|  

Facebook
Twitter
Syndiquer tout le site

Accueil > français > Archives du site > L’arc des crises > Minuit moins cinq en Israël et en Palestine

Minuit moins cinq en Israël et en Palestine

Samedi 22 avril 2006, par Pierre BEAUDET

Avec le boycottage de l’Autorité palestinienne, les pays occidentaux appuient la stratégie israélienne pour encercler et punir les Palestiniens. De dures confrontations s’en viennent.

Résistance et convergence pour la paix

La société israélienne est depuis longtemps aux prises avec le même dilemme. En 1967, l’armée israélienne envahit les territoires peuplés par plus de deux millions de Palestiniens dans ce qui fut, aux yeux de la majorité des Israéliens aujourd’hui, une victoire militaire mais une terrible erreur politique. Rapidement, les Palestiniens manifestent leur refus de l’occupation. En 1976, ils élisent lors des élections municipales les candidats pro-OLP qualifiés à l’époque de « terroristes ». En 1981 lors d’une première Intifada non armée, plusieurs jeunes Palestiniens sont tués par l’armée. En 1987 la rébellion civile reprend de plus belle, suscitant la même réponse du côté israélien : des centaines de tués, des milliers de blessés et d’emprisonnés. Depuis, cela n’a jamais cessé. Du côté israélien entre-temps se développe un camp de la paix, « réveillé » en 1982 à l’occasion du massacre orchestré par Ariel Sharon dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban. Plus tard, des Israéliens se mettent avec les Palestiniens pour résister contre la répression et la colonisation. Enfin en 1993, l’espoir réapparaît. Devant la pression américaine, le gouvernement israélien accepte de discuter avec les « terroristes » de l’OLP. L’idée est simple, « la paix contre les territoires ».

Qui a tué l’espoir de paix ?

On pense, on rêve que l’occupation prendra fin, que les Palestiniens pourront mettre en place un État indépendant sur 28% de la Palestine historique en coexistence pacifique avec l’État Israël qu’on qualifie abusivement d’« État juif », puisque plus de 20% de la population israélienne est en fait palestinienne. Mais rapidement, le rêve devient un cauchemar. En 1995, le Premier Ministre travailliste Rabin est assassiné par un colon israélien. Peu après, un nouveau gouvernement est constitué par la droite avec M. Netanyanu à la tête. Il accélère la colonisation des territoires palestiniens, faisant doubler le nombre des colons illégaux en Cisjordanie et à Gaza, en parfaite violation des accords d’Oslo. Les Etats-Unis et d’autres pays voient le danger, mais ils ne font pas pression sur le gouvernement israélien. À la même époque, le mouvement Hamas commence sa progression. Certes, il est exagéré de dire qu’Hamas est une « création » de l’intransigeance israélienne, car il a ses propres racines dans la tradition des Frères musulmans par exemple. Les Palestiniens rappellent toutefois le fait qu’au début des années 1980, le gouvernement israélien avait permis aux Frères musulmans de faire la guerre à l’OLP.

Vers la catastrophe

Dès la fin des années 1990, la situation s’aggrave. Les Islamistes d’Hamas profitent du fait que Yasser Arafat et l’OLP, qui avaient accepté le compromis d’Oslo, sont à nouveau coincés par la répression et l’intransigeance. La colonisation est relancée, notamment à Jérusalem-Est (où résident 250 000 Palestiniens), que l’occupation israélienne encercle pour l’isoler de la Cisjordanie. Les attentats de Hamas se multiplient et plus tard, Arafat prend la funeste décision de militariser l’Intifada, ce qui conduit à de terribles et coûteux affrontements. Sur cela en 2001, Ariel Sharon (dont on a oublié la responsabilité dans les massacres de Sabra et Shatila) revient sur la scène. Il profite d’un extraordinaire « timing » puisqu’au même moment dans la foulée des attaques contre le World Trade Center, George W. Bush relance sa « guerre contre le terrorisme » à l’échelle mondiale et s’aligne totalement sur le gouvernement israélien. Les territoires palestiniens sont transformés en une véritable prison sous l’encerclement du mur de l’apartheid. Les soldats et les colons attaquent et assassinent des Palestiniens qu’on dit « terroristes ». Arafat est emprisonné dans son bunker et à toutes fins pratiques, le gouvernement palestinien est anéanti, au grand plaisir de Hamas.

Le « rêve » d’Ariel Sharon

Quatre ans de répression intense par le gouvernement d’Ariel Sharon ne donnent cependant pas le résultat espéré, car les Palestiniens refusent de capituler. Le « retrait unilatéral » de Gaza qui est de toute évidence une manœuvre pour limiter les pertes des occupants à Gaza et consolider l’emprise sur la Cisjordanie est unanimement dénoncé par les Palestiniens, toutes tendances confondues. Ariel Sharon a bien des défauts mais une grande qualité, il est franc. Il le dit à plusieurs reprises, la stratégie est de perpétuer l’occupation sur l’essentiel des territoires tout en permettant aux Palestiniens d’administrer dans les zones densément urbaines peuplées les services sociaux et la collecte des déchets. « Si les Palestiniens veulent appeler cela un État a-t-il l’habitude d’ironiser, libre à eux de le faire ». Entre-temps, la vie devient infernale pour les Palestiniens. Le chômage augmente de manière dramatique, dans la lignée de la fermeture des territoires. La pauvreté frappe toutes les catégories de la population, surtout les réfugiés, notamment à Gaza. Évidemment, le désespoir alimente la haine et le désir d’en découdre.

L’impasse

Aujourd’hui il est minuit moins cinq en Palestine et en Israël. Tout le monde est épuisé, comme l’admettait récemment le Premier Ministre Olmert. Les élections israéliennes ont débouché sur un méli-mélo terrible où l’ultra-droite qui prône la purification ethnique des Palestiniens risque de se retrouver dans la coalition d’Olmert. Les Israéliens sont dégoûtés de la politique, d’où l’abstention massive lors des dernières élections. Du côté palestinien, c’est également un trou noir. Une importante minorité de Palestiniens (43%) a voté pour Hamas, davantage par rejet de l’ancienne administration que par adhésion au projet islamiste. Hamas se retrouve au pouvoir, sans trop savoir quelle voie suivre, et déchiré entre les « realpolitiques » (qui dominent) et les radicaux qui rêvent de devenir, à l’instar de leurs émules irakiens, les fossoyeurs de l’occupation. Devant tout cela, la communauté internationale autant impuissante qu’irréfléchie n’a rien à dire. La « feuille de route » qu’Ariel Sharon avait accepté avec réticence en 2002, et qui prévoyait la reprise des négociations sur la base des accords d’Oslo, est morte et enterrée. Le « Quartette » (Etats-Unis, Union européenne, Russie, ONU) est paralysé devant les aventures sans fin de George W. Bush dans la région et la possibilité d’une nouvelle guerre contre l’Iran.

Punir les Palestiniens ?

La décision récente de punir les Palestiniens à cause de l’élection de janvier dernier a éliminé le peu de crédit que la communauté internationale avait aux yeux des Palestiniens et des Arabes en général. Malgré les belles paroles qu’il « faut aider les Palestiniens », le boycott aura pour effet de clochardiser les Palestiniens, de les transformer en mendiants en quête de nourriture. Les infrastructures de base, dont la santé et l’éducation seront largement affectées (40 000 enseignants palestiniens sont présentement sans salaire). Peu à peu cet étau de fer sera resserré, mais sans résultat politique, autre que celui de faire encore plus l’affaire de Hamas. Les démocrates, comme l’Initiative nationale palestinienne de Mustapha Barghouti, risquent d’être balayés par les extrémistes qui diront, faits à l’appui, que les Palestiniens n’ont d’autre choix que de devenir des « shahid » (martyrs). Pourtant, d’un côté comme de l’autre, des gens résistent à ce scénario de l’apocalypse. Des médecins israéliens des Physicians for Human Rights continuent de franchir les barrières érigées par les soldats israéliens pour soigner des patients palestiniens. Des Palestiniennes organisent des manifestations quotidiennes contre le Mur de l’apartheid. Tous attendent du reste du monde un minimum de sympathie, de compréhension, de générosité. Ils savent que des pressions sérieuses doivent être organisées contre les politiques du gouvernement israélien, sans concession par rapport aux principes de base du mouvement pour la paix : fin de l’occupation, création d’un État palestinien en coexistence pacifique avec l’État Israël, arrêt des violences.