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Rwanda

Quinze ans de solitude

Vendredi 10 avril 2009, par Colette Braekman

Routes asphaltées ou en pierre taillée, villas qui ont poussé comme des champignons, Kicukiro est aujourd’hui l’un des nouveaux quartiers de Kigali. Cependant, malgré les bâtiments neufs et les exhortations du maire qui répète, à l’instar du président, qu’il faut reconstruire le pays, la douleur est toujours là. Depuis la foule amassée devant le « jardin de la mémoire » et le monument consacré au génocide, des cris jaillissent, perturbent les discours officiels. A tout moment, des corps convulsés ou immobilisés par les syncopes sont emportés par des ambulances. Lorsque Venuste Kasirika s’empare du micro et raconte son calvaire, son récit est ponctué par les sanglots qui secouent l’auditoire. L’histoire est connue, le film « Shooting dogs » l’a immortalisée. Dès le 7 avril, Venuste et ses voisins tutsis se sont sentis menacés et en dépit des promesses du colonel Rusatira, qui assurait que la gendarmerie allait les protéger, ils se sont rassemblés à l’ETO, l’Ecole Technique Officielle, où se trouvaient les Casques bleus belges. « Il pleuvait, le ravitaillement était difficile, les enfants tombaient malades, mais jusqu’au 11 avril, nous nous sommes sentis en sécurité. Soudain, vers 14 heures, nous avons vu la Minuar (Mission des Nations unies au Rwanda) se préparer à partir. Nous avons hurlé, protesté car à l’extérieur, les tueurs attendaient. Certains d’entre nous se sont jetés devant les camions, d’autres ont supplié qu’on les tue par balles car ils craignaient les machettes. Mais les Casques bleus ont tiré en l’air pour disperser la foule, et dès leur départ nous avons été encerclés. » Les Tutsis de l’ETO ont alors commencé à marcher vers le dépotoir de Nyanza, cheminant à travers une foule hurlante, qui les frappait, les injuriait. « Il y avait des grenades, dit Venuste, « les coups de machette pleuvaient et lorsque nous avons été rassemblés comme un tas d’immondices, on nous a mis à mort, systématiquement. Les Interhahamwe passaient pour achever les mourants à l’arme blanche, puis revenaient pour fouiller et dépouiller les cadavres. Moi, le bras arraché, j’ai survécu baignant dans mon sang, dissimulé sous d’autres corps… »
Bien plus tard, revenant sur ces lieux maudits, un Casque bleu belge qui avait obéi aux ordres de retrait déclarera qu’ici, « il avait perdu la moitié de son âme ». Quinze ans après la tragédie, alors que l’immense fosse commune a encore accueilli quelques dépouilles récemment exhumées, il ne s’est trouvé aucune personnalité belge (à part des diplomates basés au Rwanda) pour commémorer cet abandon, pour exprimer solidarité ou remords.
A part quelques représentants de pays africains amis (Tanzanie, Burundi, Ethiopie) ainsi que Cherry Blair, épouse de Tony, la communauté internationale n’était d’ailleurs guère représentée pour partager la douleur et le souvenir des Rwandais. Plusieurs discours exprimèrent une amertume à peine dissimulée, visant tant la justice internationale que la vague négationniste qui, selon Kigali, envahirait les pays occidentaux, où des « experts », de « prétendus spécialistes » relativiseraient ou nieraient même ce qui est devenu « le génocide des Tutsis » toute allusion aux assassinats politiques de Hutus dits modérés ayant désormais disparu.
« Ceux qui nous avaient délaissés veulent devenir nos juges, et ceux qui avaient planifié le génocide vivent désormais mieux que les victimes ou que ceux qui l’ont commis » s’est exclamé le ministre de la Jeunesse et des Sports, en charge de la commémoration. Le président Kagame, pour sa part, a préféré mettre l’accent sur les progrès accomplis en quinze ans, rappeler que des milliers d’enfants orphelins ont réussi non seulement à étudier mais à encadrer leurs cadets, que des rescapés avaient réussi à s’associer avec ceux là même qui avaient tué leurs familles. « A un peuple qui a déjà réussi de telles choses rien n’est impossible », a- t- il conclu, en invitant les Rwandais à compter sur leurs propres forces, à faire preuve de courage, plus que jamais…