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NAIROBI 2007

Le bilan du FSM vu du Kenya

Interview de Wangui Mbatia, membre du Parlement du peuple

Mercredi 23 mai 2007

Peux-tu te présenter et nous parler de ton organisation ? Comment elle a démarré, qu’est-ce qu’elle fait exactement… ?

Je suis membre de Bunge la Mwananchi qui peut se traduire par Parlement populaire ou du peuple. Notre organisation est un mouvement populaire, ce n’est pas vraiment une institution. Elle a vu le jour il y a une quinzaine d’années quand des Kenyans se sont rassemblés et assis sous un arbre pour discuter de leurs problèmes. Et nous nous sommes réunis tous les jours de ces quinze dernières années, et sous cet arbre nous avons discuté de beaucoup de nos problèmes, nous sommes sortis de là avec des solutions, nous avons suscité une prise de conscience. Donc, pour l’essentiel, l’objectif du Parlement du peuple est d’offrir aux gens une voix quand ils en manquent, de créer une prise de conscience sur différentes choses : cela peut être à propos de questions de santé comme le Sida, cela peut être à propos de problèmes politiques, par exemple le travail actif que nous avons fait pendant le processus de réforme constitutionnelle kenyan. Nous créons une prise de conscience parmi le public à propos de choses qui les affectent : les lois, par exemple nous faisons toujours en sorte de discuter des lois qui sont discutées au Parlement pour que les gens sachent ce que la loi signifie pour eux. À de nombreuses occasions, nous avons un rôle actif pour assurer que les droits des gens soient respectés.

C’est pour cela que nous pensons qu’il est important pour les Kenyans de participer au Forum social mondial alors qu’il se tient dans ce pays. C’est notre premier forum social. Nos membres sont en grande majorité des citoyens ordinaires qui ne pourraient pas se payer des billets d’avion pour le Brésil ou pour l’Inde car c’est trop cher. C’est pour cela que même si certains d’entre nous étaient conscients de l’existence du processus des forums sociaux mondiaux, la plupart ne pouvaient pas y participer quand le forum se tenait à l’étranger.

Nous sommes nombreux à avoir pensé que si le forum venait à Nairobi, il nous aurait inclus ; mais il semble cependant que beaucoup trop de choses dans la manière dont le forum a été organisé ont rendu la participation des Kenyans difficile. La première, ce sont les prix d’entrée au forum. Vous savez que pour assister au Forum social mondial et pour y participer il faut payer de fortes sommes d’argent. Pour les Kenyans par exemple, si vous voulez avoir un restaurant dans ce forum, il faut payer environ 500 dollars. Le Kenyan moyen vit avec moins de 1 dollar par jour. Donc pour être capable d’avoir un restaurant ici il faudrait au Kenyan moyen plus d’une année de salaire, ce qui signifie que nous avons été littéralement exclus. Mais même sans parler de monter un restaurant ici, simplement pour assister au forum, les organisateurs ont insisté sur un prix d’entrée de 500 shillings, l’équivalent d’un peu plus de 6 dollars ce qui correspond à une semaine de salaire. Nous ne pensons pas que cela est juste, si on considère le fait que le Kenyan ordinaire vit avec moins de 1 dollar par jour. Et pour participer au forum, simplement pouvoir créer des liens avec d’autres, discuter de problèmes, échanger des expériences, c’était très injuste de nous demander de payer un prix si fort que nous avons été exclus.
Donc le Parlement du peuple a abordé ce problème : nous avons organisé notre propre forum, dans un parc public gratuitement pendant trois jours. C’était dimanche, lundi et hier mardi. Mais nous nous sommes dits alors qu’aujourd’hui devait être une journée d’action au forum social et nous avons pensé que peut-être, si nous venions à ce forum, nous retrouverions des militants et des camarades comme nous en action. Donc nous sommes venus du parc avec quelques résolutions sur ce que nous voulions faire.

Et une des choses que nous voulions faire c’est créer une prise de conscience sur :

1) le fait que le prix de la nourriture est tout simplement trop cher au Kenya ;

2) que le Forum social mondial devrait être un endroit où les institutions que nous autorisons à participer sont soigneusement sélectionnées, de manière à ne pas envoyer le mauvais message.

Et notre action d’aujourd’hui au restaurant Windsor est juste une indication de cela. Nous avons choisi ce restaurant comme notre point d’action pour de nombreuses raisons. Le restaurant Windsor a une longue histoire avec le peuple du Kenya. Les Kenyans estiment que les propriétaires de ce restaurant ne les ont pas très bien traités par le passé. Il est réputé appartenir au ministre en charge de la sécurité intérieure. Et c’est un homme que peu d’entre nous apprécient car il a fait des choses incroyablement blessantes à notre encontre, en tant que peuple. Donc nous nous sommes dit que, puisqu’il avait fait d’immenses profits grâce au Forum social mondial, nous devions avoir une action autour de son restaurant pour lui rappeler, à lui et aux gens comme lui, que nous sommes bien là et que nous existons.

Après la fin du forum social mondial, quels seront vos objectifs et en quoi ce forum peut-il vous aider à construire votre organisation et vos luttes ?

pense que c’est un des meilleurs aspects du forum : il rassemble des personnes qui sont de même sensibilité d’une manière qu’aucun autre forum ne peut faire. Ici nous avons pu les voir, en tant que membres moyens du public qui n’ont pas en général la possibilité de voyager à travers le monde. C’est le monde qui est venu à nous. Et ce n’est pas simplement le monde qui est venu à nous, mais c’est un certain monde, le « bon » monde, de telle sorte que nous avons parlé avec des gens qui parlent notre langage, qui croient à ce que nous croyons, qui pensent de la même manière que nous, qui veulent les mêmes choses que nous. Donc c’est une des choses les plus gratifiantes dans le fait d’avoir eu le Forum social mondial à Nairobi.

Nous avons pu rencontrer des militants d’ailleurs. Maintenant, pour nous, encore une fois, à cause des restrictions aux portes et parce que nous n’avons pas pu participer et présenter clairement notre organisation, bien sûr nos possibilités ont été quelque peu limitées. Malgré tout, nous sommes des gens créatifs et, avec le peu que nous avons, je pense que nous avons touché un nombre relativement raisonnable de personnes pour faire en sorte que notre futur soit un peu plus brillant qu’avant le Forum social mondial.

Nous avons eu beaucoup de soutien. Par exemple nous avons emmené l’argent de nos déjeuners de la semaine dernière pour imprimer notre tract. Et quand nous avons commencé à le distribuer et que nous nous sommes retrouvés à court d’argent, plusieurs délégués du forum social ont été assez généreux pour imprimer notre matériel.

Nous ne voulions pas recevoir de l’argent, car nous pensons qu’en tant que peuple nous irons mieux quand nous nous serons débarrassés de la culture de recevoir des subventions. Donc nous leur avons simplement dit où ils pouvaient aller pour nous aider à imprimer le tract et ils l’ont fait selon leurs possibilités. Et nous nous sommes dit que c’était là l’apogée du socialisme : donner en fonction de ses possibilités à ceux qui en ont besoin. Et maintenant, par exemple, une jeune femme a imprimé pour nous 5 000 tracts, ceux d’hier. Vous pouvez imaginer l’incroyable camaraderie que nous avons trouvée ici…

Est-ce qu’on pense qu’on aura l’opportunité de construire des réseaux durables ? Oui nous le pensons. Je pense que jusqu’à présent les visiteurs qui sont venus à nous nous ont ouvert leur porte, et nous croyons que c’est à nous désormais d’amener ça à la prochaine étape.
Quelqu’un qui a rencontré les Kenyans dans leur vrai élément aura compris que nous sommes un peuple hospitalier et généreux qui est prêt à mettre en œuvre des changements et qu’il tentera de le faire de la manière la plus pacifiste possible. Nous avons essayé d’éviter le conflit quand c’est possible mais nous sommes aussi des gens plein d’espoir qui n’abandonnent pas facilement. C’est pourquoi nous avons résisté contre le fait d’avoir les portes fermées, tous les jours nous avons forcé les portes pour les ouvrir, pour pouvoir entrer et être avec vous, avec tous ceux qui sont ici.

Et je pense que d’une certaine manière le Forum social mondial nous a donné l’occasion de nous battre pour nous-mêmes. Parfois, quand on a des problèmes dans le monde, ce n’est pas toujours juste de regarder cela comme un mal. Parfois c’est une bonne chose, une expérience instructive et pleine d’espoir. Et je pense que pour nous ce Forum social mondial a été une expérience bonne et instructive. S’il devait avoir lieu la semaine prochaine, nous serions mieux préparés.

Après le forum social, dans les prochaines semaines et les prochains mois, quelles sont pour vous les principales campagnes à mener au Kenya et en Afrique ?

A notre petite échelle, nous aidons à donner une certaine direction à ces mouvements qui sont exclus des principaux événements du Forum social mondial ; de sorte que nous espérons que le prochain Forum social mondial donnera une place plus grande aux mouvements comme le nôtre, où qu’il se tienne. Le fait d’avoir mené ces deux actions a pu donner une idée raisonnablement bonne aux autres mouvements ce qui peut être fait avec juste un peu d’innovation, de créativité, de volontarisme et d’esprit de don, pour réintégrer et réaffirmer l’autorité des pauvres au sein du forum, de personnes qui sont révolutionnaires au sein du forum. Nous pensons que nous ferons bien mieux si les forces radicales sont autorisées à exprimer leur opinion, de sorte que nous cessions d’être une assemblée de gens qui sont toujours d’accord. Parfois il est sain d’être agréablement en désaccord

Selon vous, quelles sont les questions politiques et sociales que les militants à travers le monde doivent prendre en compte, en particulier en ce qui concerne l’Afrique ?

Pour nous au Kenya, nous sommes dans une année électorale. Nous allons aller aux élections pour la première fois après avoir eu un gouvernement de coalition qui s’est rapidement effondré et qui nous a laissés dans la nature, nous les gens qui avions voté pour eux. Donc nous avons une énorme tâche d’éduquer à nouveau les gens à propos du processus démocratique des élections. En bref pour nous en tant qu’organisation nous allons avoir un rôle très actif dans cela.
Mais notre organisation traite aussi de questions qui ont un aspect aussi bien local que global. Par exemple nous sommes très concernés par « la mode » de la guerre contre le terrorisme parce qu’elle a été un instrument pour créer de la terreur dans la vie du citoyen ordinaire. Ainsi notre organisation a contribué à faire en sorte que la loi anti-terroriste ne passe pas, parce que cette loi mettait en place une police d’Etat et nous faisait perdre tous nos droits civiques en échange d’une protection contre un terrorisme qui n’existe même pas vraiment ici. Donc nous nous inscrivons dans des causes globales.

Nous tenons également beaucoup aux questions de déséquilibre des échanges. Vous savez que nous Africains payons le prix du commerce qui est quelque chose que nous voulons traiter de manière quotidienne, même si nous sommes un mouvement de base donc limité par un manque de ressources, mais la manière innovante de traiter nos problèmes nous permet d’aller assez loin.

Nous espérons que le message que les gens qui nous ont rencontrés emporteront avec eux c’est qu’il existe un groupe de gens au Kenya avec lequel ils peuvent travailler, et que si on est inclus dans un processus nous pouvons avoir un impact, peut-être local mais grand, et c’est juste un pas en avant pour nous tous qui voulons changer le monde.

Entrevue réalisée par Kohou Mbwélili pour la revue Imprecor.


Voir en ligne : www.imprecor.org