une situation soit avantageuse pour les deux antagonistes au même moment, qu’une chose bonne pour l’un est nécessairement mauvaise pour l’autre. Mais dans la vraie guerre, il y a des exceptions.)

En réalité, l’armée israélienne n’avait pas moins besoin du cessez-le-feu que le Hamas. Cela est apparu clairement dans les commentaires des "correspondants militaires", qui sont presque tous des porte-parole à peine masqués de l’armée. Naturellement, pas un membre du gouvernement n’aurait donné son accord à un cessez-le-feu si les responsables de l’armée y avait été opposés.

En général, les chefs de l’armée poussent à une action de plus, une opération de plus, une guerre de plus. Se sont-ils soudain métamorphosés en colombes ? Pas vraiment. Mais ils avaient conscience de devoir choisir entre deux "mauvaises" options : un cessez-le-feu ou la "Grande Opération" – la reconquête de l’ensemble de la bande de Gaza.

L’état-major n’aimait pas la première option, et c’est un euphémisme. Cela signifiait un aveu d’échec. Mais la seconde option les séduisait encore moins – beaucoup, beaucoup moins.

La Grande Opération, qui avait les faveurs d’une grande partie de l’opinion publique, que presque tous les media exigeaient à grands cris, est très problématique. Le Hamas a eu beaucoup de temps pour s’y préparer. Aucune armée n’aime combattre dans une zone urbaine, au milieu d’une population nombreuse. Chaque ruelle est un piège potentiel, chaque homme – et chaque femme – un kamikaze potentiel. Même si l’armée réussissait à entrer dans la Bande et à l’occuper avec seulement des pertes "tolérables", ce ne serait que le début des soucis. Tous les jours des soldats seraient tués. Les effusions de sang mutuelles n’auraient pas de fin. Il suffit de regarder la guerre d’Irak.

L’opinion publique est versatile. Chaque soldat mort dont la télévision montre le visage souriant accroît la pression à se dégager. Tôt ou tard l’armée devrait se retirer – et la situation reviendrait à l’état antérieur, en pire.

Les chefs de l’armée ont conscience de cela. Olmert et Barak en ont aussi conscience. La leçon de la seconde guerre du Liban n’a pas été oubliée. Il n’y a chez eux aucune envie de faire la guerre.

CE CESSEZ-LE-FEU a des implications politiques d’une portée considérable. Il modifie la carte de la Palestine – et peut-être celle de la région.

On peut bien protester jusqu’à la fin des temps, on peut crier sur les toits que "nous ne négocions pas avec le Hamas" et que "nous n’avons aucun accord avec le Hamas" – n’importe quel enfant comprend qu’en réalité nous négocions et qu’en réalité nous avons un accord.

Aux yeux des Palestiniens, la situation est claire : Mahmoud Abbas à Ramallah n’a rien obtenu des Israéliens, le Hamas oui.

Abbas essaie par des moyens pacifiques. Il est le chouchou des Américains et des Israéliens. Mais depuis le grand cinéma d’Annapolis, non seulement il n’a pas arraché la moindre concession significative ni obtenu la libération d’un seul prisonnier, mais de nouveaux prisonniers sont faits chaque nuit, les colonies sont agrandies et le gouvernement israélien annonce des projets grandioses de nouvelles constructions à Jérusalem Est et dans toute la Cisjordanie. Et le gouvernement israélien ne songerait même pas à y chercher un accord de cessez-le-feu.

Et dans le même temps, le Hamas, assiégé par le monde entier, perdant des combattants tous les jours, a obtenu un résultat militaire et politique significatif : des marchandises vont entrer dans la Bande, des voitures vont de nouveau se presser le long des routes défoncées, le point de passage de Rafah qui sépare la Bande du monde va être ouvert. Dans le cadre de l’échange de prisonniers à venir, des centaines de prisonniers palestiniens vont être libérés en échange du soldat israélien capturé, Gilad Shalit.

La conclusion ? Chacun peut se poser la question : si j’étais palestinien, quelle conclusion en tirerais-je ?

Le cessez-le-feu influence l’équilibre des pouvoirs au sein du peuple palestinien. Le Hamas a prouvé qu’il peut assurer un gouvernement régulier. Maintenant il est en train de prouver qu’il est capable aussi de contrôler les organisations radicales.

La chose la plus sage que peut maintenant faire Mahmoud Abbas est de constituer un gouvernement d’unité, en s’appuyant à la fois sur le Hamas et sur le Fatah.

EST-CE QUE le cessez-le-feu va tenir ? Les correspondants disent que personne ne s’y attend.

Lorsque Olmert dit qu’il est fragile, il sait de quoi il parle.

Il n’y a aucun accord écrit. Aucune procédure n’est prévue pour régler les différends. Il n’y a aucun arbitre pour décider, en cas de besoin, quelle partie est responsable d’une violation.

Si quelqu’un en Israël a envie de rompre le cessez-le-feu, rien ne sera plus facile : un chef de patrouille ouvre le feu sur un groupe de Palestiniens près de la clôture de la frontière, parce qu’il les soupçonne de se préparer à déposer une charge explosive. Un hélicoptère espion croit qu’on lui tire dessus et lance un missile. Le responsable du renseignement de l’armée prétend que de grandes quantités d’armes sont introduites clandestinement dans la Bande.

Cela peut se faire aussi d’autres façons. L’armée tue une demi-douzaine de militants du Jihad en Cisjordanie. En représailles, l’organisation tire une salve de Qassam sur Sdérot. L’armée annonce qu’il s’agit d’une violation de l’accord et répond par une incursion dans la bande de Gaza. Ce sera même justifié formellement puisque le cessez-le-feu ne concerne pas la Cisjordanie.

Tout accord tient aussi longtemps que les deux parties estiment qu’il sert leurs intérêts. Si l’une d’entre elles pense le contraire, elle rompra l’accord (et prétendra que c’est l’autre partie qui l’a rompu d’abord). Dans notre cas, la première à le rompre sera selon toute probabilité la partie israélienne.

UN CESSEZ-LE-FEU n’est pas la paix (salaam), ni même un armistice ou une trêve (hudna). Ce n’est rien de plus qu’un accord entre combattants d’arrêter de tirer pendant un certain temps.

Il est dans la nature des choses que chaque partie tire parti du cessez-le-feu pour se préparer à la prochaine phase de combat – pour respirer profondément, pour se reposer, pour s’entraîner, pour faire des projets, pour se procurer des armes plus performantes.

Mais le cessez-le-feu peut devenir plus que cela. Il peut conduire à l’unité palestinienne, à une remise en question israélienne, à un progrès concret vers une solution pacifique. Á tout le moins, chaque jour de cessez-le-feu sauve des vies humaines.

Et dans l’intervalle les dictionnaires hébreux et internationaux ont intégré un autre mot arabe : Tahdiyeh, calme.

Article écrit le 21 juin, publié en hébreu et en anglais le 22 sur le site de Gush Shalom – Traduit de l’anglais "All Quiet on the Gaza Front" : FLPHL


Voir en ligne : www.france-palestine.org