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Les dimensions multiples de la crise en Côte d’Ivoire

Lundi 8 mai 2006

La crise ivoirienne perdure depuis le 19 septembre 2002. Aujourd’hui, la situation demeure dramatique, malgré diverses tentatives de médiation handicapées du fait que les protagonistes de part et d’autre ne veulent pas vraiment d’un accord. Entre le discours dominant préconisant la « paix et la réconciliation nationale » et la réalité sur le terrain, l’écart est très grand.

L’« économie politique » de la guerre

Comme cela est le cas dans plusieurs conflits, la crise fait le malheur des gens mais le bonheur des autres. Une minorité privilégiée s’enrichit des divers trafics découlant de la guerre, pendant que la majorité des Ivoiriens, notamment les 500 000 personnes déplacées par la guerre, s’appauvrit. À Abidjan, une classe de « nouveaux riches » prospère. Les Abidjanais dont on connaît le sens de l’humour qualifient ces « entrepreneurs » de « patriotes alimentaires » ou de « ventriotes ». Dans la zone nord où l’État central n’existe plus, la contrebande vers et du Burkina Faso a pris des proportions gigantesques. La deuxième ville burkinabé, Bobo-Dioulasso, est bourdonnante d’activités alors que, il y a quelques années, c’était une zone sinistrée. Certes, ce trafic pénètre toutes les régions du pays car les militaires de toute allégeance en sont partie prenante. Entre-temps, les ressources sont dilapidées. Selon le FMI, moins d’un quart des bénéfices tirés de la vente de cacao reviennent à l’industrie comme telle et aux planteurs, le reste étant détourné vers des caisses occultes et l’achat d’armements.

Déliquescence de l’État et milices

Dans la zone sud, les jeunes sont condamnés au chômage et sont attirés par les groupes « patriotes ». Ils sont souvent articulés, ils maîtrisent le langage et s’imposent dans les médias. Ils bénéficient de l’appui implicite de certains secteurs de l’État. Un ancien leader étudiant, Charles Blé Goudé, anime la « Coordination des jeunes patriotes ». Il partage le contrôle de la rue à Abidjan avec Eugène Djué, président de l’« Union des patriotes pour la libération totale de la Côte d’Ivoire ». Dans la zone de la rébellion, les jeunes sont également recrutés par les factions armées qui jouent sur certains clivages traditionnels. Les jeunes « dozos » (traditionnellement gardiens de troupeaux) deviennent « agents de sécurité ». Ils occupent à Bouaké beaucoup de place et sont parfois accusés par les habitants de rançonnage et d’intimidation. Le chef des Forces Nouvelles Guillaume Soro ne contrôle pas la situation dans la mesure où des chefs locaux s’imposent, tels Issiaka Ouattara, le chef du « bataillon anaconda », Chérif Ousmane de la « Compagnie Guépard » et d’autres petits chefs contrôlant un quartier, voire une rue. Dans l’Ouest, la prolifération des factions rend les choses encore plus confuses : FLGO, APWE, UPRGO, MILOCI, autant de micro milices redoutables. La déliquescence des institutions fait le lit de factions plus ou moins définies, plus ou moins militarisées. Les violations de droits humains sont pour la plupart du temps commises par des factions appuyées par les armées qui agissent en toute impunité.

Ni guerre ni paix

Le report des élections qui devaient avoir lieu à l’automne 2006 reflète le chaos politique. Le Président Gbagbo espère gagner du temps. Les rebelles ne sont pas certains de leur base politique et donc peu enclins à se soumettre au scrutin démocratique. Paradoxalement, les militaires sont plus enclins à négocier. En juillet 2003 par exemple, les chefs militaires des deux camps signaient une déclaration conjointe que le Président Gbagbo s’est empressé de minimiser. En août 2004 à Accra, les militaires s’entendaient pour amorcer le processus de désarmement. Quelque temps après, l’aviation présidentielle bombardait des positions des forces nouvelles dans le nord. Dans ce contexte où le chaud et le froid sont soufflés en même temps, il serait surprenant que la paix revienne rapidement.