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AFGHANISTAN

Les Talibans espèrent progesser avec l’aide du Pakistan

Vendredi 2 mars 2007, par Syed Saleem Shahzad

L’establishment pakistanais a passé un accord avec les Taliban par l’intermédiaire d’un commandant Taliban haut placé. Cet accord étendra l’influence d’Islamabad dans le sud-ouest afghan et renforcera de façon significative la résistance dans sa poussée pour capturer Kaboul.

Le Mollah unijambiste, Dadullah, sera l’homme fort du Pakistan dans un couloir allant des provinces afghanes de Zâbol, Orozgân, Kandahar et Helmand, jusque de l’autre côté de la frontière dans la province pakistanaise du Baloutchistan. C’est ce que disent les Taliban et cela a été confirmé par les contacts de l’Asia Times Online, au sein d’al-Qaïda. Utilisant le territoire pakistanais avec le soutien d’Islamabad, les Taliban pourront déplacer en toute sécurité dans le sud-ouest afghan hommes, armes et provisions.

Cet accord avec le Mollah Dadullah, qui a eu pour conséquence le refroidissement des relations entre les Talibans et al-Qaïda, servira les intérêts du Pakistan en lui permettant de reprendre solidement pied en Afghanistan (le gouvernement à Kaboul penche beaucoup plus vers l’Inde).

Malgré leur offensive de printemps de l’année dernière, qui a fut leur plus grand succès depuis qu’ils se sont fait chasser en 2001, les Taliban réalisent qu’ils ont besoin de l’assistance d’un acteur étatique s’ils veulent obtenir une "victoire totale". Et comme al-Qaïda ne veut rien avoir à faire avec le gouvernement d’Islamabad, les Taliban devront donc y aller seuls.

Cette manœuvre arrive aussi au moment où les Etats-Unis accentuent la pression sur le Pakistan pour qu’ils agissent plus contre les Taliban et al-Qaïda, avant l’offensive de printemps en Afghanistan, qui est largement anticipée. Le vice-Président américain Dick Cheney a rendu une visite surprise au Pakistan lundi pour rencontrer le Président Général Pervez Musharraf.

La Maison Blanche a refusé de dire quel message Cheney a délivré à Musharraf, mais elle n’a pas réfuté les reportages selon lesquels ce message comportait une sévère mise en garde concernant l’aide américaine au Pakistan qui pourrait être compromise.

A la croisée des chemins
Les Taliban se sont rendus compte qu’après cinq ans passés à travailler avec al-Qaïda, la résistance semble avoir atteint un stade où elle ne peut aller beaucoup plus loin.

Il est certain qu’elle s’est renforcée. Et l’offensive de printemps de l’année dernière a été un exemple classique de guérilla avec l’aide du soutien autochtone. L’utilisation d’engins explosifs improvisés et la mise en pratique de techniques de guerre urbaine, que les Taliban ont apprises de la résistance irakienne, a fait la différence et infligé des pertes majeures aux troupes de la coalition.

Cependant, les Taliban ont été incapables d’atteindre des objectifs importants, tels que la chute de Kandahar et le siège de Kaboul à partir de la Vallée de Moussayab au sud, d’un côté, et de la vallée du Tagab, du côté nord.

Les commandants Taliban qui planifient le soulèvement de printemps de cette année ont reconnu qu’en tant qu’organisation ou milice indépendante, ils ne pouvaient pas livrer une bataille soutenue contre des ressources étatiques. Ils pensaient pouvoir mobiliser les masses, mais cela n’engendrerait probablement qu’une hécatombe et le massacre des sympathisants des Taliban. La solution consistait à trouver leurs propres ressources d’Etat et, inévitablement, ils ont regardé en direction de leur ancien patron, le Pakistan.

Al-Qaïda ne s’insère dans aucun plan impliquant le Pakistan, mais le respect mutuel entre la direction d’al-Qaïda et les Taliban existe toujours. De la même manière, il existe une tension à propos de leurs différences idéologiques et nos sources au sein d’al-Qaïda pensent que ce n’est aussi qu’une question de temps avant que les deux camps ne se séparent physiquement.

Le Pakistan n’est que trop ravi d’aider
Depuis qu’il s’est engagé dans la "guerre contre la terreur" menée par les Etats-Unis après les attaques du 11 septembre 2001, le Pakistan a subi sans discontinuer des pressions de la part de Washington pour prendre ses distances avec les Taliban. Après tout, en abritant Oussama Ben Laden et les camps d’entraînement d’al-Qaïda, les Taliban étaient l’ennemi No 1.

Donc, lorsque l’occasion a surgi, Islamabad fut prompte à sortir le Mollah Dadullah de son chapeau. Pour le Pakistan, selon un argument élaboré par les planificateurs stratégiques de Rawalpindi, c’était le moyen parfait de ranimer ses contacts au sein des Taliban et de donner au soulèvement de printemps du vrai muscle — en fait, autant de muscle que nécessaire pour que les forces de l’Otan se retrouvent en position où elles seraient forcées à parler de paix. Et qui mieux que le Pakistan pour entrer dans la danse comme faiseur de paix et tirer d’affaire ses alliés occidentaux ?

La prochaine étape logique serait l’établissement à Kaboul d’un gouvernement favorable à Islamabad — assénant, en même temps, une droite stratégique à l’Inde. Après tout, le Pakistan a beaucoup investi en Afghanistan, dans les années 80, après l’occupation soviétique, et pourtant a reçu peu en retour. Tant l’ancien Premier ministre afghan, Gulbuddin Hekmatyar, que le dirigeant Taliban, le Mollah Omar, tous deux ont refusé d’être entièrement les hommes du Pakistan.

Un homme en toute saisons
Le Mollah Dadullah, 41 ans, vient du sud-ouest de l’Afghanistan. Il est donc un "Taliban d’origine" et il est reconnu pour être naturellement un dirigeant en temps de crise.

Le Mollah Dadullah s’est fait un nom pendant l’occupation soviétique, durant laquelle il a perdu une jambe. Et avec ses victoires sur l’Alliance du Nord, après que les Taliban eurent pris Kaboul en 1996, il a poussé l’alliance dans les oubliettes afghanes. Cela fit de lui, dès le premier jour, la coqueluche du Pakistan.

Il était l’émissaire du Mollah Omar dans les deux zones tribales du Waziristân, avant l’offensive de printemps de l’année dernière. Là, il a négocié un accord majeur entre les forces armées pakistanaises et les Taliban pakistanais. Le Pakistan avait perdu plus de 800 soldats, dans des opérations contre les Taliban pakistanais et al-Qaïda, et cherchait un moyen de sauver la face pour se sortir de ce merdier.

L’accord de paix du Mollah Dadullah apportait cela et l’armée effectua un retrait "honorable" de cette région semi-indépendante instable. A chaque fois que le cessez-le-feu était violé, le Mollah Dadullah arrangeait les choses.

L’offensive de printemps de 2006 fut la démonstration du combattant moudjahidin vétéran Jalaluddin Haqqani. Néanmoins, les principales zones qui connurent la réussite ne furent pas les zones d’influence traditionnelles de Haqqani, telles que Khost, Paktia et Paktika, dans le sud-est de l’Afghanistan. Les Taliban ont obtenu leurs victoires majeures dans leur fief du sud-ouest, Helmand, Zâbol, Orozgân et Kandahar. Et leur chef était le Mollah Dadullah, dont les hommes prirent le contrôle de plus de 12 districts — et les ont gardés.

Les cercles stratégiques pakistanais sont convaincus qu’en tant que commandant militaire éprouvé, le Mollah Dadullah sera capable de faire des merveilles ce printemps et finalement de donner aux Taliban l’avantage sur l’administration de Kaboul et ses alliés de l’Otan.

En fin de compte, c’est l’objectif du Pakistan — reprendre son rôle à Kaboul — et Islamabad est confiante dans le fait que l’habileté diplomatique considérable de Dadullah lui permettra de négocier une formule de partage du pouvoir pour les chefs de guerre afghan pro-pakistanais.

Même si le Mollah Omar n’est pas d’accord sur un compromis majeur, Islamabad pense que Dadullah se sera, d’ici là, fait un tel nom dans la bataille contre l’Otan qu’Omar n’aura pas beaucoup d’autres options que d’accepter les termes de l’accord quels qu’ils soient.

Une nouvelle corde à l’arc des Taliban
Cette année, ont été notamment ajoutés à ce qui peut n’être décrit que comme l’arsenal limité des Taliban des missiles sol-air, en particulier des SAM-7, qui furent la première génération de SAM soviétiques portatifs.

Les Taliban ont acquis ces missiles en 2005, mais ne savait pas trop comment les utiliser avec efficacité. Des membres arabes d’al-Qaïda ont dirigé des programmes d’entraînement extensifs et mis les Taliban à niveau. Néanmoins, les SAM-7, utiles contre les hélicoptères, n’étaient d’aucune utilité contre les chasseurs et les bombardiers qui causaient tant de dommages.

Ce dont les Taliban avaient désespérément besoin était de détecteurs pour leurs missiles. Ceux-ci détectent les émissions provenant des avions destinées à leurrer les missiles.

Et il s’est donc trouvé que le Pakistan avait de tels équipements, les ayant acquis, bien qu’indirectement, des Américains. Les Pakistanais les ont récupérés sur des missiles de croisière non-explosés, tirés en Afghanistan en 1998, visant ben Laden. Ils les ont copiés et les ont adaptés pour aller sur d’autres missiles, dont les SAM.

A présent que les Taliban et le Pakistan ont un accord, ces missiles seront rendus disponibles aux Taliban. A l’instar des Stingers qui ont changé la dynamique de la résistance afghane contre les Soviétiques, les SAM pourraient permettre de retourner les choses en faveur du Mollah Dadullah, des Taliban et du Pakistan.

Syed Saleem Shahzad est le chef du bureau au Pakistan de l’Asia Times Online.