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INDE

Le dilemme de la gauche

Samedi 17 juin 2006, par Sumanta Banerjee

La gauche indienne, structurée principalement autour de deux Partis communistes est depuis longtemps face à un dilemme. Elle connaît des succès au niveau électoral dans certains États. Elle est devenue une force nationale sur laquelle doivent compter les autres forces politiques, notamment le Parti du Congrès. En même temps, la gauche est forcée d’appuyer le Parti du Congrès comme rempart contre les forces de la réaction et de l’intégrisme, D’autre part, elle combat ce parti qui représente l’élite indienne installée au pouvoir depuis 1948 et qui poursuit maintenant un agenda carrément néolibéral. La réconciliation des termes de l’équation est tout un défi.

La gauche interpellée

Le mouvement communiste en Inde transporte les vestiges des premières générations du mouvement marxiste. À la fin de sa vie, Frédéric Engels admettait que les hypothèses du départ prévoyant une insurrection générale contre le capitalisme étaient dépassées et qu’il fallait plutôt aller dans le sens de la voie électorale. Constatant l’avancée de la social-démocratie en Europe, Engels affirmait qu’il était ironique de voir que la gauche était plus à l’aise dans l’espace légal que dans l’action de combat (Introduction à l’édition de 1985 des « Luttes de classes en France » de K. Marx). Il semblait évident alors que tel était l’avenir de la gauche à l’ombre d’un capitalisme rajeuni et à l’assaut du monde avec de nouvelles techniques industrielles. Cent ans plus tard, la dégénérescence du système socialiste découlant de l’implosion de l’URSS et la cooptation de la Chine à l’intérieur du système capitaliste mondial ont jusqu’à un certain point dévalué l’idéologie du socialisme comme une alternative aux yeux d’une grande partie du monde. Entre-temps, le capitalisme néolibéral émerge sous l’hégémonie des Etats-Unis. Comme durant la dernière période de vie d’Engels, le capitalisme a réussi à harnacher la technologie en la concentrant dans deux secteurs stratégiques, l’information et le militaire. Les adversaires de ce capitalisme sont confrontés et doivent inventer de nouveaux outils politiquement et techniquement adéquats.

Avancées et contradictions de la gauche indienne

La gauche indienne participe à la scène électorale depuis près de 50 ans (les premières élections générales ont eu lieu en 1951). Depuis trente ans, elle gouverne le West Bengal, sans pratiquement aucune opposition. Dans l’État du Kerala, le PCM domine en alternance avec le congrès (lors des dernières élections en mai 2006, le PCM a remporté les élections). Également, le parti est devenu une force décisive au niveau national lors des élections de 2004, en obtenant un grand nombre de sièges et donc la balance du pouvoir. Depuis, le PCM a été en mesure d’influer sur la politique du gouvernement du Congrès.

Ce succès comporte cependant un revers. Le PCM ne fait pas vraiment parti du gouvernement. Ses avis sont parfois acceptés, parfois rejetés par le Congrès qui sait que les communistes ne peuvent pas faire tomber le gouvernement. Le Congrès joue habilement cette situation en accueillant les propositions des communistes sur des questions secondaires qui touchent à l’éducation et la culture et qui confrontent l’idéologie réactionnaire de la droite hindouiste. Il y a également une convergence au niveau d’une partie de la politique extérieure qui concerne les relations avec la Chine et le Pakistan, et où tout le monde s’entend pour faire tomber la tension et accroître la coopération.

Par contre, le rapprochement entre le gouvernement indien et Washington, l’évolution de la politique économique et celle de la défense, confronte les communistes. Le PCM reste très critique face à l’attitude complaisante du gouvernement envers Condoleezza Rice qui flatte l’élite indienne en qualifiant l’Inde de « puissance émergente » et en offrant une alliance militaire. Dans le domaine économique, le gouvernement suit d’une manière stricte les prescriptions de la Banque mondiale. Malgré tout cela, la gauche continue d’appuyer le Congrès, de peur de faciliter le retour au pouvoir de la droite « dure » du BJP.

Ce dilemme a été à l’avant-scène des derniers congrès du PCI et du PCM au début de l’année. Les délégués ont compris que les partis de gauche n’avaient d’autre choix que d’appuyer un gouvernement bien aligné sur le capitalisme néolibéral. Le chef du PCM dans le West Bengale, Buddhadeb Bhattacharya, qui est également Premier Ministre de l’État, est lui-même engagé dans la voie de la privatisation et de la déréglementation, pour attirer les investisseurs et faire plaisir aux entrepreneurs. Il continue à dominer un secteur public relativement indiscipliné, inefficace et corrompu, face auquel la population est résignée.

Anciennes méthodes et nouveaux besoins

La gauche indienne pour se justifier fait souvent référence à l’expérience de la NEP au début du pouvoir soviétique, pendant laquelle Lénine avait décidé de reculer dans la construction du socialisme et d’ouvrir la porte au retour du secteur privé, tout en confrontant les revendications syndicales d’une manière brutale. Le PCM dans le West Bengal est dans une dynamique en apparence semblable.

Mais en réalité, la NEP s’inscrivait dans une économie nationale dominée par l’approche socialiste qui priorisait les besoins des démunis. Dans ce sens, la version indienne est davantage une caricature puisque le PCM n’a aucun contrôle sur l’économie nationale. Ce sont les politiques de la Banque mondiale et des multinationales qui déterminent le cadre de la gouvernance dans les États dominés par la gauche. Ainsi, la réorientation des priorités du gouvernement du PCM dans le West Bengal vers les infrastructures urbaines témoigne de cette réalité. La masse de la paysannerie s’appauvrit davantage. Le nombre des sans-terre s’accroît et on rapporte même des famines dans certaines régions. Dans le secteur industriel, les entreprises manufacturières traditionnelles sont en déclin (machinerie), ce qui pousse les travailleurs dans la rue. C’est le secteur tertiaire qui se renforce et la base du PCM passe des cols-bleus vers les cols bancs.

La contradiction ente le discours anti-néolibéral de la gauche au niveau national et ses pratiques pro néolibérales au niveau local devient plus forte. Leur opposition aux privatisations des télécoms, par exemple, devient factice. Les deux principaux leaders communistes au Parlement national (Lok Sabha), Sitaram Yechuri (PCM) et A B Bardhan (PCI) savent que leurs capacités réelles d’influer sur la politique nationale sont limitées.

Le retour des slogans

Tant le PCI et que le PCM parlent maintenant de mettre en place le « troisième front », qui ferait échec au Congrès et à la droite dure. Dans les années 1970, une telle tentative avait eu lieu sous l’égide de l’alliance Janata, mais sans beaucoup de succès. Les autres composantes de l’alliance s’étaient avérées corrompues et opportunistes. Or ce sont les mêmes leaders qui dominent ces tiers partis aujourd’hui, tels Mulayam Singh Yadav, Laloo Yadav, Mayawati, Shibu Soren, etc. Au lieu de crédibiliser ces partis qui sont basés sur les castes inférieures et les dalits qu’ils s’empressent de trahir, les communistes devraient plutôt regarder du côté des mouvements sociaux qui oeuvrent à la défense des opprimés, pour la protection de l’environnement, dans la promotion des droits des dalits et des minorités. Ils devraient également considérer des alliances avec la mouvance « naxalite », qui gardent des appuis considérables dans le monde rural.