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Le Venezuela à la recherche d’un projet contre-hégémonique

Mardi 16 août 2005

Dans un contexte global post-Mur de Berlin, caractérisé par l’absence d’alternatives claires au modèle capitaliste néolibéral hégémonique, il ne faut pas s’étonner de l’absence dans la Venezuela actuel d’un projet alternatif caractérisé, propre au pays. Les propositions concernant la sphère politique sont plus claires que celles qui se rapportent au modèle économique. Les valeurs qui orientent le processus ne suffisent pas à constituer un projet organique ou stratégique qui serait l’émanation de la volonté du pays. Dans le discours de Chávez comme candidat et au début de sa présidence, l’accent était mis sur le « populaire », le « national », « la souveraineté », « l’équité », « la démocratie participative », « la critique du capitalisme sauvage », et du « néolibéralisme » ainsi que sur le rejet d’un monde unipolaire et la priorité des relations avec les pays du Sud, en particulier ceux d’Amérique latine. Des questions restent cependant ouvertes : en quoi consisterait un projet contre-hégémonique viable dans le monde actuel ? Dans la recherche de plus grandes marges d’autonomie nationale ? Dans le retour à une politique de développement à outrance et de substitution aux importations ? Dans un modèle de développement endogène ? Dans un Etat providence ? Dans un projet anti-néolibéral à l’intérieur du capitalisme ou dans un projet anticapitaliste ?

Quand Chávez a remporté les élections et s’est installé à la présidence de la République, le gouvernement ne disposait ni d’un corps idéologique ou doctrinal systématique, ni de lignes directrices claires qui auraient pu constituer un projet pour le pays dans les principaux domaines, ni d’organisations politiques en mesure de suppléer de manière adéquate à ces carences. Dans la terminologie des distinctions classiques entre gauche et droite, le projet dans ses phases initiales était hétérogène et contenait des positionnements qu’on pouvait cataloguer comme l’expression du traditionnel nationalisme militaire de type conservateur. Les définitions initiales du projet de changement bolivarien, et la référence réaffirmée au dénommé « arbre aux trois racines » ont, avant tout, un contenu symbolique, destiné à donner un sens intégrateur et reconstructeur de l’histoire nationale et continentale, plutôt qu’à proprement parler des contenus au projet politique ou économique pour le pays. Le rôle prépondérant qu’ont joués les militaires dans l’ensemble du processus a associé à l’idée bolivarienne la notion de l’unité civico-militaire. Cette forte composante militaire, en plus du caractère unipersonnel du leadership, a motivé le rejet, par certains secteurs intellectuels vénézuéliens traditionnellement identifiés à gauche, d’un projet qu’ils ont caractérisé soit comme un populisme militaire de type ou à tendance autoritaire, soit comme un néopopulisme libéral.

Changements institutionnels

Au cours des deux premières années de gouvernement, la priorité a été donnée au changement institutionnel, au passage de la Quatrième à la Cinquième République. Le jour même de son entrée en fonction comme Président de la République en janvier 1999, Chávez annonça l’organisation d’un référendum de consultation de la population sur la convocation d’une assemblée constituante. Quelques mois plus tard il obtint une large majorité à la consultation référendaire puis à l’Assemblée constituante ce qui, ajouté au poids prépondérant de son leadership personnel, le plaça en situation d’influer fortement sur l’orientation de la nouvelle Constitution, qui était alors sujet à polémique, y compris au sein de ses propres supporters, en particulier sur la question du changement du nom de pays en République bolivarienne du Venezuela.

La convocation de l’Assemblée fut lancée avec quelques insuffisances notoires. L’exposé des motifs d’une nouvelle Constitution la formulait comme un acte symbolique de « refondation de la patrie », en remplaçant celle corrompue des quarante années écoulées par une nouvelle, la Cinquième République. Elle n’était pas l’aboutissement d’un projet politique, produit des luttes et confrontations préalables, à partir desquelles auraient été élaborées les lignes politiques centrales du pays que l’on prétendait construire. Il n’était pas clairement ressorti du débat politique précédant la convocation de l’Assemblée constituante, quels étaient les principaux problèmes du pays qui trouvaient leur origine dans la Constitution de 1961, ou dont la résolution passait par une nouvelle Constitution.

Les très hauts niveaux de popularité du gouvernement d’Hugo Chávez et le soutien quasi-général à la convocation d’une Assemblée constituante représentaient une opportunité exceptionnelle pour convertir cette constituante en un large processus participatif de réflexion et d’apprentissage commun sur les questions du pays : le pouvoir, la propriété, le marché, l’Etat, l’égalité, la justice et la démocratie. Cette opportunité s’est réduite à l’établissement d’une brève période de discussion et d’élaboration du nouveau texte constitutionnel, de six mois, ramenée à trois mois par la volonté expresse du Président. Bien qu’il y ait eu dans les médias une large diffusion du débat d’opinion, avec des transmissions en direct des discussions de l’Assemblée constituante à la radio et à la télévision, les possibilités d’organisation et de participation populaire sur le débat constituant ont été sévèrement restreintes par le rythme accéléré de sa réalisation.

En dépit de ces limitations, le contraste est significatif entre le projet du pays esquissé dans ce texte et l’orthodoxie néolibérale qui domine dans la majeure partie du continent. Ce contraste ressort autant de dispositions qui ratifient (ou approfondissent) des contenus de la Constitution antérieure, que de nouvelles dispositions. Le nouveau texte constituant garantit la liberté économique et la propriété privée en même temps qu’il définit les responsabilités claires et centrales de l’Etat dans la politique commerciale de défense des industries nationales. Il réserve à l’Etat l’activité pétrolière et lui assigne un rôle directeur dans le développement d’une agriculture soutenable et en matière de sécurité alimentaire. Les garanties édictées par le texte constitutionnel en ce qui concerne les droits économiques, sociaux, en particulier les droits à la santé, à l’éducation et à la sécurité sociale sont tout aussi significatives.

Les chapitres se rapportant aux droits humains ont repris toutes les principales propositions des organisations vénézuéliennes des droits humains et sont les suivantes :

  • Intégration dans la Constitution des traités sur les droits humains
  • Exclusion de la justice militaire (source historique d’impunité) pour juger des infractions en matière de droits humains ;
  • Imprescriptibilité des violations graves aux droits humains ;
  • Interdiction d’octroyer une grâce ou l’amnistie aux personnes ayant violé les droits humains ;
  • Obligation étatique d’enquête et de sanction des infractions aux droits humains ;
  • Reconnaissance de la légitimité de dénoncer l’Etat devant les instances internationales de protection des droits humains et obligation de l’Etat de faire exécuter les décisions de ces instances ;
  • Obligation de l’Etat de réparer les préjudices causés aux victimes de violations des droits humains ;
  • Progressivité en matière de droits sociaux ;
  • Reconnaissance des droits originaires des peuples indigènes ;
  • Création d’une Cour constitutionnelle comme juridiction suprême ;
  • Inclusion des questions fondamentales relatives aux droits humains dans les dispositions transitoires.

Les droits des populations autochtones

De la même façon, une toute aussi large couverture est attribuée aux droits des peuples et communautés indigènes :

« L’État reconnaît l’existence des peuples et communautés indigènes, leur organisation sociale, politique et économique, leurs cultures, us et coutumes, langues et religions comme leur habitat et leurs droits coutumiers, les terres ancestrales que traditionnellement ils occupent, nécessaires pour développer et garantir leur mode de vie [...] ». Article 119.

« L’exploitation des ressources naturelles sur le territoire des habitats indigènes par l’Etat se fera sans léser leur intégrité culturelle, sociale et économique, et elle est sujette préalablement à l’information et à la consultation des communautés indigènes concernées. Les bénéfices tirés de cette exploitation par les peuples indigènes sont assujettis à la Constitution et à la loi. » Article 120.

« Les peuples indigènes ont le droit de maintenir et de promouvoir leurs propres pratiques économiques basées sur la réciprocité, la solidarité et les échanges ; leurs activités productives traditionnelles, leur participation à l’économie nationale et à définir leurs priorités [...]. » Article 123.

« Les peuples indigènes ont droit à la participation politique.L’État garantit la représentation indigène à l’Assemblée nationale et dans les corps délibérants des institutions fédérales et locales ayant des populations indigènes, conformément à la loi ». Article 125.

« La langue officielle est le Castillan. Les langues indigènes sont aussi d’utilisation officielle pour les peuples indigènes et doivent être respectées dans tout le territoire de la République, afin de constituer le patrimoine culturel de la Nation et de l’humanité ». Article 9.

La politique économique

En dehors de la notoire exception de la politique pétrolière, il n’y a eu dans les premières années gouvernementales aucune proposition complète de modèle de développement ni une politique économique à la hauteur du radicalisme du discours politique.

Dans le secteur pétrolier, des réorientations fondamentales furent engagées dès le début. La politique d’augmentation de la production avait contribué significativement à l’effondrement des prix pétroliers d’ensemble, a été révisée de manière radicale. Des initiatives internationales ont été prises avec les pays exportateurs membres de l’OPEP ainsi qu’avec d’importants exportateurs non-membres de cette organisation, ce qui a eu des incidences immédiates et efficaces tant en ce qui concerne le renforcement de l’OPEP que la politique de restriction de l’offre et le redressement des prix du pétrole. Parallèlement, le processus d’ouverture pétrolière qui faisait partie de la stratégie de privatisation de la gestion de Petroleos de Venezuela, a été suspendu. Les premières mesures furent également prises pour reprendre le contrôle de la direction de la politique pétrolière et des orientations stratégiques de l’entreprise qui, au cours des années antérieures, avait acquis des niveaux croissants d’autonomie. Néanmoins, en l’absence d’un projet de réalisation global, qui servirait pour orienter de manière effective la politique économique dans différents domaines, on trouve des orientations variées, y inclus certaines qui peuvent correspondre à des propositions stratégiques divergentes.

Étant donné la profondeur de la crise économique et budgétaire, les orientations fondamentales des politiques macro-économiques sont assez orthodoxes, en donnant la priorité aux équilibres macro-économiques et au contrôle de l’inflation. Malgré le discours politique insistant sur la nécessité de réviser et de renégocier la dette extérieure, cette dernière est payée « rubis sur l’ongle ». Étant donné cette capacité de paiement, il n’y a pas eu lieu de solliciter de nouveaux prêts au FMI, évitant ainsi de nouvelles négociations avec cet organisme et les conditions et contrôles en résultant. Dans des occasions répétées le président Chávez s’est réuni avec des investisseurs étrangers, les exhortant à investir au Venezuela, leur garantissant la sécurité juridique et la stabilité politique. Les exemples les plus remarquables de décisions économiques qui expriment une continuité avec les politiques néolibérales figurent dans deux normes juridiques de la première époque gouvernementale : la Loi sur la promotion et la protection des investissements et la Loi organique des télécommunications, que les investisseurs internationaux ont cité en exemple d’ouverture et de transparence.

Un des documents dans lesquels apparaissent le plus nettement les difficultés pour formuler des directives économiques cohérentes avec les orientations politiques et sociales du processus de changement est Lineas Generales de Plan de Desarrollo Economico y Social de la Nacion 2001-2007. Dans ce document structuré autour de l’objectif d’atteindre l’équilibre dans cinq grands domaines (économique, social, politique, territorial et international), l’équilibre économique est défini comme suit :

« Dans la période 2001-2007, seront assises les bases d’un modèle productif capable de générer une croissance auto-soutenue, de promouvoir la diversification productive et d’atteindre la compétitivité internationale dans un contexte de stabilité macro-économique, ce qui facilitera une réinsertion profonde et diversifiée dans le commerce international globalisé ».

Une fois de plus l’insistance est portée sur la priorité du développement extérieur et des exportations dans le modèle qui est proposé pour le Venezuela :

« Une source additionnelle de recettes fiscales sera nécessaire, laquelle sera dérivée des nouvelles branches agricoles, industrielles et de services privés, lesquelles configureront une nouvelle économie d’exportations massives de biens et services qui, au lieu de livrer l’économie nationale à l’excessive dépendance d’exportations de produits bruts et raffinés d’origine pétrolière, augmenteront substantiellement les ressources fiscales non-pétrolières. Le soutien à la croissance économico-sociale exigera d’ajouter, au moteur du développement qui actuellement se concentre sur le produit pétrolier, de nouvelles branches de production agricole, industrielle et de services capables de générer un fort courant d’exportation sur les marchés globalisés, tout en satisfaisant les demandes essentielles du marché intérieur ».

Il n’est pas surprenant qu’à la lumière de ces politiques de nombreux analystes critiques du processus parvinrent à la conclusion que l’orientation économique était fondamentalement néolibérale. Les patrons vénézuéliens et les marchés financiers ont une autre opinion, prenant plus en compte le discours politique que les énoncés de politique économique : le risque-pays augmente, il en résulte une fuite massive de capitaux d’une ampleur historiquement inégalée. Il se produisit une sévère contraction de la formation de capital fixe dans le secteur privé, entraînant une réduction de 15% pour l’année 1999 et de 18,7% pour l’année 2002. Ces baisses ne sont pas compensées par la formation de capital fixe public qui au cours de ces deux années vont baisser encore plus, de 18% et de 26% respectivement. Durant les quatre premières années de gouvernement (1999-2002), la formation brute de capital fixe en pourcentage du produit intérieur brut baissa en moyenne de 15%, à comparer avec la moyenne de 17,5% de baisse des quatre années précédentes (1995-1998). Ces chutes de l’investissement ont contribué à celle du produit intérieur brut, de 7,4% pour l’année 1999 jusqu’à 12,6% pour l’année 2002. Le taux de chômage, qui était de 11,8% au second semestre 1998, atteignait 16,2% au second semestre 2002.

La « Loi habilitante »

Le premier fait marquant pour tenter de faire converger le discours politique et la proposition économique date du mois de novembre 2001, avec l’approbation de la Loi habilitante. De l’ensemble des 49 lois approuvées dans le cadre de la Loi habilitante ressort en premier lieu les lois dont l’objectif principal est la démocratisation de la propriété et de la production. Il y a diverses lois qui ont pour finalité le financement ou la promotion de modalités économiques alternatives aux organisations de caractère patronal. Il convient de souligner en ce sens : la recherche d’une réorientation des instruments de financement du secteur public destinés à financer le développement social ; l’aide aux petites et moyennes entreprises ; la création d’un système de micro-crédits ; le Fondo Único Social ainsi que le soutien aux formes alternatives de propriété et d’organisation de la production, comme les coopératives.

Parmi ces lois, trois d’entre elles suscitèrent de fortes polémiques et des réactions négatives de la part des milieux patronaux, et en général de l’opposition politique : la Loi sur la pêche et l’aquaculture, la Loi sur la terre et le développement agraire, et la Loi organique sur les hydrocarbures.

La Loi sur la pêche et l’aquaculture a pour intention de garantir « l’exploitation responsable et soutenable des ressources hydrobiologiques, en prenant en considération leurs aspects biologiques, technologiques, économiques, de sécurité alimentaire, sociaux, culturels, environnementaux et commerciaux appropriés ». La priorité est attribuée à la « demande du marché national » et à la protection des « installations et communautés de pêcheurs artisanaux, ainsi qu’à l’amélioration de la qualité de vie des petits pêcheurs » et à la protection des « lieux de pêche des pêcheurs artisanaux, dans les eaux continentales et à proximité de la côte maritime ». Elle définit comme "propriété de l’Etat les ressources hydrobiologiques qui se trouvent en permanence ou occasionnellement sur le territoire national et dans les zones sous la souveraineté de la République. Elle réserve en « exclusivité aux pêcheurs artisanaux traditionnels » une large gamme d’activités d’exploitation des ressources de pêche.

La Loi sur la terre et le développement agraire par ailleurs a pour objet d’établir les bases du développement rural intégral et soutenable, considéré comme le moyen fondamental pour le développement humain et la croissance économique du secteur agraire dans le cadre d’une juste distribution de la richesse et d’une planification stratégique, démocratique et participative, qui élimine la grande propriété en tant que système contraire à la justice, à l’intérêt général et à la paix sociale dans les campagnes, qui assure la biodiversité, la sécurité agro-alimentaire et la validité effective des droits à la protection de l’environnement et agro-alimentaire des générations présentes et futures.

Partant de la reconnaissance de la propriété privée elle pose des limitations qui se fondent tant sur le droit des paysans à la terre que sur l’objectif constitutionnel de la sécurité alimentaire et se fixe comme but l’élimination de la grande propriété. Est déclarée d’utilité publique et d’intérêt social, par les effets du présent décret-loi, l’élimination de la grande propriété qui est contraire à l’intérêt social dans la campagne, en conformité à l’article 307 de la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela. En ce sens, l’Institut national des terres (INTI) procédera à l’expropriation des terres privées qui seraient nécessaires à l’aménagement soutenable des terres à vocation agricole, pour assurer leur potentiel agro-alimentaire, et se trouvera subrogé dans tous les droits et obligations qui en conformité avec le présent décret-loi puissent correspondre à la République.

Les terres privées demeurent sujettes à l’accomplissement de la fonction sociale de la sécurité agro-alimentaire de la Nation. En ce sens, elles doivent soumettre leur activité aux nécessités de production de produits alimentaires en accord avec les plans de sécurité agro-alimentaire établis par l’Exécutif National.

Sur la base de ce qui était envisagé dans le texte constitutionnel, la Loi organique sur les hydrocarbures est venue préciser un ensemble de normes concernant la principale industrie du pays en définissant des orientations radicalement contraires à l’orthodoxie libérale de la majorité du continent, qui servait également de support à la politique pétrolière qui s’était imposée dans le pays sous les gouvernements précédents. De ces orientations, il en est cinq qui revêtent une importance particulière. En premier lieu, il y a la réaffirmation de la propriété de la République sur tous les gisements d’hydrocarbures :

Les gisements d’hydrocarbures existant sur le territoire national, quelle que soit leur nature, y inclus ceux qui se trouveraient sous le lit des eaux territoriales, sur la plate-forme continentale, dans la zone économique exclusive et à l’intérieur des frontières nationales, appartiennent à la République et sont des biens du domaine public, par conséquent inaliénables et imprescriptibles.

Le second aspect à souligner renvoie à un sujet qui a été extraordinairement polémique au Venezuela au cours des dernières années, à savoir la question de l’autonomie croissante qu’avait acquis Petroleos de Venezuela à l’égard de l’Etat, au point de fonctionner comme « un Etat dans l’Etat », comme une entreprise qui opérait plus dans la logique d’une transnationale énergétique, en fonction de ses intérêts corporatifs, que comme une entreprise publique de tous les Vénézuéliens. Le contrôle public sur l’entreprise s’est trouvé établi dans les termes suivants :

Il revient au ministère de l’Energie et des Mines la formulation, le contrôle et le suivi des politiques et la planification, réalisation et fiscalisation des activités en matière d’hydrocarbures, en ce inclus ce qui est relatif au développement, à la conservation, à l’exploitation et au contrôle desdites ressources ainsi que l’étude des marchés, l’analyse et la fixation des prix des hydrocarbures et de ses produits. En ce sens, le ministère de l’Energie et des Mines est l’organe national compétent pour tout ce qui est en relation avec l’administration des hydrocarbures et en conséquence il a la faculté d’inspecter les travaux et les activités inhérentes à ceux-ci, ainsi que de surveiller les opérations qui génèrent les impôts, taxes ou contributions établies par ce décret-loi, et de contrôler les comptabilités respectives.

Des volumes d’hydrocarbures extraits de tout gisement, l’Etat a droit à une participation de 30% à titre de redevance.

Confrontations

Les lois approuvées dans le cadre de la Loi habilitante, et en particulier les lois sur la pêche, la terre et les hydrocarbures furent cataloguées par le patronat et par l’opposition politique comme une atteinte à la propriété privée, et en tirèrent argument pour confirmer le caractère étatiste ou communiste du projet politique gouvernemental. Un lock-out patronal national se produisit le 10 décembre 2001 pour exiger la révision de ces lois. Les médias adoptèrent des positions de plus en plus extrêmes de dénonciation et de confrontation avec le gouvernement, assumant la part fondamentale de l’opposition à celui-ci.

Les deux plus grands moments de confrontation, qui menacèrent directement la continuité du gouvernement, furent le coup d’Etat du 11 avril 2002 et l’arrêt, principalement patronal et pétrolier, qui visait également le départ du Président. L’échec politique de ces deux tentatives de renverser Chávez eut pour conséquence des changements profonds dans les conditions politiques du pays. L’appui populaire au gouvernement se consolida, mais surtout se mobilisa et s’organisa. La menace militaire se désarticula par le limogeage des officiers putschistes des Forces armées, et une transformation en profondeur de Petroleos de Venezuela fut réalisée par le licenciement de la majeure partie des employés qui avaient participé à l’arrêt de travail putschiste.

Au cours de l’année 2003, le gouvernement, après une phase défensive pour survivre et réactiver l’industrie pétrolière, base de l’économie nationale, acquit plus de confiance et se mit à impulser des politiques de type offensif orientées à la consolidation de sa base politique et sociale, des politiques publiques concrètes, tangibles, en capacité de toucher la majorité de la population et d’influer sur ses conditions de vie.

Principaux défis

Partant de la caractérisation formulée dans ce texte, il est possible d’identifier quelques problèmes et défis à caractère général auxquels il est nécessaire de répondre afin de consolider les changements amorcés.

En premier lieu, sur le terrain productif et le modèle de développement, il y a quelques domaines dans lesquels il semble y avoir une plus grande clarté dans les objectifs et plus de cohérence dans les politiques engagées. Il s’agit de l’industrie pétrolière et autres industries essentielles, des nécessités d’investissement public dans les secteurs prioritaires de production et d’infrastructure et du large spectre de la moyenne et petite production, des coopératives et les diverses modalités de l’économie sociale. Dans chacun de ces domaines, l’Etat s’appuie sur des moyens financiers et des instruments juridiques pour définir les orientations fondamentales. Les résultats des secteurs de l’économie privée patronale sont plus problématiques. La Constitution de 1999 assume une économie capitaliste avec un poids prépondérant du secteur privé. Du fait des fortes tensions politiques existantes entre le gouvernement et la majorité du patronat, le « climat de confiance » requis pour réactiver l’investissement privé, le retour de la croissance et la création d’emplois, n’a pas été atteint. Le gouvernement a impulsé des programmes de substitution aux importations, de protection de l’industrie nationale et de développement de cette dernière grâce à des programmes systématiques d’achats gouvernementaux avec des réactions peu favorables du côté du secteur patronal. Il s’agit d’obstacles structurels qui vont bien au-delà de facteurs politiques conjoncturels. Quelles pourraient être les caractéristiques d’un modèle de développement capitaliste plus endogène, plus équitable et démocratique, en capacité de générer de l’emploi de qualité et soutenable écologiquement en l’absence d’un patronat national, d’une bourgeoisie nationale ? Est-ce une possibilité réaliste dans les conditions actuelles d’une économie largement globalisée ? Quel rôle peut jouer ici ce qu’on appelle l’économie sociale ? Le revenu pétrolier entre les mains de l’Etat a permis d’une certaine manière de reporter ce débat urgent, mais le risque principal de ne pas réussir les investissements productifs dans d’autres secteurs de l’économie serait la réaffirmation à long terme du caractère monoproducteur et rentier de l’économie vénézuélienne, avec ses lourds coûts environnementaux.

Une condition indispensable pour le succès du processus de changement est la transformation de l’Etat et le renforcement de sa capacité de régulation et de gestion.L’État vénézuélien, malgré les tentatives successives de réforme, et parfois en conséquence de celles-ci, a souffert d’un processus prolongé de détérioration institutionnelle depuis des lustres. Dans certains secteurs, il s’est approfondi avec l’actuel gouvernement du fait de la résistance aux nouvelles orientations de la politique publique des employés publics organisés en syndicats politiquement d’opposition. Le style très personnel de prise de décisions et d’attribution de ressources, qui échappe fréquemment aux structures et procédures administratives formelles, ne contribue pas à l’institutionnalisation de la capacité de gestion publique.

Il faut associer à cela les relations entre le gouvernement central et les gouvernements régionaux et municipaux. Etre conséquent avec l’élargissement et l’approfondissement de la démocratie, avec le progrès de la participation dans tous les domaines de la vie collective, et avec le contrôle ou processus de contrôle social de la gestion publique, nécessiterait de plus importants niveaux de décentralisation de celui-ci. Cependant, étant donné les relations tendues existant entre le gouvernement central et les gouverneurs et maires de l’opposition, il y a eu des chocs permanents qui se sont transformés en obstacles graves et répétés dans la gestion coordonnée des politiques publiques. Le cas le plus remarquable en ce sens a été l’expérience négative dans les politiques de santé.

Un autre sujet problématique est celui de la corruption, phénomène qui en général est considéré comme étendu, mais dont les dimensions sont difficiles à estimer. Les raisons pour lesquelles il y a corruption aujourd’hui dans l’administration publique sont nombreuses. Il suffit de voir dans les dernières périodes, avec la « naturalisaton » ou l’institutionnalisation de la corruption publique, avec l’improvisation dans laquelle ont été impulsés divers programmes, la faiblesse dans la construction de la capacité institutionnelle de l’Etat - qui complique le suivi de l’exécution budgétaire - ainsi qu’avec la méfiance du gouvernement en relation aux accusations de corruption, considérées dans la majeure partie des cas comme de la propagande oppositionnelle.L’absence d’un pouvoir de contrôle suffisamment autonome est notoire ainsi que la faiblesse et la légitimité limitée du pouvoir judiciaire. Il est probable que joue aussi le calcul politique à court terme qui conduit à chercher à conserver des appuis, ou pour le moins à éviter des ruptures publiques avec des fonctionnaires dont les pratiques illicites ont été découvertes. Bien que le thème de la corruption ait été dans le discours électoral de Chávez l’axe de délimitation fondamentale entre l’ancien Venezuela de la Quatrième République et le nouveau Venezuela qu’il fallait construire, le combat contre la corruption est passé au second plan dans les priorités gouvernementales et il n’y pas eu de développements politiques, de normes ni d’actions systématiques destinées à l’éradiquer. La légitimité du gouvernement dépend dans une bonne mesure de la formulation de politiques publiques effectives destinées à la réduction de la corruption.

En dernier lieu, le projet de changement a besoin de processus d’institutionnalisation organisationnelle, tant sociales que politiques. En l’absence d’instances collectives de débat, de confrontations d’idées et d’élaboration de politiques, c’est le leadership unipersonnel qui se renforce. Il semble que nous soyons entrés dans un cercle vicieux dans lequel, pour éviter des confrontations internes et de possibles divisions, plutôt que de générer des mécanismes de traitement institutionnel et démocratique des différences, se réaffirme le leadership unipersonnel du président. L’absence de médiations organisées entre le leader et les secteurs populaires, revendiquées par beaucoup comme une vertu, constitue une importante source de vulnérabilité de tout le processus.