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Le Cachemire depuis le tremblement de terre

Lundi 5 juin 2006, par Pierre ROUSSET

A quelque 2000 mètres d’altitude, en ce début de printemps, l’atmosphère est paisible et la population hospitalière. Aucune tension n’est de prime abord perceptible. Pourtant, l’horizon est barré par les crêtes neigeuses qui séparent les armées indiennes et pakistanaises, sur pied de guerre depuis près de soixante ans. Quant aux effets du terrible tremblement de terre d’octobre 2005 (73.000 morts, 3.5 millions de sans-abri), ils sont loin d’être surmonté. Quel souvenir de l’épreuve ? « La terreur » répond instantanément une femme dont la maison a été détruite. Sur ce flanc de montagne, à l’habitat dispersé, les destructions sont dissimulées par la végétation et l’éloignement des routes. Cinq mois après le séisme, elles défigurent toujours la ville de Bag, en contrebas dans la vallée. Le Cachemire est un pays divisé, occupé et traumatisé.

C’est dans le district de Paniola - 70.000 habitants répartis sur une vaste zone - que la Campagne de secours populaire (Labour Relief Campaign) a concentré ses efforts. La solidarité est d’abord venue du Pakistan avant d’être relayé sur le plan international, notamment par l’association, Europe solidaire sans frontières (ESSF) qui, au total, a remis 16.500 euros à ses partenaires locaux. [1] Après avoir acheminé vingt-trois camions d’aide en urgence et envoyé une équipe médicale féminine, la Campagne de secours populaire a assuré la reconstruction en dure de cent logements familiaux. Il s’agit de cinquante maisons de conception traditionnelle (une grande pièce unique) et de cinquante petites habitations moins coûteuses (elles ressemblent à de minichalets).

Les critères d’attribution de l’aide ont été très stricts : priorités aux familles sans revenus, dont la maison avait été entièrement détruite, ou aux femmes seules... Je suis hébergé dans la demeure familiale d’un dirigeant du Parti du travail pakistanais (LPP), dont une aile est condamnée, lézardée à la suite du tremblement de terre. Mais comme elle ne répond pas aux critères préférentiels, cette famille n’a reçu aucun financement du secours populaire. La population apprécie que ceux qui organisent l’acheminement de l’aide n’en bénéficie pas, au profit de plus démunis !

Accroché à l’Himalaya, le Cachemire n’est pas pour autant un pays « arriéré ». Le taux d’alphabétisation (76 % me dit-on) est bien plus élevé qu’il n’est souvent le cas au Pakistan ou en Inde. Pas de fanatisme religieux en cette terre musulmane, au moins là où je me trouve, et les femmes (qui portent généralement mais pas toujours le châle) ne sont pas cloîtrées, n’en déplaisent à bien des clichés. C’est la question nationale (l’unité et l’indépendance du pays) qui a marqué l’histoire politique de cette région, plus que les divisions intercommunautaires. L’accueil est chaleureux, accompagné de moult tasses de thé. Mais l’économie est sous perfusion : l’émigration est la principale source de revenu. Les familles que je rencontre élèvent du bétail ou des volailles, font pousser du blé, tiennent un petit commerce. Le pays, dépendant de l’administration et de l’armée pakistanaises, reste sous tutelle.

L’armée, précisément, contrôle la distribution de l’aide gouvernementale. Que ce soit à Paniola ou à Bag, dans la vallée, nombreux sont ceux qui s’en plaignent. Les indemnisations sont jugées très tardives et tout à fait inadéquates. La province de la Frontière Nord-Ouest (NWFP) a été favorisé par rapport au Cachemire, me dit-on. Les secours étant distribués par foyers, certains sont comme invisibles. C’est le cas d’un « travailleur sanitaire » (éboueur...), sans domicile officiel : ce secteur d’activité jugé « impur » est accompli par l’équivalent des « hors castes » indiens, souvent christianisés. Cette fois encore, la répartition de l’aide épouse les structures inégalitaires de la société : clientèles politiques, structures de classes, hiérarchies de castes...

Les Cubains ont offert un contre-exemple frappant de la façon dont l’aide, même officielle, pouvait être conçue. Ils ont déployé un très important personnel dans les zones sinistrées, dont 1.200 docteurs (pour moitié femmes, pour moitié hommes). L’un de leurs nombreux hôpitaux était situé quelques kilomètres du centre de Paniola. Un équipement moderne dans un campement de toile : une tente par activité médicale, d’autres tentes pour le logement du personnel. Une structure très légère et très peu coûteuse, mais très efficace, à la mise en œuvre rapide, et proche de la population.

Au-delà de l’urgence, le campement cubain est devenu un véritable centre de soins populaire, incarnant aux yeux de la population ce que pouvait être un système de santé publique. Une révélation ! Le jour où j’ai visité cet hôpital de campagne, les Cubains rentraient au pays. L’armée pakistanaise était déjà sur place pour en prendre possession. Les habitants, par contre, se mobilisaient pour qu’il reste ouvert, sous contrôle civil. Par-delà les traumatismes, le tremblement de terre a été une leçon de chose politique. De cela aussi il devrait rester des traces.