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PALESTINE

La situation s’aggrave

Le témoignage de la députée britannique Clare Short

Mardi 18 septembre 2007, par Clare Short

Allocution prononcée à l’occasion du débat consacré
au processus de paix au Moyen-Orient, Palais de Westminster, Chambre des communes

J’ai proposé la tenue de ce débat à la suite d’une visite que j’ai faite récemment dans le territoire palestinien occupé, en compagnie d’une délégation assemblée par War on Want. La délégation se composait de membres du personnel de War on Want, de Rodney Bickerstaffe, ancien Secrétaire général d’Unison, et de moi-même. Je suis particulièrement reconnaissante d’avoir la possibilité d’exposer nos constatations et j’espère que Monsieur le Ministre les prendra en considération.

J’ai eu l’occasion de me rendre en Cisjordanie et à Gaza à plusieurs reprises à la fin des années 80 et au début des années 90, à l’époque de la première Intifada. Ce soulèvement palestinien était fondé sur la désobéissance pacifique et, au pire, l’on a vu des enfants jeter des pierres aux soldats. Malgré les blessures infligées aux enfants par l’armée israélienne, l’Intifada était porteuse d’espoir et a débouché sur la négociation de l’accord de paix d’Oslo et le retour de Yasser Arafat en Palestine. J’ai cru à l’époque à la possibilité d’une paix reposant sur deux États, Israël et la Palestine, à la création d’un État palestinien délimité par les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale et à un règlement négocié du droit des Palestiniens de retourner chez eux. Il s’agit là des trois composantes fondamentales d’une paix négociée. J’ai vraiment cru à cette possibilité, mais la paix semble désormais hors d’atteinte. Si nous ne changeons pas de politique, je crains que nous ne devions nous préparer à un bain de sang et à un conflit susceptibles de durer des années, voire des dizaines d’années.

Je suis de près l’évolution de la situation au Moyen-Orient depuis de nombreuses années et je savais avant ma dernière visite que le peuple palestinien vivait des moments particulièrement difficiles. Mais j’ai été atterrée par la politique d’annexion flagrante, brutale et systématique menée par Israël, la démolition de maisons palestiniennes et la création délibérée d’un régime d’apartheid dans lequel les Palestiniens sont confinés dans quatre bantoustans, cernés par un mur parsemé de points de contrôle sous haute surveillance qui permettent de contrôler les déplacements des Palestiniens à la sortie et à l’entrée des ghettos.

Manifestement, les Israéliens tentent de s’emparer systématiquement de superficies aussi étendues que possible et d’évincer autant de Palestiniens que possible. En l’état actuel des choses, Israël a accaparé 85 % de la Palestine historique, reléguant les Palestiniens sur les 15 % du territoire restant. Pire encore, la communauté internationale, et en son sein le Royaume-Uni et l’Union européenne, ne font rien pour exiger d’Israël qu’il respecte le droit international, malgré le soutien en faveur des droits de l’homme et du droit international proclamé par l’Europe.

Durant sa visite, la délégation a passé une journée avec des membres du Bureau de la coordination des affaires humanitaires, organe des Nations Unies chargé des urgences humanitaires. Ils nous ont expliqué comment le mur, les bouclages, les colonies de peuplement et le réseau routier réservé aux colons asphyxiaient les Palestiniens. Le Bureau a publié une carte dans le Financial Times à l’occasion du quarantième anniversaire de l’occupation, carte qui est aisément consultable.

La délégation a passé le deuxième jour de sa visite avec l’Israeli Committee Against House Demolitions (ICAHD – Comité israélien contre les destructions de logements), pour qui j’ai la plus grande admiration. Le Comité nous a fait visiter Jérusalem-Est et nous a montré comment la combinaison de colonies de peuplement officielles et sauvages et les destructions systématiques des logements palestiniens prenaient la ville en étau, isolaient la population palestinienne, la forçaient à quitter ses foyers et aboutissaient à un nettoyage ethnique. Nous avons assisté à la démolition d’une maison alors que nous étions en compagnie du Comité. Un énorme engin frappé du logo « Volvo » sur un côté a rasé une maison de bonne taille bâtie par une famille palestinienne sur un terrain lui appartenant, et sur un territoire dévolu aux Palestiniens par le droit international mais qui est officiellement un territoire occupé.

Nous avons vu des parentes des occupants de la maison pleurer sans bruit sur le bord de la route. Un peu plus tard, un jeune homme a tenté de s’opposer à la destruction de la maison familiale en se jetant sur les soldats qui surveillaient les opérations de démolition, mais il a été maîtrisé par ses amis. Le représentant du Comité, un jeune Israélien, a dit que la démolition était manifestement un crime de guerre. De fait, selon la Convention de Genève, une puissance occupante n’a pas le droit d’imposer de nouvelles lois ni de coloniser un territoire occupé. Les démolitions se produisent parce que les Palestiniens n’ont pas de permis de construire, même sur leurs propres terres, et parce qu’Israël n’a pas le droit d’instituer un système par lequel il délivrerait des permis de construire. Israël n’accorde jamais de permis, que ce soit pour construire une maison ou une fois qu’une maison a été construite. Lorsqu’une famille palestinienne s’agrandit, il lui faut trouver un endroit où vivre, mais Israël ne lui donnera jamais de permis parce que son seul désir est de chasser les Palestiniens de Jérusalem-Est.

D’après le Comité, depuis 1967, Israël a détruit 18 000 maisons palestiniennes selon les modalités que je viens de décrire. Chaque démolition constitue un crime de guerre. Le pire, c’est que rien n’est fait pour contraindre Israël à adhérer au droit international.

Un peu plus tard, la délégation s’est rendue auprès d’une famille dont la maison a été reconstruite par des Israéliens et des Palestiniens, tous bénévoles de l’ICAHD. Le Comité est déterminé à organiser des actes pacifiques de désobéissance civile afin de faire respecter le droit international. La famille a dit à quel point elle était reconnaissante d’avoir de nouveau un toit. Un Palestinien travaillant pour le Comité a expliqué que sa maison avait été démolie quatre fois. Il a ajouté que la plupart des maisons palestiniennes à Jérusalem étaient sous le coup d’un permis de démolir et que tout le monde vivait dans la crainte et l’insécurité, redoutant de ne retrouver que des décombres. Il a dit que lorsque les Israéliens s’apprêtaient à raser une maison, ils ne laissaient qu’un quart d’heure aux familles pour rassembler les leurs et emporter leurs biens.

En général, les Palestiniens refusent d’obtempérer et, ainsi que l’employé du Comité nous l’a expliqué, les équipes de démolition utilisent alors des gaz lacrymogènes. Il m’a dit qu’il avait vu ses biens jetés à même le sol, sa femme s’évanouir et ses enfants en larmes et qu’il avait éprouvé un sentiment d’impuissance parce qu’il n’avait pas pu protéger sa famille, sous son propre toit. Trois pensées s’étaient succédées dans son esprit. Mû par la haine et la colère, il avait d’abord songé à se procurer un gilet d’explosifs et à se suicider, emportant d’autres vies avec lui. Il avait ensuite pensé à quitter Jérusalem et la Palestine, incapable de résister à la pression pesant sur lui et sa famille, mais il s’était rendu compte que cela équivaudrait à participer au nettoyage ethnique. Il avait enfin résolu de travailler pour l’ICAHD et de participer à des actes pacifiques de désobéissance civile en reconstruisant les maisons démolies. Cette décision lui avait permis de ne pas sombrer dans la folie.

Je crois comprendre que l’ICAHD s’est engagé à reconstruire toutes les maisons démolies en cette quarantième année d’occupation et que, fait particulièrement poignant, c’est un survivant de l’holocauste, un Américain, qui finance les travaux. J’espère que toutes les personnes de bonne volonté soutiendront le Comité sur les plans financier et politique. Il est important de noter que le Comité rassemble des Israéliens et des Palestiniens et offre une lueur d’espoir dans une situation ô combien désespérée.

La délégation a passé la troisième journée de son séjour avec des représentants de Grassroots Palestinian Anti-Apartheid Wall Campaign (campagne du peuple palestinien contre le mur de l’apartheid), partenaire de War on Want en Palestine. Ils nous ont expliqué comment le bouclage du territoire occupé avait détruit l’économie palestinienne, fait souligné depuis dans un rapport de la Banque mondiale, et également comment de plus en plus de Palestiniens étaient contraints de travailler pour des colonies de peuplement israéliennes afin de produire des denrées agricoles et autres biens exportés pour la plupart dans les pays de l’Union européenne, avec laquelle Israël a conclu des accords commerciaux qui lui garantissent un traitement préférentiel. Le fait que des colonies de peuplement illégales exploitent la main-d’œuvre palestinienne constitue un autre élément du régime d’apartheid dont l’Union européenne et le Royaume-Uni sont devenus complices.

La délégation s’est ensuite rendue dans la vallée du Jourdain en compagnie d’un représentant de la campagne. La situation y est véritablement effroyable. Israël a confisqué tous les terrains fertiles à proximité du fleuve, prétendument pour des raisons de sécurité en application des accords de paix d’Oslo. On trouve ici et là des colonies de peuplement sur les terres restantes, fortes parfois d’une seule personne, mais à cause de leur présence, des familles palestiniennes ont été contraintes au départ pour des raisons de sécurité. Les colons ont installé des serres en plastique sur des hectares à la ronde, les positionnant de façon stratégique au-dessus des sources d’eau. Ils y cultivent des herbes aromatiques biologiques et des fruits et légumes destinés aux marchés européens. Or nous avons constaté le jour de notre visite que le village voisin, un village palestinien extrêmement pauvre, était privé d’eau. Pas une goutte ne coulait du seul robinet équipant le village, obligeant les habitants à acheter des seaux d’eau aux colons.

Nous avons rendu visite à des exploitants agricoles dont les familles, installées depuis des générations dans la vallée du Jourdain, tiraient leur subsistance de quelques cultures, de l’élevage de moutons et de chèvres et de la fabrication de fromages. Ils sont victimes de menaces et ballotés d’un endroit à un autre, au gré de l’implantation de nouvelles colonies de peuplement composées de quelques personnes, voire d’une seule, contraints par l’armée à se déplacer pour des raisons de sécurité. Nous nous sommes arrêtés pour parler aux membres d’une autre famille, installés en bordure de route. La maison qu’ils avaient achetée pour leur fils et sa famille sur leurs propres terres a été rasée et leur récolte d’aubergines pourrissait en tas devant chez eux parce qu’ils ne pouvaient pas se rendre au marché.

La vallée du Jourdain connaît une pauvreté et des violations des droits de l’homme effroyables. J’en appelle au Ministre, au Ministère du développement international et à toutes les organisations humanitaires et organisations non gouvernementales pour qu’ils se mobilisent en faveur de la vallée du Jourdain. La situation est désespérée alors que l’on pourrait tant faire pour alléger rapidement les souffrances.

Ma conclusion est pessimiste et la perspective d’une solution fondée sur deux États s’estompe dans le lointain. À la place, nous voyons s’installer un nouveau régime d’apartheid dans lequel les Palestiniens sont brutalement relégués dans des ghettos et utilisés comme main-d’œuvre à bas prix par les colons. La prise de contrôle de la bande de Gaza par le Hamas n’est pas la cause du problème mais bien une conséquence de celui-ci. Le refus du Royaume-Uni et de l’Union européenne de venir en aide à l’Autorité palestinienne après la victoire du Hamas aux élections a contribué à créer la situation actuelle. Il était inéluctable que le Hamas prenne le contrôle de la bande de Gaza lorsque les États-Unis et les forces israéliennes ont armé le Fatah afin qu’il lutte contre le Hamas. Il semble désormais que l’on veuille offrir des incitations financières et autres au Président Abbas pour qu’il accepte de faire de ces ghettos monstrueux l’État palestinien tant promis. Ainsi que l’a déclaré Uri Avnery, ce grand militant israélien au service de la paix, on veut faire du Président Abbas un collaborateur de la puissance occupante, mais cela n’ouvrira pas la voie à la paix.

En conclusion, la situation dans les territoires palestiniens est tragique et profondément décourageante, et force est de constater que le Gouvernement britannique et l’Union européenne sont complices de l’oppression et d’un nouveau régime d’apartheid. Israël bénéficie notamment d’un accès privilégié aux marchés européens dans le cadre d’un traité commercial, qui comme tous les accords commerciaux de l’Union européenne, prévoit des dispositions relatives au respect des droits de l’homme. J’espère que Monsieur le Ministre nous expliquera pourquoi ces dispositions ne sont pas invoquées pour insister sur la nécessité pour Israël d’adhérer au droit international. Il s’agit là d’un argument de poids qui, s’il était utilisé, pourrait faire craindre à Israël de perdre ses débouchés européens. Je souhaiterais que nous en fassions usage pour le plus grand bénéfice de tous.

Je ne redoute rien tant que de nouvelles effusions de sang, de nouvelles souffrances et la poursuite de la déstabilisation au Moyen-Orient. La situation en Iraq, au Liban et dans les territoires palestiniens attise la colère du monde musulman et en incite plus d’un à se tourner vers l’idéologie terrifiante d’Oussama ben Laden et de ses partisans.

Il est dans l’intérêt du peuple israélien, des Palestiniens et plus largement du Moyen-Orient de voir s’imposer la solution de deux États afin de mettre un terme au conflit israélo-palestinien, mais Israël est en train de gâcher cette chance parce qu’il est résolu à repousser ses frontières au mépris du droit international. Le Royaume-Uni et l’Union européenne se prêtent malheureusement au jeu, et les conséquences de ces décisions provoquent des souffrances terribles et mettent l’avenir en péril.

J’espère sincèrement que notre nouveau Premier Ministre reviendra sur cette politique et que les partis d’opposition changeront eux aussi d’avis et feront pression pour éviter la catastrophe et veiller à ce que le Royaume-Uni place l’instauration d’une paix équitable et le respect du droit international par Israël au centre de sa politique.

Clare Short, Membre du Parlement