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NAIROBI 2007

Le mouvement syndical kenyan sur la brèche

Rapport de la CISL sur le Kenya en 2005-06

Samedi 9 décembre 2006

Les violations fréquentes du droit de grève se sont poursuivies, dans un climat de relations du travail de plus en plus tendues. Du personnel infirmier a été suspendu en raison d’une action de grève, des travailleurs des plantations de thé ont été licenciés, du personnel universitaire a été menacé de licenciement et le gouvernement a mis à pied 1.600 employés de la fonction publique pour avoir pris part à une grève. Les travailleurs de l’armée, de la police, des établissements pénitentiaires et des services de la jeunesse ainsi que les enseignants n’ont toujours pas le droit d’adhérer à un syndicat ni de négocier collectivement.

LIBERTÉS SYNDICALES EN DROIT

Le gouvernement peut refuser l’enregistrement

Sept travailleurs ou plus dans une entreprise ont le droit de former des syndicats et d’y adhérer. Ces derniers doivent être enregistrés par le registre des syndicats, qui a le droit de refuser l’enregistrement. Lorsque l’enregistrement est refusé, les syndicats ont le droit de chercher réparation auprès des tribunaux.
Les enseignants et d’autres travailleurs dans des services non essentiels restent privés du droit de négociation

Selon une réglementation introduite en mai 2004, les employés de la fonction publique ont maintenant le droit de négocier collectivement et de mener une action de grève, mais ce droit est toujours nié au personnel de l’armée, des prisons, du service national de la jeunesse et aux enseignants qui dépendent de la Commission de l’enseignement Teachers’ Service Commission, TSC).

Restrictions au droit de grève

Bien que la législation autorise le droit de grève, celui-ci subit d’importantes restrictions. Tous les différends doivent être soumis au ministère du Travail 21 jours avant l’appel à la grève. Dans le cadre des services essentiels comme l’éducation, la santé, le contrôle aérien ou la distribution de l’eau, la période préalable à la grève est de 28 jours. Après avoir été saisi du différend, le ministère du Travail peut servir d’arbitre, nommer un médiateur ou soumettre le différend au tribunal du travail. Pendant ce délai, la grève est interdite. Le ministère du Travail a également le pouvoir discrétionnaire de statuer sur la légalité d’une grève.

Tant la loi sur les conflits du travail que la Charte des relations professionnelles autorisent la négociation collective. Toutes les lois du travail, dont le droit de syndicalisation et de négociation collective, sont d’application dans les zones franches d’exportation.

Retards dans la révision de la législation du travail

Une unité spéciale du gouvernement est chargée de réviser le Code du travail en veillant à l’intégration des normes fondamentales du travail de l’OIT et à la conformité du Code avec la loi AGOA sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique. Face à la lenteur du gouvernement à finaliser la révision de la législation du travail, les syndicats éprouvent une frustration grandissante, le gouvernement prétendant ne pouvoir achever cette révision tant que la Constitution n’est pas ratifiée. Cependant, à la suite du rejet de la nouvelle Constitution par les citoyens kenyans en 2005, on ignore quand la loi sera adoptée.

LIBERTÉS SYNDICALES DANS LA PRATIQUE

Entraves au droit de grève
Dans la pratique, le droit de grève est fréquemment enfreint au Kenya. Au cours de la période de préavis, le ministre du Travail intervient généralement et propose un médiateur pour le différend. Si les négociations sont rompues, le gouvernement saisit habituellement un tribunal du travail de la question, devançant toute décision de mener une action de grève. Quand les travailleurs, frustrés par cette procédure fastidieuse, décident malgré tout d’entreprendre une grève, leur action est généralement (mais pas systématiquement) déclarée illégale.

Les nouveaux contrats des enseignants suppriment les droits syndicaux des enseignants de rang plus élevé

Les nouvelles réglementations de la TSC introduites le 1er octobre 2005 interdisent aux membres du personnel enseignant exerçant des fonctions élevées de jouer un rôle actif dans le syndicat et notamment de prendre part à des actions de grève. Ce règlement couvre les proviseurs, directeurs adjoints, chefs de département, chercheurs confirmés, pédagogues de centres consultatifs et responsables de programmes éducatifs. Les enseignants qui ne respectent pas ce règlement risquent une action disciplinaire. Jusqu’à la fin de l’année, la TSC avait refusé de rencontrer le syndicat national des enseignants du Kenya (Kenya National Union of Teachers, KNUT) pour discuter des nouveaux contrats.

Travailleurs des ZFE autorisés à adhérer à un syndicat, mais avec certaines restrictions
Les travailleurs des zones franches d’exportation (ZFE) peuvent adhérer à un syndicat mais leurs conditions de travail sont toujours exécrables et ceux qui se plaignent sont menacés de licenciement. En mai 2004 par exemple, les travailleurs des zones franches d’exportation du pays ont dit avoir été menacés de licenciement pour s’être plaints de leurs conditions de travail à des associations de droits de l’homme.
On compte environ 36.000 travailleurs dans les 30 zones du pays.

VIOLATIONS EN 2005

Données générales

Le mécontentement des syndicats a été considérable en 2005, tandis que du côté gouvernemental un sentiment antisyndical s’accentuait. L’année a été dominée par une grève des employés de la fonction publique et des travailleurs de la santé et ses répercussions. L’agitation a commencé en février, lorsque le gouvernement a averti qu’il remplaçait les contrats existants des employés de la fonction publique par des contrats de performance d’un an, en réponse aux demandes financées par des donateurs de rendre la fonction publique plus efficace. Parallèlement, les syndicats ont demandé une hausse salariale de 600%.

Menaces du gouvernement à l’encontre des employés de la fonction publique à propos d’une action de grève proposée

Lorsque le Syndicat des employés kenyans de la fonction publique (Union of Kenya Civil Servants, UKCS) a annoncé une grève le 1er juin, le ministre d’État du Bureau présidentiel, William Ole Ntimama, a déclaré que les employés de la fonction publique qui ne se rendaient pas à leur poste de travail seraient "considérés comme ayant déserté leur poste", avec les conséquences que cela entraîne. En dépit de cette menace, des milliers de fonctionnaires ont organisé des grèves, manifestations et occupation de locaux dans plusieurs régions du pays dans le district Nyandaru, Rachuoyo, Nakuru, Kitui et Mwingi.

Du personnel médical renvoyé chez lui après une grève

Cent quatre-vingt-dix-neuf travailleurs des services médicaux dans deux grands hôpitaux kenyans ont été suspendus en juin pour avoir pris part à une grève. Au Coast Hospital, deux salles ont été fermées à la suite de la suspension de 80 travailleurs. Au Msambweni District Hospital, seul un travailleur sur quatre est resté à son poste.
Des rapports indiquent que 5.000 membres du personnel infirmier et travailleurs du secteur hospitalier au Kenyatta National Hospital (KNH) ont organisé également une grève sauvage le 15 juin, après avoir découvert que les administrateurs de l’hôpital avaient reçu de très importantes augmentations de salaire. Le ministre de la Santé, Charity Ngilu, leur avait promis qu’ils recevraient des augmentations du même ordre s’ils reprenaient le travail, mais cela ne s’étant pas concrétisé, ils sont repartis en grève la semaine d’après.

Du personnel embauché pour remplacer des travailleurs licenciés
Le 6 juin, le ministère de la Santé a publié les noms de 384 infirmières embauchées pour remplacer le personnel parti en grève.

Le gouvernement licencie 1.600 grévistes

Le 6 juin, le gouvernement a annoncé qu’il licenciait 9.000 travailleurs de la fonction publique ayant pris part à une grève "illégale" et qu’il retenait les cotisations syndicales. Enfin, le 13 juin, le gouvernement licencia 1.600 travailleurs qui avaient participé à la grève, mais accepta de restituer les cotisations syndicales.

Le gouvernement ignore son propre accord de "retour au travail"

Le gouvernement a ignoré un accord de retour au travail négocié lors d’un règlement à l’amiable avec des fonctionnaires en août, aux fins de réinsérer les travailleurs licenciés et d’accorder une augmentation salariale de 14%.

Le gouvernement a finalement convenu de réinsérer les travailleurs en novembre et de restituer les cotisations syndicales. Cette décision n’est intervenue qu’une fois que l’UKCS eut décidé de tenir des élections le 7 octobre 2005, et que le secrétaire général, Francis Atwoli, eut convaincu le gouvernement de débloquer les cotisations syndicales pour financer ces élections. De nouveaux responsables syndicaux ont été élus, et les travailleurs licenciés ont été réinsérés.

Des travailleurs des lignes aériennes mis en garde contre une participation à une action de grève

Le 19 avril, Kenya Airways a averti son personnel qu’il subirait de graves conséquences s’il prenait part à une grève à l’appel du syndicat des travailleurs de l’aviation et des services connexes (Aviation and Allied Workers Union, AAWU). Le directeur gérant, Titus Naikuni, a déclaré que l’AAWU ne pouvait pas lancer un appel à la grève alors que des négociations étaient en cours, et que Kenya Airways ne négocierait qu’avec le syndicat des travailleurs des transports et services connexes (Transport and Allied Workers Union), étant donné que l’AAWU se situait en dessous du niveau légal requis pour une reconnaissance syndicale. Le ministre du Travail, Newton Kulundu, a alors déclaré la grève illégale et celle-ci a été annulée.

Des travailleurs du thé licenciés durant une grève

Plusieurs travailleurs d’entreprises de thé dans les districts de Gucha et Kisii au Kenya, qui étaient partis en grève au début du mois d’avril pour réclamer des arriérés de salaire ont été licenciés le 5 mai. Les grévistes ont été réinsérés à la suite d’une réunion entre l’Agence de développement kenyane du thé (Kenya The Development Agency, KTDA), la Fédération des employeurs kenyans et la COTU, la centrale syndicale nationale. Les travailleurs du thé avaient lancé un appel à la grève après que la direction de la KTDA eut ignoré une décision judiciaire prise en janvier, consistant à verser aux travailleurs une augmentation entre 24% et 32%.

La police disperse des chauffeurs d’autobus en grève

La police est intervenue pour disperser des chauffeurs d’autobus en grève le 11 juin, alors qu’ils entraient dans les locaux du Kenya Bus Service pour demander le paiement d’arriérés de salaire. Le directeur gérant s’est enfermé dans son bureau pour échapper aux travailleurs en colère.

Les conducteurs réclamaient leurs salaires des mois de février, mars et avril. La compagnie était, disait-on, fermée pour faillite.

Du personnel universitaire en grève menacé de licenciement

À la fin du mois de décembre, un millier de professeurs d’université en grève a l’Université de Nairobi et 600 autres grévistes à l’Université de Egerton ont appris que leur contrat ne serait pas renouvelé s’ils n’acceptaient pas de reprendre le travail.
Ils participaient à une grève le 10 novembre, à l’appel du Syndicat du personnel académique des universités (Universities Academic Staff Union, UASU) pour demander une augmentation salariale de plus de 2000%. Actuellement, un chargé d’enseignement gagne environ 192 dollars par mois et un maître de conférences environ 217 dollars. Un professeur d’université à plein temps gagne environ 423 dollars.

La grève a entraîné la fermeture de six universités, alors que plus de 60.000 étudiants étaient renvoyés chez eux. Le gouvernement a nommé un comité de conciliation pour trouver une solution au différend. Le comité a considéré que les demandes d’augmentation salariale des grévistes étaient justifiées et le gouvernement a été pressé de négocier afin de mettre fin à la grève. Néanmoins, aucune solution n’avait été trouvée à la fin de l’année.