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NIGER

La société civile sur le pied de guerre

Samedi 24 mai 2008, par Abba Hassane

Le 5 mai dernier, dans un contexte de vie chère et de crise alimentaire annoncée, les parlementaires nigériens ont choisi de s’offrir de fortes indemnités pour eux-mêmes, leurs femmes et leurs enfants. L’article 29 de la proposition de loi portant statut du député dispose « qu’une indemnité de première mise correspondant à 60 jours d’indemnités parlementaire est accordée à chaque député au début de la législature ». L’article 29 poursuit « qu’une indemnité équivalent au double de l’indemnité de première mise lui est accordée en fin de la législature normale. Cette indemnité est égale à trois (3) fois l’indemnité de la première mise en cas de dissolution de l’Assemblée nationale ».

Cette proposition de loi prévoit d’autres avantages aux membres de la Haute Cour de Justice, aux présidents des groupes parlementaires, aux présidents, aux vice-présidents des commissions …

Soucieuse de “gâter “davantage les parlementaires, la loi décide que même lorsqu’ils sont hors session, les députés convoqués en réunion de travail, soient traités comme s’ils étaient en session du point de vue des avantages qu’ils reçoivent.

Généreuse, elle prolonge les avantages y compris dans les familles des parlementaires. En effet l’article 32 stipule que « l’Assemblée nationale prend en charge les soins médicaux du député, de ses conjoints (es), de ses enfants mineurs. La prise en charge s’étend à ses enfants étudiants jusqu’à l’âge de vingt cinq (25) ans ». Cette proposition de loi a été votée à l’unanimité par les 96 députés présents à l’hémicycle au moment du vote.

Ces avantages viennent renforcer d’autres, déjà exorbitants, au vu du contexte de ce pays, un des derniers de la planète du point de vue de l’Indice du Développement Humain et où 63% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Avec des revenus d’environ 1,4 millions CFA par mois et par député, les parlementaires coûtent chaque mois au contribuable nigérien l’équivalent d’environ une fois et demi le budget du ministère de lutte contre la vie chère. Et cela, en dehors des primes de responsabilité et des 235 millions de fonds spéciaux accordés au patron de l’institution. Ils sont donc à l’abri de la faim et de la malnutrition qui est le quotidien de beaucoup de nigériens ; c’est peut-être une raison suffisante pour qu’ils ne parlent pas le même langage avec les électeurs.

Avantages budgétivores !

Un examen rapide du budget de l’Assemblée nationale ces cinq dernières années montre que les indemnités et autres avantages cumulés, la prise en charge des députés pèse lourd. Ces avantages cumulés et qu’on retrouve dans la loi des finances sous la rubrique « avantages des parlementaires » est déjà le poste le plus budgétivore du parlement. Il a connu une véritable ascension comparée aux autres postes de dépenses du parlement. Ces « avantages » sont passés de 33% du budget du parlement en 2003 à 39% en 2007. En terme d’argent, il a presque doublé passant de 1,3 milliards CFA en 2003 à 2,5 milliards CFA en 2007. On pouvait penser que le passage de 83 députés à 113 entre la première et la deuxième législature de la 5ème République pouvait expliquer cette progression. Mais il n’en est rien. En fait la ligne « avantages de parlementaires » n’a cessé de s’engraisser au fil du temps puisque chaque année il gagne au moins deux cent millions CFA de plus : 1,7 Milliard en 2004 ; 2 milliards en 2005 ; 2,3 milliards en 2006 ; 2,5 milliards en 2007. Sur la période, son taux de croissance est de 82% contre 57% pour le budget du parlement. Il faut préciser que l’année 2008 constitue une exception dans cette progression puisque le poste « avantages des parlementaires » n’a capté qu’une vingtaine de millions par rapport à ce qu’il était en 2007. Cette exception est peut-être dû au fait que par « un compromis dynamique entre le gouvernement et l’Assemblée nationale » une somme de 370 millions CFA que le Parlement s’est fait allouer pour acheter des véhicules ne figurera pas dans le budget du Parlement mais dans un autre budget. Nous empruntons l’expression « compromis dynamique » à la Commission des finances du Parlement. A cette allure, et au vu de la dernière proposition de loi, il est à craindre que le budget de l’Assemblée ne se limite pour l’essentiel aux « avantages des parlementaires » dans les années à venir. Toujours est-il que pour l’instant les parlementaires ont demandé au contribuable plus d’argent pour leurs « avantages » que pour mieux accomplir leur mission. Puisque contrairement « aux avantages des parlementaires », les autres postes de dépenses sont restés presque stables. Le budget alloué aux fournitures de bureau par exemple est resté autour de 6% du budget du Parlement. Les frais de transport et de mission restent bloqués autour de 9%. Même les fameux fonds spéciaux qui ont tant défrayé la chronique sont restés stables.

Tandja à la rescousse …

Le Parlement a laissé entrevoir ces derniers temps une volonté d’émancipation vis-à-vis de l’exécutif. Les nombreuses interpellations des membres du gouvernement, les commissions d’enquête parlementaires, ses prises de position « courageuses » au sujet de la gestion de la rébellion avaient laissé croire que l’institution était décidé à jouer son rôle alors que dans un passé récent elle était assimilée à une chambre d’enregistrement de l’exécutif. Aussi ces deux dernières années, elle semble rompre avec les dépassements budgétaires dont elle était une des championnes. De ce fait, elle était sur la voie de conquérir une certaine crédibilité. Il est à craindre qu’à force de vouloir trop se sucrer dans un contexte de rareté de ressources, qu’elle soulève des vagues de protestation qui lui seront préjudiciables au moment où de nouvelles élections se pointent à l’horizon. Les réactions de certains parlementaires qui tentent de diaboliser un aspect de cette proposition de loi, notamment la disposition relative aux avantages des anciens Présidents du parlement, ne change rien au fait que les parlementaires agissent comme un syndicat quand il s’agit de leurs intérêts. On comprendrait ces réactions si certains se seraient abstenus ou auraient voté contre la proposition de loi portant statut du député.

Mise devant le fait accompli, la société civile crie au scandale et se tourne vers le Président de la République à qui elle demande de ne pas promulguer cette loi. Elle annonce des jours chauds pour se faire entendre. En 2005 elle n’a pas obtenu gain de cause en demandant à Tandja de ne pas promulguer la très contestée loi des finances rectificatives 2005. Aujourd’hui le contexte n’est plus le même. Tandja peut rejeter cette proposition de loi pour se rapprocher davantage de l’opinion ; cela peut lui être utile s’il veut laisser une bonne image au nigérien puisqu’il est censé terminer son deuxième et dernier mandat en 2009. Il peut également refuser de promulguer cette proposition de loi si par hasard il caresse l’intention de s’offrir un troisième mandat ; ce faisant, il pourra dire aux electeurs au moment opportun, qu’il a choisi d’être à leurs côtés et non du côté de ceux qui veuleent se sucrer à leurs dos. Au delà du Parlement, il y’a lieu de regarder ailleurs aussi ; car contraint de se justifier devant le tollé soulevé par leur décision, les parlementaires ont tenu un point de presse le 14 mai dernier pour dire en substance que ce qu’ils ont fait n’était pas pire que les avantages offerts aux membres du gouvernement. Comme quoi, c’est à tout un système de prédation que la société civile doit s’attaquer…


Voir en ligne : www.alternative.ne