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SAHARA OCCIDENTAL

Le désert contesté

Le Sahara occidental dans l’engrenage des rivalités régionales et internationales

Mercredi 30 mai 2007, par Pierre BEAUDET

Depuis trente ans, le Sahara occidental reste un territoire conflictuel où s’affrontent de multiples intérêts. La majorité de la population locale, les Sahraouis, aspire à l’indépendance. Pour sa part le Maroc (qui a pris le contrôle du territoire après le retrait espagnol en 1975) affirme détenir la souveraineté sur ce territoire riche en phosphates et potentiellement riche en pétrole, en raison des liens de longue date qui unissent le Sultan du Maroc et les tribus vivant au Sahara occidental, un argument que la Cour internationale de justice a rejeté en 1975. Depuis, l’ONU tente tant bien que mal d’y organiser un référendum, ce qui pourrait démontrer une fois pour toutes ce que veulent les Sahraouis. Mais l’État marocain tergiverse et cherche à éviter le moment de vérité qui pourrait cependant survenir plus tôt que plus tard.

Répression

Pendant que la mission onusienne sur place au Sahara occidental attend Godot, la population s’impatiente. Des dizaines de milliers de familles séparées par une barrière construite par le Maroc à travers le territoire, ainsi que des milliers réfugiés en Algérie, subissent les conséquences de cette impasse politique. Entre-temps selon Peter Van Walsum qui dirige la mission des Nations Unies sur place (la MINURSO), la vie est bien difficile. Pour sa part dans son dernier rapport annuel, Human Rights Watch souligne les abus régulièrement commis par la police et l’armée contre des civils. Lors de manifestations pacifiques de mai 2005, des dizaines de personnes ont été brutalisées et arrêtées. Un manifestant, Hamdi Lembarki, a été tué par des policiers. Il faut dire qu’un procès est en cours contre les responsables de ces exactions, mais les Sahraouis sont sceptiques sur la volonté de l’État de réellement punir les coupables.

Intifada

Depuis ces manifestations qualifiées d’« intifada sahraouie » par la presse marocaine, la situation est tendue. Les jeunes en particulier sont exacerbés et ne craignent plus d’affronter les autorités marocaines. Sur les murs des bâtiments administratifs à Laayoune (la principale ville du Sahara), les graffitis pro-indépendance et les couleurs rouge, verte, blanche et noire du Front POLISARIO s’affichent partout. Pour le moment, l’organisation indépendantiste, qui a proclamé la République arabe sahraouie et démocratique (RASD) en 1976, maintient sa politique de résistance civile non-violente. Mais dans les camps de réfugiés localisés en Algérie où plus de 165 000 Sahraouis sont en stand-by, le Polisario dispose d’une force militaire qui pourrait être réanimée, comme cela a été le cas lors de la très coûteuse guerre de guérilla qui a ravagé le pays de 1976 à 1991.

La question du référendum

A plusieurs reprises, l’ONU a cherché une solution politique au conflit, promettant d’organiser un référendum sous supervision internationale. En 2000 au début de son règne, le nouveau roi marocain Mohamed Vl a semblé témoigner d’une certaine ouverture. En 2003 toutefois, la porte s’est encore une fois refermée. Le compromis proposé par l’ONU suggérant une période transitoire d’autonomie (quatre ans) et un référendum avec trois options (l’indépendance, l’intégration au Maroc et l’autonomie) a été rejeté par le Maroc et, à. la surprise générale, accepté par le Polisario. Depuis, rien de bouge. Les Etats-Unis et la France font pression sur le Polisario pour qu’il abandonne la perspective d’un État indépendant et qu’il négocie les termes d’une autonomie aux contours mal définis. Mais les dirigeants du Front estiment que le temps joue pour eux. Ils se sentent confiants de l’appui populaire aussi bien dans les territoires contrôlés par le Maroc que parmi la communauté exilée. Également, le Polisario sait qu’il peut compter sur l’appui de l’Algérie, qui joue son propre jeu dans cette affaire, et qui aspire toujours à devenir l’hégémon régional, ce qui veut dire éventuellement affaiblir le Maroc dans le contexte de l’épineux conflit du Sahara.

Le Maroc malade du Sahara

Longtemps considéré comme le fief des appareils de sécurité et de diverses mafias associées au régime, le Sahara est maintenant perçu comme un fardeau par la société marocaine. D’autant plus que plusieurs des grands tabous qui avaient été imposés dans la période antérieure sont maintenant ouvertement débattus, y compris celui de l’irréversible « marocanité » du Sahara. Ainsi il n’est plus rare dans les médias et les forums publics d’entendre des Marocains dire que toute cette « histoire » devrait être liquidée une fois pour toutes et que le Maroc devrait laisser les Sahraouis décider de leur propre sort. La grogne est perceptible d’autant plus que la crise sociale et économique larvée continue de s’aggraver, notamment sous la forme du chômage. Mohamed Vl qui avait suscité de fortes attentes au sein de la population est de plus en plus interpellé. La fronde avec les diverses factions politiques et militaires témoigne de turbulences qui traversent la société en profondeur. La chasse aux islamistes en cours, justifiée par la perpétration d’attentats terroristes, ne pourra probablement pas régler le problème.
.Dans l’œil du cyclone

La dernière résolution (1720) du Conseil de sécurité sur le conflit du Sahara votée le 31 octobre dernier se contente de vœux pieux pour une « paix juste et négociée », sans imposer de pressions contre le blocage marocain. Les Sahraouis soulignent que ce manque de volonté relève d’une politique de « deux poids deux mesures », qui tranche avec l’intervention de la communauté internationale qui a permis le référendum (et la sécession subséquente) du Timor oriental et qui s’apprête à accorder aux Kosovars la possibilité de constituer un État indépendant. Parallèlement, le Maroc tente de consolider sa position en tant que « meilleur ami » des Occidentaux dans la région. Le royaume s’est vite commis aux côtés de la « guerre sans fin » de George W. Bush, en accentuant la coopération militaire et en acceptant que le territoire marocain accueille des lieux de détention secrets où de présumés supporteurs de Bin Laden sont torturés (le tout est dénié par les autorités marocaines, mais confirmé par une enquête du Parlement). Pour le Maroc, les enjeux sont gros d’autant plus que Washington ne se cache pas de courtiser l’éternel rival algérien qui se présente lui aussi comme le futur garant de la pax americana en Afrique du Nord. En jouant le Maroc contre l’Algérie et en manipulant la crise du Sahara, les Etats-Unis espèrent verrouiller cette région dans le contexte de leurs vastes ambitions de « réingénierie » du monde.