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PALESTINE

Quel coup d’état par qui ?

Mercredi 20 juin 2007, par Virginia Tilley

Les Palestiniens ont compris que par leur soutien à ce simulacre de gouvernement, les gouvernements étrangers qui reconnaissent l’Autorité palestinienne n’ont pas pour objectif de soutenir le peuple palestinien.

Après avoir mis Ismail Haniyeh du Hamas à la porte et dissous le gouvernement démocratiquement élu, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a installé Salam Fayyad comme nouveau Premier ministre, pour le plaisir manifeste de l’Occident.

Abbas et Haniyeh s’accusent mutuellement d’avoir fomenté un coup d’Etat contre l’Autorité palestinienne (AP). Néanmoins, une nouvelle lignée de personnages palestiniens à l’air sérieux, présentée devant les caméras comme le « nouveau gouvernement » de Fayyad, a prêté serment. La nouvelle AP n’a pratiquement aucun pouvoir en Cisjordanie et absolument aucun dans Gaza, telle est la première difficulté flagrante de ce cérémonial. (D’amères plaisanteries au sujet « de la solution à deux Etats », Cisjordanie et bande de Gaza, circulent).

Une communauté internationale inquiète de l’accusation de « coup d’Etat » trouve apparemment juste de donner son aval au gouvernement Fayyad. Mais l’allégation de « coup d’Etat » bute sur un problème de fond : la désignation par Abbas d’un nouveau Premier ministre est par elle-même totalement illégale. Le nouveau « gouvernement d’urgence » est tout autant illégal. Selon la Loi fondamentale de la Palestine (telle qu’amendée en 2003) qui fait office de constitution de l’AP, Abbas n’avait aucun pouvoir pour en décider. Et le « gouvernement d’urgence » ne peut pas davantage prétendre à un quelconque mandat démocratique. Ce qui signifie qu’Abbas et le gouvernement Fayyad vont devoir oeuvrer à l’aide de décrets, en dehors du cadre de la Loi fondamentale. Dans ces conditions, sur quelle base ce gouvernement est-il supposé gouverner ? Et sur quelle base les gouvernements étrangers sont-ils supposés traiter avec lui ?

De la Loi fondamentale, Abbas a violé toute une série d’article en même temps que l’esprit des contrôles et équilibres qu’elle instaure et qui furent conçus pendant l’ère Arafat, en partie pour limiter les pouvoirs de la présidence. Avec le soutien total des Etats-Unis et d’Israël (si ce n’est à leur instance), Abbas a quasiment mis à la poubelle un grand nombre de dispositions de la Loi fondamentale, notamment :

Le Président peut renvoyer son Premier ministre (article 45) mais il ne peut pas légalement désigner un nouveau Premier ministre qui ne représente pas le parti majoritaire (c’est-à-dire le Hamas).

Dans le cas où le Président renvoie le Premier ministre, le gouvernement est considéré démissionnaire (article 83) mais le cabinet en exercice (ici, le cabinet dirigé par le Hamas) est supposé gouverner jusqu’à ce qu’un nouveau cabinet soit approuvé par le Conseil législatif (article 78).

Seul, le Conseil législatif peut confirmer le nouveau Premier ministre et le nouveau cabinet, et les nouveaux officiels ne peuvent prêter serment (article 67) ou remplir leurs fonctions (article 79) tant que cette confirmation n’a pas eu lieu. Normalement, le gouvernement Fayyad devrait maintenant saisir le Conseil législatif pour approbation, mais si le Conseil législatif ne peut procéder au vote parce qu’il n’atteint pas le quorum - car trop de ses membres sont emprisonnés ou refusent de participer - alors, le cabinet ne peut légalement être confirmé. La Loi fondamentale ne prévoit aucune solution dans le cas où le Conseil législatif ne peut voter la confirmation du cabinet ou des actes du Président.

Le Président peut assurer sa fonction à l’aide de décrets dans les cas d’urgence (article 43) mais le Conseil législatif doit entériner tous ses décrets à sa réunion suivante.

Le Président ne peut pas suspendre le Conseil législatif durant les états d’urgence (article 113).

Le Président n’a pas le pouvoir d’appeler à des élections, anticipées ou non.

La Loi fondamentale ne contient aucune disposition pour un « gouvernement d’urgence ».

Qu’est-ce que cela signifie pour l’AP ? Qu’elle est devenue tout autre chose. Le gouvernement Fayyad est un enfant rapporté d’un processus extra légal, dépourvu de mandat démocratique. Toute cette opération n’est pas à proprement parler une révolution de palais, mais ça lui ressemble.

Qu’est-ce que cela signifie pour le monde ? Les gouvernements étrangers maintenant sont confrontés à l’un des évènements les plus fâcheux en diplomatie internationale - la métamorphose soudaine d’un gouvernement.

Comme dans toute révolution ou coup d’Etat, la reconnaissance diplomatique du « gouvernement d’urgence » de Salam Fayyad comme le représentant légitime du peuple palestinien doit maintenant être réexaminée. Par exemple, par quelle autorité le « gouvernement d’urgence » va-t-il agir au nom des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza ? Quelle compétences et responsabilités détient-il maintenant ? Sur quelles bases légale et politique les relations diplomatiques vont-elles être conduites ?

Il faut admettre qu’il s’agit là de questions juridiques mais aussi politiques. L’AP est une création des accords d’Oslo de 1993 et 1995 (elle était censée fonctionnée pour une période « n’excédant pas 5 années »). Mais la Loi fondamentale a été élaborée plus tard, pour confirmer et assurer le caractère démocratique de l’AP. Ce dispositif juridique représentait une base pour la construction d’un Etat palestinien, donnant un cadre de départ à la démocratie palestinienne dans la prévision (ou au moins l’affirmation) d’un Etat palestinien structuré à venir. Par conséquent, la Loi fondamentale se réfère dans son introduction aux accords d’Oslo 2, de 1995, mais évoque aussi le peuple palestinien en tant qu’autorité politique suprême (article 2 : « ...le peuple est la source du pouvoir... »). Les gouvernements étrangers peuvent donc essayer de justifier leurs relations avec le gouvernement Fayyad en dehors de la solidarité avec l’effort national palestinien - quoiqu’en crise.

Mais en tentant cela, ces gouvernements se trouvent confrontés maintenant à des choix contestables et curieux :

Ils pourraient suspendre les relations diplomatiques avec le gouvernement Fayyad au motif qu’il est illégal, et traiter avec le gouvernement élu d’Haniyeh. Mais cela pourrait paralyser leurs échanges avec Ramallah à un moment critique et les mettre en désaccord avec les USA et Israël.

Ils pourraient conserver les relations diplomatiques avec le gouvernement Fayyad, en répondant positivement à sa demande de considérer que le Hamas a réalisé un coup d’Etat, mais de ce fait ils approuveraient un gouvernement qui viole ses propres lois et qui, en réalité, a fait lui-même un coup d’Etat.

Ils pourraient accepter le nouveau gouvernement Fayyad à condition qu’il se plie aux autres dispositions de la Loi fondamentale, comme obtenir la confirmation du Conseil législatif et/ou appeler à de nouvelles élections. Mais la Loi fondamentale n’autorise pas le cabinet à appeler à de nouvelles élections et ce nouveau cabinet n’est pas juridiquement en position de gouverner de toute façon. (Il est aussi difficile de voir comment de nouvelles élections nationales pourraient se tenir quand le gouvernement Haniyeh refuse de reconnaître le nouveau cabinet et les conditions dans les deux territoires sont si peu favorables à des élections libres et justes.)

Ils pourraient faire le classique pas de côté diplomatique en qualifiant la situation actuelle de crise constitutionnelle temporaire et en maintenant leurs relations avec les deux côtés, mais cette tactique s’enliserait rapidement car les évènements actuels représentent plus un effondrement total de la Loi fondamentale et de son cadre.

Face à ce désastre, ils pourraient faire marche arrière : suspendre leurs relations diplomatiques formelles mais continuer à communiquer avec les deux côtés, en attendant d’en voir les développements, mais qu’advient-il des accords formels (échange, commerce, sécurité, représentation diplomatique) qu’ils ont signé avec l’AP ? Quel côté est le véritable représentant et envers qui leur responsabilité est-elle engagée ?

Il y a d’autres manœuvres légalistes qu’ils pourraient essayer, comme considérer l’AP conformément aux dispositions des accords d’Oslo ou de l’accord Gaza-Jéricho de 1994. Mais aucun de ces textes ne prévoit de Premier ministre ni ne pourvoit aux procédures prises à Ramallah.

En bref, le paysage diplomatique est maintenant dans un total désarroi.

Le gouvernement Fayyad n’a aucun mandat démocratique, il ne fonctionne pas dans les règles mêmes qui instaurent sa légitimité démocratique et ainsi, il n’est que le fac-similé du « gouvernement » avec lequel de nombreux Etats dans le monde ont établi des relations diplomatiques. Que les Etats-Unis, l’Europe obéissante et les Etats arabes culs-de-jatte se soient empressés de le sacrer comme la seule autorité légitime ne va pas aider. Ni le fait qu’ils prétendent que le Hamas - vaste mouvement avec une légitimité populaire - va disparaître simplement avec les décrets d’Abbas et par enchantement.

On ne peut savoir vraiment combien de temps ce fragile faux-fuyant diplomatique pourra tenir sous un examen attentif d’un monde sceptique. On ne peut savoir davantage quel sera le coût politique pour les gouvernements étrangers qui jouent avec lui - surtout quand le peuple palestinien aujourd’hui traumatisé, dans les Territoires et dans la diaspora, commence à protester que leur gouvernement se fasse récupérer par des personnalités anti-démocratique au profit des agendas israéliens et US. Les Palestiniens ont compris que par leur soutien à ce simulacre de gouvernement, les gouvernements étrangers qui reconnaissent l’Autorité palestinienne n’ont pas pour objectif de soutenir le peuple palestinien.

Comme l’envoyé officiel des Nations unies, Alvaro De Soto, l’évoque dans un « rapport de fin de mission » éloquent, en mai dernier, « Il vaut mieux être celui qui soulève les questions à propos des habits neufs de l’Empereur que d’être soi-même ridiculisé en étant un Empereur tout nu. »

Virginia Tilley est citoyenne des USA ; elle travaille actuellement comme chercheuse émérite au Conseil de recherche en Sciences humaines de Prétoria. Elle est l’auteur de The One-State Solution : A Breakthrough for Peace in the Israeli-Palestinian Deadlock