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Accueil > français > Archives du site > L’altermondialisme > Le politique et le social : que faire ?

Amérique du nord - Québec

Le politique et le social : que faire ?

Mercredi 22 décembre 2004, par Pierre BEAUDET

Au Québec comme ailleurs, le mouvement social est confronté à un même débat. Les constats vont tous dans la même direction :

  • Il faut un débouché politique à nos actions. Il nous faut un interlocuteur politique pour que nos actions puissent donner des résultats.
  • En même temps, le mouvement social ne veut pas être instrumentalisé et contraint, mais rester autonome, indépendant, critique, capable d’intervenir à tous les niveaux de la société, en alliance ou en synergie avec d’autres « acteurs », dont les partis politiques.
  • Les objectifs du mouvement social sont multiples, complexes, mobiles, mais on peut les résumer de la façon suivante : pour une société fondée sur le concept de bien commun, contre la marchandisation de la société et de la vie ; pour une société inclusive, pour l’action positive en faveur des plus faibles ; pour une citoyenneté active et une démocratie à la fois représentative et participative ; pour un développement durable, écologique ; pour une altermondialisation, une approche qui unit les peuples.

Face à ces constats, on a une impression d’urgence, surtout depuis que la droite est au pouvoir au Québec, et au moment où s’annoncent également des virages accentués vers le néolibéralisme « pur et dur » au niveau canadien. Il importe donc de réfléchir à cette situation et de contribuer à identifier des pistes de solution. À un autre niveau, il est important pour ALTERNATIVES de se positionner dans ce débat. D’une part nous sommes interpellés souvent pour participer à ce débat au Québec et au Canada, comme cela a été le cas lors de nos dernières assemblées générales. D’autre part nous travaillons dans des parties du monde où le mouvement social dialogue et travaille dans l’optique de projets de transformation politique.

Réformer la social-démocratie ?

Pour une partie du mouvement social, l’approche traditionnelle a été d’infléchir sur les partis social-démocrates. Avec le PQ et le NPD, notamment. Ce « realpolitik » a été basé sur un constat simple : mieux vaut appuyer des partis institutionnalisés, qui se disent sympathiques aux revendications du mouvement social, et qui sont des prétendants au pouvoir. Actuellement cependant, la situation est complexe. D’une part, l’expérience de la social-démocratie au pouvoir a laissé un goût amer, non seulement aux militant-es du mouvement social, mais aussi aux partisans même de ces partis. D’autre part, pour ceux qui promouvoient des réformes, la marge de manœuvre est mince. Pour autant, la social-démocratie paraît mieux que les « neocons » (néolibéraux durs et purs) au pouvoir à Québec, Washington, Paris, Rome, etc. Au Québec, une partie du mouvement social craint de perdre des acquis importants au moment où le PLQ préparer la « contre-révolution tranquille ». On estime qu’il n’y a d’autre choix que d’appuyer le PQ dont certaines tendances cherchent à se redéfinir comme social-démocrates, anti-néolibérales. En fin de compte, le PQ peut faire obstacle au scénario du pire. D’autre part, la social-démocratie peut s’ouvrir davantage aux idées préconisées par le mouvement social, notamment l’altermondialisme.

Conclusions temporaires pour Alternatives

  • Il faut dialoguer avec la social-démocratie et tenter de constituer des coalitions contre la droite
  • Il faut influencer le débat au sein de la social-démocratie de façon à ce que les valeurs et les propositions du mouvement social soient davantage appréciées.

Constituer une alternative de gauche ?

Une autre partie du mouvement social a conclu qu’il ne servait à rien de miser du côté du PQ et de la social-démocratie en général. Et qu’il fallait mettre en œuvre une alternative politique de gauche. Dans plusieurs pays, un processus similaire est en cours, c’est la « gauche de la gauche » (à gauche de la social-démocratie). Bien que le système électoral soit très désavantageant, ce projet structuré autour de diverses initiatives dont la plus connue est celle de l’Union des forces progressistes (UFP) a un impact certain dans le mouvement social, si ce n’est qu’en soulevant le débat sur le et la politique. Beaucoup de militant-es voient dans l’UFP un embryon d’un parti de gauche enraciné, pas une secte comme cela est le cas pour beaucoup de groupes de gauches. Reste cependant l’angoisse du résultat : que faire pour pénétrer réellement dans l’espace politique « réellement existant » ? Est ce que la gauche politique est condamnée à la marginalité (l’UFP a reçu moins de 1% des votes lors des dernières élections québécoises). L’argument du système électoral est important. Toutefois, la « droite de la droite » (l’ADQ) a obtenu plus de 17% des votes, dans le même système qui favorise le bipartisme). Les militant-es qui s’investissent dans le projet de l’UFP s’interrogent, est-ce une question de patience ? Pour le moment en tout cas, mêmes les secteurs les plus radicaux restent sceptiques. Peut-être que l’irruption dans le décor d’un pôle politique davantage médiatisé (le projet de Françoise David) pourra changer la donne. Mais il faudra beaucoup d’efforts et peut-être un peu de chance pour que la gauche réussisse à prendre sa place sur l’échiquier politique.

Conclusions temporaires pour Alternatives

  • Il faut dialoguer avec la gauche, l’insérer dans le dialogue avec le mouvement social local, et faciliter lorsque cela est possible le dialogue avec d’autres expériences de gauche dans le reste du monde, comme au Brésil par exemple
  • Il faut continuer de participer à la lutte pour la réforme du système électoral de façon à le démocratiser et à faire en sorte que la place des partis de gauche soit davantage reconnue sur le plan institutionnel.

La perspective libertaire

Un autre secteur du mouvement social, devant les incapacités constatées de « réformer » la social-démocratie ou de créer une alternative de gauche, se refuse de considérer le terrain politique, du moins électoral. « Piège » ou « illusion », la politique pour conquérir des espaces institutionnels est refusée, globalement en bloc. Cette proposition, qui a diverses sensibilités (libertaire, autonomiste, radicale) est attirante pour un mouvement social qui a gagné en force et en influence, mais qui peut estimer n’avoir aucune chance d’influencer réellement le terrain politique. Le point faible de cette proposition est cependant de confiner le mouvement social dans un rôle d’« éternel opposant », au risque de perdre un capital de sympathie, notamment auprès de jeunes et de moins jeunes qui veulent des « résultats », aumoins de petites victoires.

Conclusions temporaires pour Alternatives

  • Il faut dialoguer avec la mouvance autonomiste du mouvement social et les aider et les inciter à s’insérer dans les dynamiques plus larges (il ne faut pas les marginaliser ni les diaboliser)
  • Il faut faciliter leur appropriation des dynamiques internationales qui les intéressent et le dialogue avec des mouvements sociaux autonomes et critiques (le MST, les Piqueteros, etc.).

Établir une nouvelle relation entre le social et le politique ?

Ceux qui veulent réformer la social-démocratie, ceux qui veulent créer une alternative politique de gauche, ceux qui veulent « occuper la rue et délaisser les institutions » ont tous de très bons arguments. Ils influent sur et participent au mouvement social d’une façon souvent intéressante. Par contre, les opinions restent divisées sur l’efficacité de leurs propositions politiques.

Reste une autre hypothèse. Le mouvement social n’est pas capable, pour le moment entre autres, de forcer une alternative politique. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il ne peut intervenir sur le terrain politique. C’est-à-dire que le mouvement social peut être « politisé », prendre part au débat, faire pression sur les partis politiques (principalement la social-démocratie), proposer des alternatives concrètes sur toutes les questions qui confrontent la société. Bref être un acteur politique « réel », en tant que mouvement citoyen, propositionnel, audacieux et garder ses options « ouvertes », soit pour appuyer de manière critique la social-démocratie, soit pour appuyer la gauche radicale, surtout si celle-ci réussit à sortir de la marginalité. Cette option d’un mouvement citoyen nous semble en fait plus réaliste et plus prometteuse dans les conditions actuelles.

Cependant, pour y arriver, il ne suffit pas de continuer comme avant. Les mouvements sociaux, y compris les mouvements altermondialisation comme Alternatives, doivent changer. Il faut d’abord avoir une masse critique plus importante, dépasser les frontières actuelles, bref mettre en place un mouvement ou un forum des citoyens, un peu à la manière du Conseil des Canadiens au Canada anglais. Il faut dans un autre track prendre des initiatives, articuler un programme plus détaillé et plus complet sur les questions qui confrontent la société, déployer également une capacité de mobilisation réelle (pas seulement des réunions). À l’image des « campagnes entourant les villes », le mouvement social doit « entourer, encercler le politique » , l’influencer pour le transformer. Par exemple, en élaborant un programme cohérent social et économique. En mettant de l’avant la démocratie participative (budget participatif, imputabilité des élu-es), etc. En investissant le champ local comme le terrain international. Un tel virage répondrait à beaucoup de questions évoquées plus haut et permettrait, minimalement, de faire débloquer le débat et de politiser les pratiques et les analyses.

Conclusions temporaires pour Alternatives

  • Il faut s’investir à fond dans les processus qui permettent au mouvement social de se coaliser, de dialoguer, d’élaborer des propositions et des perspectives.
  • Il faut approfondir les propositions de l’altermondialisme et faire une gigantesque bataille des idées.
  • Il faut faciliter le renforcement de ce mouvement au niveau mondial, notamment via le FSM.