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KENYA

La médiation internationale est nécessaire

Jeudi 28 février 2008, par Wangari Maathai

Pour la Kényane Wangari Maathai, lauréate du prix Nobel de la paix 2004, les politiciens locaux sont incapables de sortir le pays du chaos actuel.

La crise postélectorale au Kenya n’est toujours pas réglée et son impact sur l’économie du pays est déjà considérable : le tourisme, l’horticulture et toutes les industries dépendant des échanges extérieurs périclitent. Des milliers de vies sont menacées ainsi que les investissements prévus dans toute la région. Au moment où la situation s’est aggravée avec la multiplication des meurtres, des viols, des incendies de propriétés, des pillages et du nombre de réfugiés jetés sur les routes, le Kenya a fait appel à la communauté internationale. Bon nombre de pays ont répondu présent, envoyant l’aide humanitaire et le soutien logistique nécessaires.

La communauté internationale s’est également efforcée de convaincre les deux rivaux, Mwai Kibaki et Raila Odinga, de trouver une solution politique à leur différend lié au résultat de l’élection présidentielle [à l’issue du scrutin du 27 décembre 2007, Mwai Kibaki, le président sortant, a été reconduit dans ses fonctions, alors que le résultat était contesté par l’opposition et par une grande partie de la communauté internationale, notamment l’Union européenne]. Malgré les efforts de Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU, et de ses collaborateurs, Graça Machel, ancienne première dame du Mozambique, et Benjamin Mkapa, ancien président de la Tanzanie, le Kenya est encore loin de voir le bout du tunnel. Au cours des dernières semaines, plusieurs autres personnalités africaines se sont impliquées dans les négociations, notamment John Kufour, président du Ghana et de l’Union africaine, ainsi que le président ougandais, Yoweri Museveni, et l’archevêque Desmond Tutu.

Certains hommes politiques kényans y voient là une ingérence dans les affaires intérieures du pays. Selon eux, les Kényans devraient régler seuls leurs problèmes. Si cette attitude peut paraître patriotique, elle est en fait tout le contraire. Ces hommes savent combien le Kenya dépend de la communauté internationale et à quel point d’autres nations sont dépendantes du Kenya. En outre, avant de vouloir apparaître comme des dirigeants dignes d’un Etat souverain et indépendant, ils auraient dû montrer leur capacité à régler cette crise. Plusieurs hauts responsables des milieux économiques, de la société civile et des organisations religieuses les ont appelés à faire cesser les violences. Mais ils n’ont pas levé le petit doigt alors que le carnage empirait.

Au Rwanda, la communauté internationale avait, dans une large mesure, laissé les politiques se débrouiller avec le chaos qu’ils avaient créé. Cela s’est traduit par un terrible génocide et la mort de près de 1 million de personnes. Et, quand tout fut terminé, le monde s’est demandé pourquoi il avait fallu tant de temps pour réagir. Aujourd’hui, ils sont des millions à demander l’intervention de la communauté internationale au Darfour, en Somalie, au Tchad ou en république démocratique du Congo, pour ne citer que quelques exemples. Au XXIe siècle, le monde ne devrait plus se cantonner au rôle de spectateur passif quand des citoyens sont appelés à en tuer ou à en mutiler d’autres parce que leurs dirigeants politiques n’arrivent pas à s’entendre. La communauté internationale a le devoir moral d’intervenir quand des vies humaines ou les droits de l’homme sont menacés.
En nous offusquant, nous Kényans, de l’intervention internationale, nous faisons le jeu des partisans les plus radicaux de Kibaki et d’Odinga. “L’heure n’est plus à la recherche d’une solution politique”, rappelait avec justesse la secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice, en visite à Nairobi à la mi-février. Les efforts doivent maintenant se concentrer sur le travail du Groupe des Nations unies pour le dialogue et la réconciliation au Kenya afin de trouver une solution durable à cette crise. Le sort du pays est entre les mains des deux équipes de médiateurs des rivaux Kibaki et Odinga. C’est à eux de faire passer les Kényans en premier. Je leur demande, ainsi qu’à des millions d’autres Kényans, de s’entendre sur un accord durable fondé sur la justice, l’équité et le bien commun.

* Militante écologiste, Prix Nobel de la paix 2004. Elle a été députée au Parlement kényan entre 2002 et 2007.

Wangari Maathai*
The Guardian