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LIBAN

La peur de la fracture

Lundi 18 décembre 2006, par BUSSARD Stéphane

Aux alentours de la mosquée du quartier musulman d’Aïcha Bakkar, à Beyrouth, tout le monde connaît le docteur el-Hoss. Dans un vieil immeuble décrépit gardé par un agent de sécurité, Salim el-Hoss a son bureau. Sur la bibliothèque, il apparaît sur des photos aux côtés de Yasser Arafat, Jean Paul II ou encore un ami, Hassan Nasrallah, leader du Hezbollah. A 77 ans, cet homme porte en lui une bonne partie de l’histoire du Liban. Il en a été cinq fois premier ministre. Notamment au début de la guerre civile, en 1976.

Bien que retiré du pouvoir, le docteur el-Hoss continue d’influer sur la scène politique libanaise en ébullition depuis quelques semaines. Sunnite pro-syrien et féroce adversaire du défunt Rafic Hariri, Salim el-Hoss pense qu’au Liban, il y a beaucoup de liberté, mais peu de démocratie. « Dans les vraies démocraties, il n’y a pas constamment des crises nationales. Les institutions sont à même de résoudre les problèmes quotidiens. »

Et l’ex-premier ministre de rappeler, dans un excellent anglais, l’année sanglante de 1958 marquée par de fortes tensions interreligieuses, la guerre civile entre chrétiens et musulmans qui a déchiré le pays entre 1975 et 1990, les multiples assassinats politiques. Critique du gouvernement en place de Fouad Siniora, jugé trop pro-occidental, Salim el-Hoss parle volontiers de corruption, d’électeurs achetés par l’argent. « Le vote des électeurs est devenu une marchandise », s’insurge-t-il. L’allusion au milliardaire Hariri est à peine voilée.

Perché au 9e étage d’un immeuble surplombant la vieille ville, l’intellectuel libanais et ex-ministre des Finances Georges Corm partage la vision du docteur el-Hoss. Il ajoute encore du vitriol dans sa critique du pouvoir actuel et du camp du 14 mars issu de la Révolution du Cèdre provoquée en 2005 par l’assassinat du premier ministre Rafic Hariri. « Le Liban doit se débarrasser des réseaux de corruption. Sous Hariri, le Liban a été un lupanar pour riches Arabes du Golfe. »

Mais Rafic Hariri avait aussi ses partisans, qui voient en lui l’un des grands artisans de la reconstruction de Beyrouth. Diatribes d’un côté, invectives de l’autre. Le problème, c’est qu’au Liban, personne ne doit jamais rendre des comptes. Une preuve ? Le gouvernement n’est jamais tombé dans l’histoire du pays, à la suite d’une motion de confiance du parlement. Tout le monde finit par se rabibocher.

- La révolte des jeunes contre les caciques de la politique

Sur le campus des sciences médicales de l’Université de Saint-Joseph, une musique arabe anime la pause de midi. Devant le bâtiment principal sont érigés plusieurs panneaux sur lesquels sont épinglées des photos de Pierre Gemayel. A côté, des textes écrits en arabe traduisent la douleur intériorisée qu’a suscitée son assassinat : « Le martyr des jeunes et du pays », « la mort du corps n’élimine pas l’âme libre » ou encore « le Liban est trop petit pour être divisé, trop grand pour être avalé ».
L’Université jouxte la rue de Damas, qui faisait office, jusqu’en 1990, de ligne (verte) de démarcation entre chrétiens et musulmans pendant la guerre civile. Aujourd’hui, les barricades ont été levées, mais des chars sont là pour prévoir l’imprévisible. Sur le campus, les repères explosent. Dans cette alma mater chrétienne, Fatima, 21 ans, porte le voile, mais aussi de belles Puma rouges. Elle est chiite du Sud-Liban. Pour elle qui a perdu un membre de sa famille et trois amis dans la guerre de juillet entre le Hezbollah et Israël, le récent conflit a changé la donne : « Avant, tout le monde était contre nous. Maintenant, les Libanais sont réunis. » Du moins sur le campus.

Les étudiants n’ont plus confiance dans la classe
politique. « J’en ai marre du Liban. Les politiciens n’ont aucun objectif commun pour le pays. Pourtant, le Liban ne peut pas être divisé, il a une identité arabe », insiste Antonio Frangié, chrétien du Nord. Ghayas Issa estime qu’on lui a « volé son 14 mars ». Le camp anti-syrien n’a pas tenu ses promesses et n’a pas respecté la règle du consensus confessionnel.

« Quand j’avais 16 ans, je protestais contre la Syrie. Aujourd’hui, le gouvernement nous accuse d’agir contre lui, déplore Ghayas qui fera mine de ne pas indiquer sa confession. « Le christianisme n’est pas une identité, dit-il. C’est comme se revendiquer du passé des Phéniciens. C’est absurde. Une chose est sûre : nous avons une classe politique merdique. Après ma licence, je partirai à l’étranger, quitte à revenir un jour. »

- La douloureuse fatalité de l’émigration

Les vieux sages de la scène politique libanaise semblent s’accommoder tant bien que mal de l’imbroglio qui caractérise depuis des décennies le Pays du Cèdre. Chez les jeunes Libanais, en revanche, c’est un sentiment de ras-le-bol qui domine. Difficile en effet de trouver dans ce climat d’insécurité endémique l’envie de rester au pays. Il est un phénomène qui ne trompe pas. Depuis trois à quatre ans, chez les jeunes, l’anglais a supplanté le français comme deuxième langue après l’arabe. Bien formés, dotés de bonnes compétences linguistiques, les jeunes Libanais ont un curriculum qui séduit les multinationales.
« Ce sont les jeunes les plus mondialisés, ils ont un pied dans l’Occident, un pied dans l’Orient », s’enthousiasme un bon connaisseur du pays. Mais ils résistent de moins en moins à l’incantation du large. Et l’émigration touche toutes les communautés sunnite, chiite et chrétienne. Les pays convoités : l’Australie, l’Afrique du Sud, mais aussi et surtout les pays du Golfe.

C’est le destin qu’a choisi Samir el-Ariss, 32 ans. Ce sunnite a sept frères. Ils travaillent tous à l’étranger, à Londres notamment. Lui a travaillé à l’aéroport de Dubaï, dans un hôtel de Koweït City. Il rêve de devenir un jour un spécialiste de la Bourse. Mais pour l’heure, c’est la déprime. « J’adore mon pays. Mais tant qu’il ne peut pas m’assurer mon droit à la paix, je n’y habiterai pas. » Pourvu d’une formation universitaire, Samir estime que ce n’est pas une vie de gagner 500 dollars par mois et d’en verser déjà 200 pour le loyer. Actuellement, il est sans emploi, mais il rêve de la City londonienne. Ce sont ses parents qui lui donnent 15 dollars par jour pour vivre. « Dans ces conditions, je ne cherche même pas une petite amie. Je ne peux pas lui faire ça. »

Réceptionniste à l’Hôtel Berkeley, dans le quartier de Hamra, Christian Kalach, 23 ans, a étudié la gestion hôtelière. Son analyse est sans concession. Il estime avoir perdu sa jeunesse au Liban et espère obtenir un visa de sortie pour le Canada ou l’Australie. Il s’entend très bien avec ses amis chiites et sunnites quand il ne parle pas de religion. Lui-même, chrétien orthodoxe, a perdu confiance en Dieu. « J’ai l’impression qu’on a copié le modèle de Dieu et de Jésus dans la mythologie grecque », ironise-t-il.

Pour lui, les religions sont source de conflits. « C’est, dit-il dans une traduction approximative de Marx, la morphine du peuple. » S’il s’est découvert une forte identité libanaise en voyant l’équipe de basket de son pays gagner, il déplore l’attitude de ses concitoyens. « Soit tu as de l’argent et tu vis comme un roi, soit tu n’en as pas et tu vis comme un chien. » Et le réceptionniste d’évoquer la pyramide de Maslow selon laquelle l’être humain éprouve 1) des besoins physiques (manger, boire, etc.), 2) des besoins de sécurité et enfin 3) la nécessité de se réaliser. « Malheureusement, nous Libanais sommes toujours au stade 1). Nous dépensons pour acheter de grosses voitures et n’avons aucune vision à long terme. »

Un Etat sous perfusion

Que les difficultés politiques et économiques du Liban poussent des sources vives hors du pays n’est pas un phénomène nouveau. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les chrétiens ont émigré en masse vers l’Egypte. Au cours de la Première Guerre mondiale, de nombreux Libanais, terrassés par la famine, ont quitté le pays pour les Etats-Unis, l’Amérique latine, l’Afrique et l’Australie. Au Brésil aujourd’hui, on les appelle les Turcos, allusion à leur appartenance à l’époque à l’Empire ottoman. A Haïti, on les nomme les... Syriens. Aujourd’hui, la diaspora libanaise semble faire office de cordon ombilical qui maintient le Pays du Cèdre à flot. Entre 20 et 25% de l’Etat est financé par les fonds en provenance des émigrés.
Dans la rue Hamra, des étoiles incrustées sur le trottoir à l’image du Hollywood Walk of Fame de Los Angeles offrent une évasion momentanée. Pourtant, le pays croule sous une dette de 41 milliards de dollars et deux tiers des recettes de l’Etat servent à payer les intérêts. L’industrie est devenue marginale. On est loin de la grande époque de la soie libanaise que les marchands de Lyon s’arrachaient. L’agriculture a elle aussi été délaissée. Deux secteurs économiques restent prospères : la bijouterie et la banque. Avec un bémol. Depuis la guerre civile, la classe moyenne s’est appauvrie et nombre de Libanais ne sont plus en mesure de rembourser leurs prêts bancaires.

La déprime démographique des chrétiens, l’un des piliers de la société libanaise.

Pierre angulaire de la société libanaise, la communauté chrétienne ne cache pas sa vive inquiétude. En raison de la montée en puissance du Hezbollah, mais aussi d’une démographie qui est en train de modifier la carte du Liban. Directrice de recherche du CNRS, Elizabeth Picard enseigne trois semaines par an à Beyrouth. Pour elle, le poids de la communauté chiite s’accroît.

Les statistiques demeurent certes une thématique hautement politique et floue. Le dernier recensement officiel remonte à... 1932. Mais quelques tendances émergent. Jusqu’à ce jour, on évalue approximativement à 37% la population chrétienne, à 27% la population chiite et à 27% la population sunnite. « Mais un changement démographique s’opère avec les nouvelles générations, relève Elizabeth Picard. Dans la classe d’âge de 0 à 21 ans, le Liban dénombre 25% de chrétiens et plus de 40% de chiites. »
Cette évolution démographique n’est pas sans conséquence. Elle inquiète la communauté chrétienne, dont l’importance au Liban s’est manifestée à travers la dynastie Gemayel. Les maronites ne savent pas comment appréhender la montée du Hezbollah. Septuagénaire enjoué, Joseph tient un commerce dans le quartier musulman de Hamra depuis des années. Maronite, il rentre chaque soir à son domicile dans la partie chrétienne à l’est de Beyrouth.

« Mais depuis quelque temps, j’ai peur. Je ne sais pas ce qu’on va me réserver. » Quelques heures après cet aveu, des tirs d’armes automatiques ont retenti pendant près d’une demi-heure dans des rues du centre-ville. Ces rafales saluaient déjà l’appel à manifester lancé par Hassan Nasrallah dans l’après-midi. Christian Kalach est dépité : « C’est quoi ça ? Que voulez-vous qu’on fasse avec des gens pareils ? »

La déprime des chrétiens est encore accentuée par le sentiment d’avoir perdu la guerre civile et la majorité absolue au parlement. Le malaise est patent. La semaine dernière, de jeunes Phalangistes ont arraché le portrait du général chrétien Michel Aoun suspendu sur un campus universitaire pour le remplacer par celui de leur défunt leader Pierre Gemayel. Les échauffourées qui s’en sont suivies ont réveillé les blessures du passé. A la fin de la guerre civile, c’est le général Aoun, aux commandes de l’armée libanaise, qui remettra dans le rang la milice des Forces libanaises. Aujourd’hui, les aounistes ont conclu un accord avec le Hezbollah, tandis que les Phalangistes appartiennent au camp du 14 mars. Lors d’élections, les chrétiens sont désormais en compétition pour les mêmes sièges.

- Hassan Nasrallah, leader adulé pour son honnêteté et son courage

Sur le « Ring », l’axe routier qui surplombe la place Riad el-Sohl, Hassan Kachcouch est enthousiaste à la vue de centaines de milliers de Libanais qui ont répondu à l’appel du leader du Hezbollah à protester contre le gouvernement jugé « illégitime » et « anticonstitutionnel ». Il a 16 ans, vient du Sud-Liban et adule Hassan Nasrallah : « Il est courageux et fort, il aime les gens, il aime Dieu. »

A la grande manifestation du vendredi 1er décembre, le chef du Hezbollah n’est pas apparu. Mais le rassemblement a montré à quel point la machine est huilée : un service d’ordre composé de centaines de personnes coiffées d’une casquette blanche veille à ce qu’il n’y ait aucun débordement. Plusieurs camions viennent ravitailler en eau les manifestants. Salim el-Hoss connaît bien Nasrallah, un ami qui « ne cherche pas la gloriole personnelle. En cela, il n’est pas un vrai politicien », ironise-t-il.
A deux pas de la Lebanese American University (LAU), le bar Flamenco est bondé. Chaque table a son narguilé. Derrière des volutes de fumée parfumée, des étudiants applaudissent. Hassan Nasrallah vient de finir son discours télévisé. Un débat s’engage entre eux. Il illustre toute la diversité beyrouthine.

Enes est chiite, comme Mhamed. Tous deux veulent un nouveau gouvernement libanais et non pas un exécutif à la botte de l’Occident. Ils estiment qu’Israël est leur « seul ennemi », car il leur a fait beaucoup de mal. Leur copine Yasmeen est de nationalité américaine. Elle est voilée et ne me serrera pas la main à la fin de la conversation. Elle n’ira jamais aux Etats-Unis, qu’elle déteste. Mais elle ne voit pas de contradiction à étudier dans une université américano-libanaise. « Ce qui prime, c’est d’avoir une bonne éducation. Et puis l’université est d’abord libanaise... » Mustafa, Saoudien et Nadia, Libanaise, défendent une autre vision des choses. Sunnites, ils soutiennent le gouvernement Siniora.

- Le Hezbollah, entre ombre et lumière

En ce XXIe siècle prétendument spirituel, le « parti de Dieu » ne pouvait qu’effrayer l’Occident, désemparé face à l’islamisme radical. Perçu souvent comme le « grand méchant » aiguillonné par l’Iran et la Syrie, le Hezbollah est pourtant un mouvement complexe qui ne se laisse pas réduire à la simple milice armée par Téhéran et diffusant des messages antisémites sur sa chaîne de télévision al-Manar. Salim el-Hoss se fait l’écho de cette diversité. Il refuse de qualifier le Hezbollah d’organisation terroriste : « Il y a acte de terrorisme quand il y a violation de la souveraineté d’un Etat. »
C’est la raison pour laquelle il n’appellera pas au désarmement du Hezbollah avant qu’Israël n’ait rendu les fermes de Cheeba et les prisonniers libanais. Contrairement aux autres milices communautaires, qui ont été démobilisées en 1991, la branche militaire du Hezbollah reste bien armée, même après la guerre contre Israël. Elle le restera, dit le docteur el-Hoss, tant que l’existence d’Israël ne sera pas normalisée. Fawaz Traboulsi pense que le Hezbollah peut être intégré dans l’armée régulière, moyennant des aménagements spéciaux.
« Dans le cadre d’une politique de défense nationale, il serait bête de se passer de soldats aussi entraînés. Mais on pourrait leur réserver un statut particulier comme les unités spéciales dans l’armée israélienne », analyse le professeur de la Lebanese American University.

Décrit souvent comme un Etat dans l’Etat, le Hezbollah est gratifié d’une gestion sociale moderne, qui contraste avec le fonctionnement encore féodal des clans Gemayel, Hariri et Joumblatt. « Il est d’ailleurs réducteur de parler du Hezbollah comme d’un Etat dans l’Etat. Concernant le Liban, on ferait mieux de parler « d’Etats dans l’Etat », précise Georges Corm.

Dans la banlieue sud de Beyrouth, les écoles du Hezbollah dispensent des cours d’informatique et d’anglais, les hôpitaux offrent des services de qualité et des centres viennent en aide aux femmes. A l’instar du Hamas dans les Territoires palestiniens, les municipalités gérées par le Hezbollah ont été parmi les mieux notées par le Programme des Nations unies pour le développement.

Des zones d’ombre subsistent néanmoins. Le financement de l’organisation demeure opaque, même si l’aide financière de l’Iran est un secret de polichinelle et passe par un organisme dénommé Djihad al-Bina. De plus, ceux qui souffrent le plus de la montée en puissance du Hezbollah, ce sont les artistes, écrivains et intellectuels chiites, qui font parfois l’objet d’intimidations de la part du mouvement. Il n’empêche. Elizabeth Picard ne croit pas à la thèse du croissant chiite, un axe que l’Iran projetterait de créer avec d’autres acteurs régionaux de confession chiite.

« Qu’il y ait des solidarités et une cohérence de la montée en puissance des chiites dans la région, j’en conviens, mais il n’y a pas de projet visant à créer un croissant chiite », insiste-t-elle. Georges Corm ne dit pas le contraire. Pour lui, cette thèse est sous-tendue par une « anthropologie de café du Commerce ».

- La spécificité du chiisme libanais

Malgré l’illusion du croissant chiite, il n’en existe pas moins des liens familiaux historiques entre chiites d’Iran, d’Irak et du Liban. Et si aujourd’hui, la montée des chiites au Pays du Cèdre impressionne, c’est que ces derniers sont partis de très loin. Comme l’explique Sabrina Merwin, chercheuse à l’Institut français du Proche-Orient à Beyrouth et auteure d’une thèse de doctorat sur le réformisme chiite de l’Empire ottoman à nos jours, le chiisme libanais est moins intellectuel et théologique qu’en Iran.

« Le Liban connaît au départ un chiisme rural », souligne la chercheuse. Sous l’Empire ottoman, les chiites étaient assimilés aux sunnites et n’avaient pas d’institutions propres pour appliquer une juridiction chiite. Cela changera à partir de 1926. C’est avec le déracinement des populations chiites du Sud-Liban dû aux incursions israéliennes et leur établissement dans la banlieue sud de Beyrouth que les choses évoluent.

Sabrina Merwin met en garde contre tout alarmisme : « Le chiisme libanais a dû se développer dans un pays multiconfessionnel. Il avait donc une obligation de dialoguer. » Lors de sa création en 1982, le Hezbollah était l’instrument de l’Iran. Dans les années 90, il s’est « libanisé ». Une preuve ? C’est aujourd’hui le Hezbollah qui défend la classe moyenne issue du secteur privé.

La popularité du Hezbollah s’explique aussi par le sentiment des Libanais d’être pris en otages par les puissances occidentales et en particulier par le projet de grand Moyen-Orient échafaudé par les Américains. Quant à la dictature syrienne du leader syrien Bachar el-Assad, qui continue d’agir en sous-main au Liban, sa perception est ambivalente : la Syrie est tantôt jugée incontournable, tantôt exécrée.

- La « co-présence » des communautés

L’impasse libanaise est politique. Mais elle est aussi confessionnelle. On pouvait croire un instant que l’accord de Taëf, qui prévoit une répartition communautaire des plus hautes fonctions de l’Etat, allait permettre une transition vers un confessionnalisme plus souple. Il n’en fut rien. Au contraire, les tensions interconfessionnelles n’ont jamais été aussi fortes depuis la guerre civile.
Sur la place des Martyrs, après la mort de Pierre Gemayel, des groupes de jeunes druzes et sunnites chantaient des chansons scatologiques à l’encontre du Hezbollah. « Les habits neufs du communautarisme » (la nouvelle Constitution) n’ont changé le Liban qu’en apparence. Comme l’expriment les sociologues, les communautés vivent en « co-présence ». Ce n’est pas un communautarisme d’échange.

- Le Liban va-t-il éclater ?

Comme pour rendre plus réelle leur propre tragédie, les Libanais n’ont qu’un mot pour décrire Rafic Hariri ou Pierre Gemayel : ce sont des martyrs. Même le jeune chiite de 20 ans, tué par balle dimanche, a eu droit au même qualificatif. En vieille-ville, en souvenir d’Hariri, un panneau lumineux égrène les jours : 652, 653, 654. Comme si la mort de l’ex-premier ministre, en février 2005, constituait l’année zéro d’un nouveau calendrier.
Des questions de fond devront cependant être posées : le consensus confessionnel a-t-il vécu ? Quelle place pour le Hezbollah ? Faut-il songer au fédéralisme ? Les chrétiens y ont pensé durant la guerre civile. Mais paradoxalement, l’option fédéraliste est perçue par une grande partie des Libanais comme une cassure dont ils ne veulent pas. Un espoir tout de même ? Celui d’une société civile remarquable et des jeunes générations qui aspirent à un Liban nouveau.

Le Liban en un coup d’œil

Le Liban, dont le nom araméen signifie « la montagne blanche » a une population estimée entre 3,8 millions (ONU, 2005) et 4,5 millions d’habitants. Il ne compte pas moins de 17 communautés. Les statistiques démographiques demeurent approximatives, d’autant que le dernier recensement officiel a eu lieu en 1932.

Le Pays du Cèdre, dont la superficie est de 10 452 km2, est indépendant depuis 1943. Avant cela, il était sous mandat français dans le cadre de la Société des Nations.
Le système politique libanais repose sur un compromis entre les grandes communautés confessionnelles. Le Liban compte approximativement 36% de chrétiens, 27% de chiites et 27% de sunnites. Mais ces chiffres ne prennent pas en compte les Libanais non enregistrés. L’accord de Taëf, conclu en 1989, prévoit un rééquilibrage de l’exécutif libanais : la présidence de la République, actuellement en main d’Emile Lahoud, est attribuée aux maronites. Le poste de premier ministre, occupé par Fouad Siniora, revient à un sunnite et enfin la présidence de la Chambre des députés est octroyée à un chiite, en l’occurrence Nabih Berri.

L’Etat libanais, qui a un secteur bancaire prospère, a une dette de 41 milliards de dollars et consacre 66% de ses recettes au paiement des intérêts. Si le pays pouvait tabler sur une croissance de plus de 5% avant la guerre de juillet dernier entre le Hezbollah et Israël, le taux de croissance du PIB est désormais négatif. Le coût de la reconstruction est estimé à 3,2miliards et les pertes fiscales à 10 milliards sur quatre ans.

La guerre civile, qui a opposé les chrétiens aux musulmans de 1975 à 1990, aurait fait, selon les estimations, 150 000 morts et déplacé des centaines de milliers de Libanais.

*Article paru dans le Temps, quotidien Suisse.