|  

Facebook
Twitter
Syndiquer tout le site

Accueil > français > Archives du site > L’arc des crises > Le problème est à Washington, mais la solution est ailleurs

Le problème est à Washington, mais la solution est ailleurs

Mercredi 12 mars 2008, par Pierre BEAUDET

Pendant que le débat canadien sur l’Afghanistan piétine dans les habituels jeux politiciens, la situation ne cesse de se détériorer sur le terrain. Les affrontements militaires s’intensifient, en dépit des « succès » de l’armée de l’OTAN qui chasse des fantômes (les talibans). La situation sociale s’aggrave au point où on se demande où sont allés les milliards d’aide internationale. Le gouvernement de Hamid Karzaï est profondément délégitimé, en bonne partie parce qu’il repose sur l’appui de seigneurs de guerre qui volent, tuent et violent en toute impunité. L’impasse semble totale.

Jamais l’occupation n’a été pensée pour sauver le peuple afghan. Au départ même, le Pentagone a « sous-contracté » les seigneurs de guerre qui s’opposaient aux talibans, en large partie parce qu’ils avaient perdu le monopole du trafic de l’opium. Par la suite, Washington a forcé la main à ses alliés pour qu’ils endossent l’opération et assument la gestion de cette crise. Ce qui permettait aux forces américaines de se concentrer sur l’Irak et l’Iran.

Certes, certains États y ont cru et ont tenté, dans des conditions plutôt irréalistes, d’aider vraiment la reconstruction de ce pays. Mais six ans plus tard, il faut constater que la mission était de facto impossible. Il devient évident aujourd’hui qu’il faudrait un virage à 180 degrés et réinventer, avec et pour les Afghans, un processus politique faisable, qui impliquerait sans doute des négociations avec les talibans et aussi la réinsertion des pays voisins qui ont été exclus par les États-Unis du processus afghan, notamment la Russie et l’Iran. Les éléments d’un début de solution sont en place en Afghanistan et ailleurs dans le monde, sauf à Washington et à Ottawa.

Évidemment, pour qu’une telle solution soit esquissée, les néoconservateurs états-uniens à la source de la dérive actuelle doivent être marginalisés. Bonne nouvelle dit-on un peu partout, ils sont en déclin. La résistance des populations locales a défié les prédictions de Bush, même si le Pentagone l’avait prévue. Moins de 30 % des États-Uniens appuient les politiques actuelles de Bush. Devant cela, Clinton et Obama, qui visent l’élection présidentielle de l’automne prochain, disent qu’ils vont changer de cap, mais sans expliquer comment. Entre les lignes, on a l’impression que la continuité l’emporte sur la rupture en matière de politique internationale entre les démocrates et l’administration Bush puisque tout le monde pense qu’il faut d’abord et avant tout gagner la guerre contre le terrorisme.

En fin de compte, l’évolution agressive et militariste des États-Unis pourrait continuer au-delà de Bush. Il y a d’abord l’influence terrible du complexe militaro-industriel qui occupe une grande partie de l’espace économique. Il y a la force et l’organisation de la droite dure, notamment autour des réseaux chrétiens intégristes. Et au niveau des élites, il y a le sentiment que l’hégémonie des États-Unis est vraiment menacée par la montée économique et technologique de l’Union européenne et de la Chine, et que devant cette érosion, il est logique de défendre celle-ci par la suprématie militaire et l’occupation des régions du monde où se trouvent localisées les richesses énergétiques.

Bref, il serait surprenant que la prochaine administration à Washington change de courant. À moins que se développent des forces sociales et politiques capables de contester, voire d’affaiblir cette hégémonie. Mais tant que celles-ci restent confinées à quelques États comme le Venezuela ou Cuba, la pression va demeurer faible. Certes, le Brésil, l’Inde, la Chine et d’autres gros joueurs qui émergent dans le monde en ont marre. Mais l’Union européenne, qui pourrait faire le poids, tergiverse entre ses douteuses alliances avec les États-Unis et son aspiration à reconstruire un autre monde multipolaire.

Reste le poids d’une imprévisible société civile mondiale qu’on a vue capable d’impressionnantes mobilisations ces dernières années contre le militarisme états-unien et son volet néolibéral. Est-ce que cela sera assez pour bloquer la grosse machine ? Il faut l’espérer, car si tel n’est pas le cas, le monde est en train d’entrer, pas de sortir, dans un cycle de grands affrontements.


Voir en ligne : alternatives.ca