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Le bourbier afghan

Mercredi 12 janvier 2005, par Pierre BEAUDET

Le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, annonçait il y a un an que le règne des talibans et d’al-Qaïda était sur le point d’être terminé. Aujourd’hui, 10 000 soldats américains sont enlisés le long de la frontière avec le Pakistan. Pendant ce temps, les groupes armés selon plusieurs observateurs sont mieux armés et déterminés à continuer la guerre.

Le règne des milices

Sur le terrain, l’insécurité sévit dans presque toutes les régions du pays. Les droits des citoyens et des citoyennes sont constamment violés par les diverses milices qui prolifèrent et qui ont « restructuré » l’économie afghane vers la production d’opium, alors que le programme de reconstruction du pays mise sur le libre-marché. Le gouvernement intérimaire actuel, mis en place en juin 2002 par une assemblée de notables (le Loya Jirga) ne gouverne que dans certains quartiers de Kaboul. Les milices, les mêmes qui ont semé la terreur tout au long des années 1990, disposent de plus de 100 000 hommes en armes (contre moins de 7000 soldats pour l’armée afghane « reconstituée »). Selon Ahmed Rashid, journaliste pakistanais correspondant pour le Daily Telegraph de Londres, ces milices continuent car elles sont protégées par les USA. Mohammad Fahim par exemple, un des chefs de l’Alliance du Nord qui a fait la guerre contre les talibans aux côtés des États-Unis, est aujourd’hui vice-président et ministre de la Défense au sein du gouvernement afghan. Il contrôle les régions tadjikes au nord du pays et bloque tout processus de mise en place des structures de l’État. Les milices d’Abdul Rabb al-Rasul Sayyaf, aussi considéré comme un allié des États-Unis, sont accusées de maintenir un régime de terreur dans les zones qu’elles contrôlent. Sayyaf aurait notamment menacé la Commission afghane indépendante des droits humains. Human Rights Watch rapporte des cas de torture, d’arrestations arbitraires et sans procès ainsi que des viols commis par ces milices.

Le principal producteur d’opium au monde

Seulement en mars, on rapportait l’assassinat de onze Afghans employés par des agences humanitaires. À Kandahar, dans le sud du pays, 21 des 26 agences ont évacué la ville. Entre-temps, l’aide internationale souvent promise arrive au compte-goutte et l’économie s’effondre au profit des narcotrafiquants. Selon l’ONU, l’Afghanistan est redevenu le principal producteur d’opium dans le monde, générant des revenus de 2,3 milliards de dollars l’an passé. La production affecte maintenant 28 des 32 provinces du pays. L’opium pur et l’héroïne sont exportés par camion sous la protection des chefs de milices qui en contrôlent le trafic.

Un programme de reconstruction contesté

Lors de la Conférence internationale des donateurs pour l’Afghanistan à Berlin les 31 mars et 1er avril dernier, un programme de reconstruction a été proposé par la Banque mondiale pour reconstruire l’Afghanistan. Ce plan met de l’avant une conception étroitement néolibérale de la reconstruction du pays, où l’intervention de l’État doit être minimisée pour « laisser place au libre-marché ». Avec la recrudescence de la production d’opium, qui témoigne de l’emprise des seigneurs de guerre sur l’économie afghane, ce plan inquiète plusieurs observateurs. Dans un document soumis à la conférence de Berlin, des ONG (Novib, Action Aid et Alternatives) estiment que cette orientation ne convient pas du tout aux réalités afghanes : « On propose que l’État afghan se limite à des fonctions de régulation et que le marché privé prenne en main le reste. La réalité est que ce marché est contrôlé par de puissants clans qui n’ont aucun souci pour les conditions de vie ou l’environnement. » Selon ces mêmes ONG, « pour reconstruire un État en Afghanistan, il faut une politique interventionniste qui met de l’avant une vaste gamme de moyens – la réforme agraire par exemple – de façon à réarticuler la société et à inclure les groupes marginalisés, comme les femmes et les enfants ».

Un avenir incertain

Sous le régime des talibans, l’Afghanistan avait été privatisée au profit d’un petit groupe, au nom de l’islam. Ironiquement, les chefs de guerre espèrent aujourd’hui perpétuer ce système et entendent bien profiter des orientations de la Banque mondiale qui affirme que ce n’est pas à l’État de s’occuper de l’économie du pays. Pour plusieurs ONG, les solutions sont pourtant évidentes. La neutralisation des seigneurs de guerre, alliés des États-Unis, est la première condition afin de permettre l’avènement d’un Afghanistan démocratique et libre. Une œuvre qui ne prendra pas quelques semaines mais plusieurs années, et qui ne sera pas principalement militaire. Dans ce contexte, la tenue d’élections, prévues pour septembre, ne semble pas réaliste. Les Nations unies estiment d’ailleurs qu’il faudrait au moins un an de travail pour arriver à sécuriser le pays et permettre un réel processus démocratique. Il faudra aider à la reconstruction d’un véritable État national, tout en aidant les Afghans à ériger une société civile organisée et libre.