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Questions sur l’avenir du FSM et sur l’altermondialisme

Lundi 19 septembre 2005, par Pierre BEAUDET

L’altermondialisme est-il à un point tournant ? Quelles sont les perspectives du FSM après cinq ans d’avancées spectaculaires ? Sommes-nous confrontés à des défis plus complexes ? Que penser du Forum social polycentrique qui doit avoir lieu en 2006 ? Voici quelques-unes des questions sur lesquelles ont réfléchi la centaine de personnes rassemblées lors des journées d’Alternatives le 8 septembre dernier.

Éthique et politique

Selon Monique Crinon qui préside le CEDETIM en France, le mouvement social est en remontée depuis une dizaine d’années. « Il a fallu faire notre deuil du soviétisme et lutter contre le sentiment d’impuissance qui prévalait jusqu’à la moitié des années 1990 ». Pour Monique par ailleurs, ces avancées sont basées sur une réflexion éthique : « Traditionnellement, la gauche n’a pas assez réfléchi sur le sens de nos vies. Le marxisme que l’on connaissait ne revenait pas assez sur les questions des valeurs fondamentales comme la dignité de l’individu ». Selon la militante-sociologue française, « nous avançons aujourd’hui sans modèle, dans une pratique politique démonstrative qui ne reproduit pas les dominations de genre, de race, de classes ». Le plus important pour Monique est que « le mouvement altermondialiste est en train d’écrire un nouveau dictionnaire, de réécrire les mots pour nous dire ce que nous voulons dire ». Pour les militants altermondialistes en Europe et notamment en France, de grandes avancées sont à l’ordre du jour, comme la campagne pour le non au traité constitutionnel européen, qui a été une campagne populaire et qui a « résulté de l’expertise citoyenne contre l’expertise dominante ».

L’enracinement

Si certaines régions du monde se sont lancées dans l’aventure de l’altermondialisme, ce n’est pas le cas partout dans le monde. « En Afrique souligne le Malien Omar Mariko (animateur du mouvement SADI) le FSM est resté un écho mais sans grande représentativité. » Il faut que le mouvement social mondial soit conscient de cela et puisse « s’investir davantage dans et avec les luttes paysannes africaines ». Même réflexion au Pakistan où les mouvements sociaux sont faibles, coincés entre la dictature militaire et les « jihadistes ». « En Europe de l’est constate Csilla Kiss, une jeune altermondialiste de Montréal originaire de la Roumanie. Les mouvements sociaux ont de la difficulté à comprendre le code des mouvements, notamment ceux d’Europe occidentale ». Selon Mohamed Ali Shaw qui anime un puissant mouvement des communautés côtières du Pakistan, « l’idée d’organiser un forum mondial polycentrique en 2006 permettra aux différentes régions du monde de mieux s’articuler et de prendre la parole. Le plan de match pour 2006 est en effet d’organiser simultanément dans le monde trois forums mondiaux à Karachi (Pakistan), Caracas (Venezuela) et Bamako (Mali). Cette même idée de l’enracinement ressort des pratiques locales, là où des militants, la plupart du temps jeunes, ont appris de Porto Alegre pour organiser des processus locaux, comme cela est le Cas au Québec. Pour Gabrielle Guérin qui a mis en place un comité organisateur pour le Forum social, « les principes de départ sont la présence des régions et l’horizontalité du fonctionnement. Le Forum social appartient à tout le monde ou il n’appartient pas à personne ». « Il faut également, souligne Martin Deshaies du Campement de la jeunesse, que nous soyons conséquents avec nos valeurs. Le Forum social est et doit être un laboratoire social, un « espace-temps » de discussion, autogéré, auto-organisé. Le but est de se réapproprier l’espace politique ». Carlos Torres qui participe au comité organisateur du Forum de Caracas parle d’une « intersection historique qui permet un nouveau modèle ou plutôt un anti-modèle ». Il faut aussi comprendre selon Carlos que beaucoup de chose en Amérique du Sud se passe en dehors du FSM, mais avec l’inspiration du FSM. « Il s’agit notamment de passer de la « protesta » à la propuesta », d’envahir l’espace politique par les masses, et non par une avant-garde. La création de la politique ne vient pas nécessairement du dehors, l’appropriation de la pensée se fait par les mouvements ». Pour Robert Jasmin d’ATAC-Québec, « résister c’est créer ». On agit et on pense à la fois localement et globalement. On croit à d’autres mondes possibles au pluriel. On peut s’inspirer, mais on ne veut pas répliquer ».

Comment dépasser nos limites et nos contradictions ?

En dépit des avancées, le processus amorcé en 2001 à Porto Alegre connaît aussi des ratés et des limites. Selon Judy Rebick qui a animé le Forum social de Toronto, « les grandes institutions et mouvements dans certaines parties du monde comme le Canada anglais n’ont pas embarqué. Au bout d’un temps, les petits groupes de base qui ont monté le Forum se sont épuisés ». D’autres militants ont souligné également l’urgence de mener des combats politiques et de construire un rapport de forces, ce qui n’est pas évident dans le cadre du FSM. Pour Gustave Massiah du CEDETIM, « l’altermondialisme est encore un mouvement en train de naître, de la même ampleur que le mouvement de décolonisation il y a 50 ans, qui reste balbutiant, mais qui est de plus en plus reconnu par les adversaires capitalistes et impérialistes comme le principal danger pour leur hégémonie ». Mais plusieurs problèmes surgissent du fait que l’on parle d’une transformation dans la longue durée, qui implique des générations, des langages, des cultures. Selon Gustave, « nous élaborons une nouvelle culture d’organisation en la faisant et c’est très difficile ». Annick Coupé, qui milite dans le mouvement syndical en France, estime qu’« une véritable repolitisation est opérée par les mouvements sociaux, à travers des processus inédits et des convergences de masse. Le mouvement altermondialiste est un mouvement de transformation et d’émancipation. Nous n’avons pas de projet clé en main ». Anne Pourre du Mouvement No Vox (qui regroupe les associations des sans-logis et des sans-papier), juge cependant qu’il a encore beaucoup de chemin à faire : « il ne faut pas aller trop vite. Il ne faut pas oublier les luttes de base, l’horizontalité, la démocratie participative, Le FSM oublie un peu que nous sommes des sociétés à plusieurs vitesses et que des segments de la population sont laissés pour compte. Évitons l’autosatisfaction et continuons à inventer des nouvelles formes. L’inclusion des mouvements de base et de lutte n’est jamais terminée ». « Il est difficile, rappelle Julien Lusson (jeune militant du CEDETIM) « de faire du neuf avec du vieux. Les anciens mouvements sociaux posent différemment que les nouveaux le renouvellement de la politique. » Pour Csilla Kiss, des nouvelles expressions comme le mouvement d’écologie politique sont porteuses de valeurs de renouvellement fondamental. Pascale Dufour (chercheur à l’Université de Montréal) estime pour sa part que « les FSM remettent en cause les rapports de pouvoir à l’origine des inégalités. Il y a une insertion d’autres acteurs qui traversent les frontières poreuses du jeu politique. Le FSM invente une parole progressiste mondiale ».