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La crise

Subprime : arrière-plan d’une crise (provisoirement) évitée

Mardi 7 octobre 2008, par Xavier Dupret / Gresea

"Un pays en déficit absorbe, si l’on combine la consommation et l’investissement, plus que sa propre production ; dans ce sens, son économie s’appuie sur l’épargne accumulée à l’étranger. En retour, il est dans l’obligation permanente de payer des intérêts ou des profits au prêteur. Est-ce une bonne affaire ou non ? Cela dépend de l’utilisation que l’on fait des fonds. S’ils permettent simplement un excès de consommation plutôt que de production, l’économie est en route pour la ruine".

Joan Robinson, Collected Economic Papers, Vol. IV, 1973

Il y a (presque) un an, éclatait aux Etats-Unis la crise du subprime. Le temps, pour les autorités américaines, de sortir leur "bazooka" pour, quasi à la date anniversaire, le 8 septembre 2008, sauver le système financier et ses zozos d’une débâcle en cascade par l’injection de 200 milliards de dollars de… fonds publics. C’est l’occasion pour le Gresea de revenir sur une série de concepts en vogue dans les milieux financiers. Ces concepts permettront de mieux identifier les acteurs du crédit hypothécaire américain concernés au premier chef par l’affaire des "subprimes". En guise de conclusion, nous nous livrerons à un exercice de prospective centré principalement sur la question de la rémunération du facteur travail aux Etats-Unis et en Europe.

En avril 2007, New Century, numéro un américain des prêts hypothécaires à haut risque, faisait faillite. Cette compagnie était la première victime de la multiplication des défauts de paiement des ménages américains. Et c’est le 18 juillet 2007, alors que la banque d’investissement américaine Bear Stearns (grande banque d’affaires américaine particulièrement active sur le marché des emprunts subprime) annonçait que la valeur de deux de ses fonds venait de s’effondrer, que les "profanes" entendaient parler, pour la première fois, des emprunts subprime qui consistaient en un système de crédits hypothécaires à taux d’intérêt variables, gagés sur le logement de l’emprunteur et destinés à des personnes n’offrant pas toutes les garanties de solvabilité. La diffusion de la crise des emprunts dits "subprime" allait gagner l’ensemble du monde en une semaine. Fin juillet 2007, Paris, Londres, Tokyo et Francfort "dévissaient" à leur tour à mesure, d’ailleurs, que la crise du secteur immobilier s’approfondissait aux Etats-Unis. Explication.

Au début des années 2000, après que la bulle des nouvelles technologies de l’information et des communications ait explosé, le monde financier US s’est mis en quête d’une autre martingale et d’un autre secteur d’activité.
Le secteur privilégié sera l’immobilier. Pariant sur le fait que, depuis 1945, on n’avait jamais enregistré de baisse des prix dans l’immobilier aux Etats-Unis (on notera, au passage, le caractère approximatif du raisonnement), les organismes financiers présents sur le marché américain escomptaient une hausse constante des valeurs immobilières au point que la solvabilité des emprunteurs n’avait finalement plus guère d’importance à leurs yeux. Si un emprunteur ne pouvait plus rembourser, on pourrait toujours revendre la propriété. Plus-value assurée pour l’organisme de prêt. Dès lors, on a assisté à une véritable explosion des crédits dits subprimes aux Etats-Unis tout au long des années 2000. "En 2006, les crédits "subprime" ont représenté 24% des nouveaux crédits immobiliers octroyés aux Etats-Unis (…) contre 8,5% en 2001" 1 . Le crédit immobilier US s’est donc montré de plus en plus "accro" au risque.

La martingale mise en avant, ce sera la titrisation. La titrisation consiste en la transformation de créances (dans le cas du subprime, le remboursement des crédits hypothécaires en cours) en titres financiers. En jargon financier, les sociétés qui pratiquent la titrisation des créances sont émettrices de MBS (mortgage backed security – en français, on parlera de "titres adossés aux emprunts hypothécaires"). Les paiements des traites sont transférés aux détenteurs des titres qui deviennent, en quelque sorte, propriétaires de la créance. Via la titrisation, les sociétés de crédit hypothécaire se débarrassent du risque du défaut de paiement (ou risque de crédit) en transférant leurs créances auprès des organismes qui mettent en oeuvre la titrisation en émettant des MBS.

A l’origine, la titrisation permettait d’éviter aux organismes de prêt le risque de liquidité qui procède d’un décalage temporel entre des dépôts à court terme et des prêts à plus long terme. Or, précisément, le marché des titres garantit des financements de long terme, ce qui cadre bien avec l’encourt des crédits hypothécaires qui porte le plus souvent sur plusieurs décennies.

Sur le papier, tout semblait donc devoir marcher comme sur des roulettes. D’un côté, on avait un marché immobilier en expansion constante depuis 1a fin de la Deuxième Guerre mondiale, ce qui constituait un pare-feu a priori sécurisant face à l’hypothèse fâcheuse d’éventuels défauts de paiements d’une partie du public. De l’autre, on comptait sur une technique qui permettait aux organismes prêteurs de couvrir les emprunts consentis par des rentées de long terme. Le meilleur des mondes ?
Pas vraiment. Car cette configuration apparemment idyllique a totalement volé en éclats. Pourquoi ?

Le fiasco

Il y a deux niveaux d’explication. Le premier tient à l’évolution du contexte macroéconomique des Etats-Unis depuis le début des années 2000. Au 25 juin 2003, le taux d’intérêt de la Fed était de 1%. Au 29 juin 2006, il culminait à 5,25% 2 . Ce mouvement haussier des taux d’intérêt a entraîné une restriction de la demande pour les biens immobiliers dont les prix ont fort logiquement commencé à baisser. Par voie de conséquence, les agences de crédit ne pouvaient plus se rembourser en procédant à la vente forcée des biens des clients insolvables. Première ombre au tableau. Ce n’est pas la seule.

Puisque les subprimes sont des prêts à taux d’intérêt variables, il va de soi que les hausses successives de taux d’intérêt mises en oeuvre par la Federal Reserve (FED, banque centrale des Etats-Unis) ont fragilisé les possibilités de remboursement des ménages. Les organismes de crédit se retrouvent avec des emprunts impayés sur les bras, emprunts qui sont malheureusement adossés à des biens immobiliers dont la valeur s’effondre. Situation évidemment inconfortable dont nul ne pouvait supposer qu’elle deviendrait explosive. Car comment rendre compte du fait qu’une hausse des crédits hypothécaires impayés de l’ordre 34 milliards de dollars a entraîné à sa suite une destruction de capital de l’ordre de 57 milliards de dollars en un été 3 ?

Tenter de répondre à cette question suppose que l’on passe à un autre niveau d’explication centré cette fois sur la stratégie des acteurs individuels présents sur le marché du crédit hypothécaire US. A l’origine, la titrisation était le fait d’organismes parapublics 4 qui s’engageaient uniquement à mettre sur le marché des capitaux des lots de créances solides (ce que l’on nomme dans le jargon des crédits dits "de premier ordre"). Les nouveaux acteurs du crédit hypothécaire vont, comme on l’a vu, bouleverser la donne en s’engageant en faveur de créances douteuses. Cette modification des normes de souscription va prendre un coté massif avec le temps. "En 2003, selon Inside Mortgage Finance, les organismes parapublics étaient à l’origine de 76% des émissions de titres adossés à des crédits hypothécaires (…), les 24% restants étant constitués de titres "privés" émis par les grandes maisons de Wall Street. A la mi-2006, leur part avait chuté à 43%, les titres privés représentant 57% du total" 5 .

Structures opaques pour marché fou

Le souci avec les emprunts subprime, c’est que puisqu’ils sont (très) risqués, ils font problème pour attirer les investisseurs institutionnels (les fameux "zinzins") traditionnellement actifs sur le marché de titres adossés aux emprunts hypothécaires. Les zinzins sont, en effet, sévèrement limités, de par leurs directives d’investissement, en matière d’achats de titres de créances mal cotées. A tout problème, sa solution. Les sociétés de crédit vont séparer les risques en mélangeant dans un fonds commun des titres obligataires adossés pour partie à des créances douteuses mais aussi à des créances sûres.

Pour cela, Wall Street a ressorti les dispositifs d’obligations structurées adossées à des emprunts (Collaterized Debt Obligation ou CDO) dont la mise en œuvre remonte au début des années 80. Entre la société émettrice de MBS et le détenteur final du titre (l’investisseur institutionnel ou spéculatif), une nouvelle structure va donc servir d’intermédiaire, le CDO. "Pour comprendre le fonctionnement d’un CDO, il faut remonter dans le temps, à l’époque des années quatre-vingt et dans la salle de marché de Salomon Brothers (aujourd’hui dans Citigroup). Lewis Ranieri, un des responsables de cette banque d’affaires, a l’idée de prendre un portefeuille de crédits hypothécaires d’une banque commerciale, de le placer dans un véhicule d’investissement ad hoc et de le diviser en plusieurs obligations destinées à être vendues à des fonds d’investissement." 6 .

Le CDO comme véhicule de titrisation, dans le cas des titres liés au crédit hypothécaire, consiste en une savante combinaison qui permet de répartir le risque de défaut de paiement d’un portefeuille de créances mises sur le marché obligataire. Un CDO est classiquement composé de quatre tranches distinctes. La première de ces tranches se nomme l’"Equity". C’est cette tranche qui est la plus susceptible d’enregistrer des pertes puisque c’est celle qui possède le profil de risques le plus élevé. Elle peut aller jusqu’à 3% du portefeuille. C’est ici que l’on retrouve les emprunts subprimes. La seconde tranche dite "Mezzanine" se chiffre le plus souvent à 7% du portefeuille. Elle présente un profil moins risqué que l’Equity. La Mezzanine et l’Equity sont également appelées "tranches subordonnées". On retrouve ensuite la tranche senior (20% du portefeuille) et la tranche supersenior (la moins risquée). La composition interne d’un CDO peut varier. Plus le risque d’un portefeuille est élevé, plus le mécanisme du CDO est attractif en vertu d’un mécanisme nommé "high yield debt" (en français, obligations à haut rendement). Plus l’Equity et la Mezanninne seront importantes dans la composition du portefeuille, plus le taux d’intérêt de l’obligation adossée aux créances sera élevé. Et cela afin de récompenser le risque pris par l’investisseur. Dans le concret, le volet Equity des CDO sera acheté par les fonds spéculatifs tandis que les tranches Mezzanine, Senior et Supersenior seront acquises par des investisseurs institutionnels habituellement plus prudents.

Le CDO, cela permet également de réaliser un formidable artifice comptable. Une banque d’affaires doit légalement se protéger contre les prêts à risque. Pour couvrir ces derniers, elle doit disposer de fonds propres. Avec le CDO qui est un portefeuille fictif, une banque d’affaires va pouvoir prendre des risques sans se couvrir. Dans le cas du subprime, les tranches risquées du CDO (la tranche equity plus la mezzanine) ne représentaient, formellement, que 10% du dit CDO. La Banque, via des fonds spéculatifs, gardait pour elle les 10% des tranches à risques dotées d’un taux d’intérêt rémunérateur (à hauteur du risque encouru). Bien que les tranches qu’une banque détenait, via un fonds spéculatif, concentraient la totalité du risque du portefeuille, la banque, d’un point de vue comptable, n’était pas exposée au risque puisque la part totale des tranches subordonnées n’équivalait qu’à 10% du fonds. D’un point de vue comptable, une banque, qui spéculait sur les subprimes, n’avait donc pas à se couvrir plus que d’ordinaire bien qu’elle totalisait 100% du risque du fonds.

Fonds spéculatifs omniprésents

En 2005, deux ans avant l’éclatement de la crise du subprime, l’agence de notation financière FitchRatings estimait que "les fonds spéculatifs sont rapidement devenus des sources majeures de capitaux pour le marché du crédit [et] qu’il existe des craintes légitimes qu’à terme, ces fonds n’aggravent par inadvertance les risques" 7 . Dans l’euphorie générale, le signal d’alarme venait de retentir. Il y avait effectivement de quoi se faire un sang d’encre.

Car les fonds spéculatifs, qui sont spécialisés dans l’investissement à très haut risque, sont des structures particulièrement opaques. En effet, ces fonds ne transmettent pas d’informations sur leurs avoirs, leurs stratégies et leurs activités. Un culte du secret qui, dans le cas du subprime, va atteindre des sommets. En effet, contrairement aux actions et obligations cotées en bourse et faisant, à ce titre, l’objet de transactions publiques, les CDO et produits dérivés s’échangent de gré à gré, c’est-à-dire directement entre les acteurs économiques sans qu’il y ait transmission d’informations sur les volumes et les prix de transaction. Cette structure de gré à gré présentait, en outre, l’inconvénient de pouvoir s’arrêter à tout moment en cas de baisse du marché.

Par ailleurs, les fonds spéculatifs empruntent des sommes considérables pour investir. Ils auraient tort de se gêner puisqu’ils ne sont pas soumis, contrairement aux banques d’affaires, à des normes de fonds propres. "L’endettement type d’un fonds spéculatif pour l’achat de tranches à haut rendement serait de 500%. Autrement dit, pour un investissement de 600 millions de dollars dans une tranche Equity ou Mezannine d’une CBO à risque, le fonds spéculatif ajouterait 100 millions de capitaux à 500 millions de capitaux empruntés. Si les tranches subordonnées représentent 20% des créances totales et que les 80% restants sont vendus sous forme de créances de premier rang à des investisseurs institutionnels, ces 100 millions de capitaux permettent aux prêteurs (…) de mettre 3 milliards de dollars sur le marché des crédits hypothécaires à risque - 2,4 milliards sous forme de titre de catégories investissement et 600 millions sous forme d’emprunts obligataires à haut risque " 8 . Voilà qui donne raison à tous ceux qui faisaient observer, bien avant que n’éclate la crise du subprime, que les fonds spéculatifs détenaient une influence sur les marchés mondiaux du crédit supérieure à la masse réelle des actifs qu’ils détenaient.

Récapitulons. Avec les emprunts subprime, on avait affaire, pêle mêle, à des fonds spéculatifs opaques, à des banques qui, via ces fonds, prenaient des risques excessifs et à un marché qui, en période de tension, pouvait derechef suspendre ses activités, modalité de fonctionnement qui ne pouvait que contribuer à l’aggravation des situations de crise. De plus, les fonds spéculatifs étaient endettés. Endettement permettant d’expliquer la "contamination" ultérieure du secteur bancaire par les acteurs spéculatifs actifs sur le segment des titres adossés à des crédits hypothécaires.

Dynamique de la crise et contamination de la sphère financière

Au cours du deuxième trimestre 2007, le marché immobilier américain fait le grand plongeon alors que les ménages les plus précarisés peinent de plus en plus à rembourser leurs emprunts. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre parmi les investisseurs qui décident de se retirer des produits liés au subprime au motif qu’ils étaient devenus trop risqués.
Et comme le marché des obligations adossées aux emprunts subprime s’effectue de gré à gré, cette situation de crise a entraîné un gel des transactions. Ce qui signifie que les fonds spéculatifs se sont retrouvés en possession de titres qui ne valaient plus rien puisqu’ils n’étaient plus cotés nulle part.

Par effet de ricochet, le marché des CDO s’est retrouvé au point mort. En effet, les véhicules de titrisation ne pouvaient plus vendre les lots de titres existants aux fonds spéculatifs. Ils ont donc refusé de procéder à de nouvelles émissions. Ne pouvant plus rien écouler auprès des CDO, les sociétés émettrices de MBS n’ont plus acheté de créances auprès des organismes de crédit qui faisaient face à de nombreux impayés et qui étaient dans l’impossibilité de se refaire puisque la valeur des biens immobiliers baissait. Ils ont donc coupé le robinet du crédit. Cette situation de contraction du crédit se nomme en jargon financier un "credit crunch" (en français, on parle de resserrement du crédit).

Comme il devenait plus difficile pour les ménages d’obtenir un crédit, certains emprunteurs n’ont pu refinancer leurs prêts. Donc, le nombre de ménages en situation de défaut de paiement a augmenté. Par conséquent, le nombre de maisons en vente sur le marché hypothécaire a connu une forte croissance. D’où chute des valeurs immobilières. Par effet boule de neige, plus le crédit se resserrait, plus les organismes de crédit étaient fragilisés.

Et plus les organismes de crédit voyaient s’allonger la liste des ménages en défaut de paiement, plus le marché des obligations et produits dérivés adossés aux créances battait de l’aile. Les fonds spéculatifs rechignaient, en effet, de plus en plus à se porter acquéreurs de titres. Ce qui renforçait les CDO et les sociétés émettrices de MBS dans leur refus de se porter acquéreurs des prêts. Il en résultait un resserrement de plus en plus étroit du crédit qui avait pour effet de déprimer davantage le marché immobilier. Cela s’appelle une spirale baissière.

Et plus on s’enfonçait dans la spirale baissière, plus les banques souffraient. En effet, un grand nombre d’acteurs économiques ayant participé au phénomène du subprime s’étaient endettés. Cela allait des fonds spéculatifs aux organismes de crédit (c’est ainsi que Bear Stearns fut frappée de plein fouet par la crise du subprime 9 ). La contamination du secteur bancaire était inéluctable et la valse des faillites pouvait commencer.

Devant la débâcle qui s’annonçait, les banques centrales ont fait preuve de volontarisme. Objectif de leur intervention : briser la spirale baissière et procurer aux financiers les fonds dont ils avaient besoin pour survivre. Pour ce faire, elles ont injecté en grande quantité des liquidités dans le circuit monétaire. "Au cours de la seule première semaine d’août, par exemple, les instituts d’émission américain, européen et asiatiques ont ainsi mené des actions concertées au cours desquelles ils ont fourni plus de 330 milliards de dollars aux marchés" 10 . Les banques européennes étant elles aussi engagées dans la débâcle du subprime, la Banque centrale européenne a également relâché les cordons de la bourse. Le quotidien boursier français La Tribune estimait que, pour faire face à la tempête financière survenue après le dégonflement de la bulle immobilière de l’été 2007 aux Etats-Unis, la BCE avait procédé à "une injection record de liquidités de 348,6 milliards d’euros" 11 .

En plus de ces injections de liquidités, les banques centrales ont agi via leurs taux d’intérêt. "Le 18 septembre 2007, la Fed a donné un signal fort en réduisant d’un demi point le niveau du taux d’objectif des "Fed funds", son principal taux d’intérêt directeur. Ce taux - que les banques américaines appliquent lors de leurs échanges entre elles pour emprunter des "Fed funds" - a été fixé à 4,75%. Son homologue européenne a également fait preuve de pragmatisme en la matière. Alors que se profilait un resserrement de la politique monétaire dans la zone euro, la Banque centrale européenne (BCE) a, devant les turbulences des marchés, opté pour le statu quo en septembre" 12 .

Cette détermination des banques centrales dans la lutte contre le "credit crunch" n’a pas réussi à empêcher la crise financière de s’étendre à la sphère réelle. "Les mises en chantier de logements ont encore reculé de 3,3 % en mai par rapport à avril pour tomber à 975. 000 unités, soit le plus bas niveau depuis mars 1991. Ce nombre est inférieur de 32,1 % à celui enregistré en mai 2007. Les permis de construire ont également enregistré un recul en mai de 1,3 % par rapport à avril, soit 36,3 % par rapport à celui de mai 2007. Le nombre de mai est inférieur au million pour le quatrième mois d’affilée" 13 .

Les ménages américains vivent à crédit. Donc, si ce dernier se tarit, on pourra difficilement éviter un ralentissement de l’économie. Pour l’instant, que les taux d’intérêt diminuent ou non, les particuliers aux Etats-Unis ne vont pas relancer leur consommation dans la mesure où ils doivent d’abord rembourser leurs dettes. Les ménages ne semblant guère disposés à consommer, les entreprises ne vont pas procéder à des investissements massifs. La crise du subprime a, pour l’instant, mis à l’arrêt les économies occidentales. "Aux États-Unis, le PIB a augmenté de 0,5 % au deuxième trimestre 2008, en hausse par rapport au trimestre précédent (après que l’administration Bush ait multiplié les cadeaux fiscaux et les déficits budgétaires sans résultat significatif sur la croissance ndlr) ". Le PIB du Japon a décru de 0,6%, le plus important recul observé depuis le troisième trimestre 2001. Le PIB de la zone euro a reculé de 0,2%, en retrait par rapport à la croissance de 0,7% du trimestre précédent". 14 Rappelons que si les PIB du Japon et de l’Europe devaient être négatifs un trimestre de plus, ce serait la récession.

Dans son rapport semestriel sur la stabilité financière dans le monde, le FMI 15 estimait que les pertes liées au secteur des subprimes pourraient atteindre 945 milliards de dollars.

Question : quelles leçons pouvons-nous tirer de cette crise ?

Perspectives

La crise que nous traversons actuellement pourrait constituer un tournant pour l’économie américaine. La baisse constante du taux d’épargne des ménages américains depuis les années 80 et l’augmentation régulière du déficit commercial ont fait des Etats-Unis le grand emprunteur de l’économie mondiale. Et la croissance à crédit de l’économie américaine était essentiellement le fait de la consommation des ménages. Ce mécanisme est aujourd’hui grippé, précisément à cause de la situation de surendettement de nombreux ménages US. Il se trouve aujourd’hui peu d’analystes pour remettre en cause ce constat.

Ce que la crise du subprime met fondamentalement en lumière pour bon nombre d’observateurs, c’est l’imbrication aujourd’hui profonde et opaque entre fonds spéculatifs et banques d’affaires. A la base de cette douteuse alliance, il y aurait la déréglementation financière qui a rendu incontrôlables les flux financiers parcourant les places financières du monde entier à la recherche de rendements à deux chiffres.
On peut donc d’ores et déjà s’attendre à ce que le thème de la lutte contre les dérives financières du système économique occupe les esprits à l’avenir. Certains iront jusqu’à remettre en cause la liberté de circulation des capitaux 16. Ces réflexions sont à la fois pertinentes et … partielles.

Car l’attention portée à la seule composante financière des systèmes économiques ne doit pas faire oublier que les capitaux ne naissent jamais par génération spontanée. Sans facteur travail, aucune production de richesses n’est, en effet, possible.

Aux Etats-Unis, les fruits de la croissance profitent depuis des années à une couche étroite de la population. A propos de l’évolution salariale aux Etats-Unis, des économistes américains se sont interrogés pour savoir à qui profitaient les gains de productivité de l’économie américaine. Selon Ian Dew-Becker et RobertGordon, "seule la fraction correspondant au décile supérieur de la distribution des revenus a connu un taux de croissance de son salaire réel équivalent ou supérieur aux gains de productivité de l’économie prise dans son ensemble" 17 .

Selon Michel Husson 18 , la part du revenu national américain bénéficiant "au 1 % des salariés les mieux payés est passée de 4,4 % à 8 % entre 1980 et 2005, soit une captation de 3,6 points de PIB qui monte à 5,3 points si on considère les 5 % des salariés les mieux payés. Si on défalque ces très hauts salaires, on obtient une évolution comparable à ceux de l’Union européenne".
Union européenne où la part des salaires dans la valeur ajoutée a baissé au cours des 25 dernières années. Elle est passée de 75% en 1960 à un peu plus de 65% vers la fin des années nonante. Autrement dit, pour un euro produit en 1960, un travailleur européen percevait, en moyenne, 75 centimes. Aujourd’hui, il n’en touche plus que 65.

Des deux côtés de l’Atlantique, l’augmentation des profits concomitante à l’amoindrissement de la part des salaires dans la valeur ajoutée n’a pas conduit à une croissance significative des investissements productifs. Ce sont ces profits non investis qui ont alimenté la sphère financière et spéculative.

Le travail surexploité et la montée des inégalités, deux questions fondamentales que ne pourront ignorer les tenants d’une plus grande régulation des acteurs financiers.

Notes :

1 Les Echos, 26/12/2007
2 http://www.federalreserve.gov/fomc/fundsrate.htm (site de la FED), 30 avril 2008.

3 Chiffres cités par Randall Doll, Subprime : topographie d’une crise in Finances et Développement, décembre 2007, p.15.

4 Voir notre précédente analyse consacrée au sauvetage de Fannie Mae et Freddie mac (Fannie Mae et Freddie Mac dans la tourmente du subprime)

5 Ibid., p.16

6 La Tribune, 08/07/07

7 Cité par Randall Dodd, op.cit., p.18

8 Ibid.

9 Bear Stearns a été rachetée, courant 2008, par la banque Morgan.

10 Les Echos, 27/12/2007.

11 La Tribune, 18 décembre 2007.

12 Les Echos, 28/12/2007. Pragmatisme qui fut de courte durée puisque fin juin 2008, la BCE annonçait qu’elle remontait ses taux.

13 Le Figaro, 18/06/2008

14 Comptes nationaux trimestriels de l’OCDE, second trimestre 2008.

15 FMI, "Rapport sur la stabilité financière dans le monde", avril 2008. Il y a un peu plus d’un an, ce même FMI minimisait la portée de la crise du subprime.

16 Comme en témoigne la pétition lancée fin mars 2008 contre la circulation des capitaux et qui a recueilli la signature d’une cinquantaine d’économistes européens.

17 Ian Dew-Becker and Robert J. Gordon, "Where did the Productivity Growth Go ? Inflation Dynamics and the Distribution of Income", Paper to be Presented at the 81st meeting of the Brookings Panel on Economic Activity, 2005:2 Washington DC, September 8-9, 2005, p.59 in http://www.brookings.edu/es/commentary/journals/bpea_macro/forum/200509bpea_gordon.pdf

18 Michel Husson, "La baisse tendancielle de la part salariale", 23 septembre 2007, p.3 in http://hussonet.free.fr/parvabis.pdf.