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IRAK

Les femmes dans la tourmente

Mercredi 25 avril 2007, par Nicolas Dessaux

L’Irak a longtemps été considéré comme l’un des pays les plus favorables aux femmes au Moyen-Orient. La révolution de 1958 avait posé les bases d’une république laïque dotée d’un code de la famille plus progressiste que dans les pays environnant. Les régimes qui s’étaient succédé au rythme des coups d’états successifs, y compris les Baathistes, ne l’avaient pas modifié, si bien que les Irakiennes s’en souviennent comme d’une période de liberté de ce point de vue. Militante irakienne des droits des femmes, Houzan Mahmoud explique : « L’Irak, disait Saddam, a besoin que les femmes restent à la maison, fassent à manger pour leurs maris et leurs enfants, fassent preuve d’économie et ne dépensent pas trop, elles doivent aider le pays à s’en sortir. Tout cela a abouti à violer en permanence les droits des femmes. En particulier pendant la guerre entre l’Iran et l’Irak, les femmes représentaient plus de 70 % des fonctionnaires, mais dès que la guerre a pris fin, le régime les a renvoyées chez elles ».

Néanmoins, dès la guerre Iran-Irak, au début des années 1980, leur situation s’était nettement dégradée dans les faits, et dès la première guerre du Golfe, le tournant islamiste de Saddam Hussein a occasionné de nombreuses atteintes à leurs droits. Il avait, notamment, mené des campagnes d’exécutions contre les prostituées réelles ou supposées, et introduit dans le code de la famille des dispositions inspirées de la charia. En outre, l’excision reste pratiquée dans le nord du pays. « A Erbil, cela concerne 99% des femmes. A Sulaymania, c’est mieux, ça arrive, mais ça ne concerne que 50 % des femmes. A Erbil, je me souviens, quand je marchais dans la rue, j’entendais le cri des enfants. Coupées. Les cris des enfants, ça me glaçait le sang », explique la féministe Surma Hamid, elle-même mutilée à l’age de cinq ans.

La situation préoccupante des femmes irakiennes faisait partie de l’arsenal idéologique mis en avant par l’administration de G.W. Bush pour attaquer le pays en 2003. On aurait donc pu s’attendre, de ce point de vue au moins, à une amélioration. Dans les faits, c’est le contraire qui s’est produit. Le conseil de gouvernement provisoire, mis en place dès l’entrée des troupes d’occupation en 2003, incluait des partis religieux chiites, qui ne cachaient pas leurs liens avec la théocratie iranienne. Sitôt au pouvoir, ils tentèrent de substituer la charia au code de la famille. En mars 2004, le mouvement suscité par une coalition de 85 organisations de femmes, a permis de repousser le projet.

En 2005, les partis majoritaires à l’Assemblée nationale réussirent à introduire l’Islam comme source du droit dans la constitution, ouvrant une nouvelle brèche pour l’implantation de la charia. C’est ce qui se passe effectivement au Kurdistan, dans le nord de l’Irak, où le comité chargé de rédiger la constitution propose d’introduire la charia dans la constitution régionale - une disposition contre laquelle plusieurs personnalités Kurdes ont récemment lancé une pétition internationale.

Dans sa lutte contre la résistance militaire, la coalition militaire, épaulée par l’armée irakienne, ne connaît aucune limite. Rapidement, les prisons se sont remplies de femmes, soupçonnées simplement d’être l’épouse, la soeur ou la mère d’un insurgé. Elles sont détenues sans charge, sans avocat, et sont régulièrement soumises à la torture. La révélation des sévices infligés par des soldats américains à la prison d’Abu Ghraïb a causé un choc dans le monde entier. Mais la torture a été également pratiquée par des militaires néerlandais, danois et britanniques, de même que par l’armée et de la police irakienne, cause moins d’émoi. Cette police, qui a largement ouvert ses rangs depuis trois ans, est régulièrement d’être devenu une officine des Brigades Badr, une milice islamiste proche du gouvernement. Dans les commissariats, l’usage du viol comme moyen de torture semble se banaliser. Ainsi, un récent rapport cite les cas de Zina Akram, Khadija Mhawish, Fatma Ashur et Ilham Ridha, torturées et violées à plusieurs reprise dans des commissariats. Khadija l‘a été devant son fils emprisonné. Zina a été libérée, en juillet 2006, en échange du retrait de sa plainte contre celui qui l’avait violée .

Le viol est une arme d’autant plus odieuse que nombre de femmes ont été assassinées par leur propre famille à leur sortie de prison, afin de « laver l’honneur de la famille ». La pratique du crime d’honneur, c’est-à-dire le droit pour un homme de tuer sa femme, sa fille ou sa sœur s’il la soupçonne d’adultère, a en effet explosé depuis le début de l’occupation. En 1990, Saddam avait introduit dans le nouveau code pénal l’article 111, qui exemptait de peine l’homme qui, pour défendre l’honneur de sa famille, tuerait une femme. Il ne fait toujours l’objet d’aucunes poursuites. L’OLFI a aujourd’hui ouvert des foyers d’accueil pour les femmes menacées de crime d’honneur à Bagdad et à Kirkouk.

C’est dans la vie quotidienne que la situation s’est le plus dégradée pour les femmes depuis 2003. Les milices religieuses, notamment les Brigades Badr et l’armée du Mahdi, liées aux partis de gouvernement, partagent avec les organisations de la résistance militaire des conceptions patriarcales communes : les femmes sont inférieures à l’homme et doivent retourner dans leurs foyers. Dans les faits, la charia est appliquée, aussi bien dans les quartiers dominés par les miliciens chiites que dans la zone sunnite contrôlée par Al-Qaeda, à l’ouest du pays. Le voile est devenu obligatoire pour circuler dans la rue, et les assassinats de femmes qui travaillent à l’extérieur (enseignantes, médecins, infirmières, assistantes sociales, ...) sont fréquents.

Les femmes salariées sont les premières victimes des licenciements massifs et de la pression des employeurs, notamment du harcèlement sexuel. Encouragées par le succès de la grève de la minoterie industrielle, dont la majorité des salariées sont des femmes, la syndicaliste Majda Hameed a impulsé l’association Droits des femmes au travail pour se consacrer à cette question, en dénonçant les discriminations et les inégalités subies par les travailleuses dans les entreprises.

En 2005, à Bassora, les étudiants s’étaient soulevés contre les miliciens chiites après l’assassinat d’un jeune homme qui avait voulu défendre une étudiante chrétienne, alors que les islamistes étaient intervenus pour interdire un simple pique-nique entre étudiants. La mixité leur était insupportable. Les islamistes ont été contraints de quitter l’université, sous la pression des étudiants en grève. Thikra Faisal, étudiante en économie, explique : « Les filles avaient peur, à cause des menaces des islamistes, qui avaient effectivement capturé plusieurs d’entre elles. Elles ont préféré rester dans l’université, sauf un petit groupe qui a suivi de loin la manifestation, discrètement. On était plus que deux, moi et une fille musulmane, à manifester avec les garçons ».

Ainsi, la société civile tente, tant bien que mal, de résister à cette pression, au milieu de la guerre civile et de l’occupation militaire. Pour survivre, cette résistance civile a besoin de toute notre solidarité.

(publié dans le bulletin de l’Association des chrétiens pour l’abolition de la torture)


Voir en ligne : www.solidariteirak.org