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Haïti

La famine provoquée

Mardi 3 mars 2009, par Pierre BEAUDET

En Haïti, le pays le plus pauvre de l’hémisphère, 3,8 millions de personnes (47% de la population) souffrent de la faim. Dans le monde rural, moins de 50% des paysans ne mangent qu’une fois par jour. Or, paradoxe des paradoxes, Haïti recèle de grandes potentialités agricoles. Jusqu’à récemment, la production nationale de riz réussissait à répondre aux besoins alors qu’aujourd’hui, les biens alimentaires sont importés. Comment expliquer cela ?

Une agriculture en péril

En réalité, l’agriculture connaît de sérieux problèmes : infrastructure inadéquate, techniques primitives, petitesse des parcelles, etc. À cela s’ajoutent, la dégradation environnementale (déforestation) et les ouragans qui, à l’automne 2008, ont détruit 60 % des récoltes. Mais tout ceci n’explique pas tout. Depuis 1995 en effet, les pays occidentaux dont les États-Unis ont imposé à Haïti l’ouverture des marchés, y compris des marchés agricoles. Cette politique a été entérinée par un accord signé avec le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale. Depuis cette libéralisation, le secteur agricole a subi une dégradation très sensible. Haïti qui produisait 80-90 % de ses aliments (1986) n’en produit plus que 47 %.

La non-réforme agraire

Malgré les politiques annoncées par le gouvernement Préval, le problème de la réforme agraire continue, Les petits paysans n’ont toujours par accès aux terres les plus fertiles et sont confinées sur des micro-parcelles (1,8 hectare en moyenne), non irriguées. Bien que très souvent les petits paysans occupent des terres, ils ne disposent pas des titres qui leur permettraient de capitaliser sur leurs actifs. Certes sous l’autorité du gouvernement, un Institut national pour la réforme agraire (INARA) a pour mandat de favoriser la réforme agraire, mais il est pratiquement sans moyen. Le préjugé contre le monde paysan est profondément incrusté parmi les élites haïtiennes, selon le sociologue Alain Gilles, où le monde paysan est vu comme un « monde du dehors », dans une sorte d’extériorité qui « légitime les violences internes exercées contre les paysans » .

Les attentes des paysans

Plusieurs associations paysannes récemment réunies demandent des changements à la fois modestes et importants : relance de la réforme agraire, renforcement des programmes d’appui aux petits paysans (crédit agricole, irrigation, aide au marketing et à la distribution des produits agricoles, appui à la production familiale) . Il est inacceptable, selon Camille Chalmers, qui anime la Plate-forme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif, que « le gouvernement refuse d’accorder la priorité à l’agriculture ». Dans le Document stratégique national pour la croissance et la réduction de la pauvreté qui élabore les grandes priorités du pays, aucun investissement massif n’est prévu dans le secteur paysan (le tourisme et les zones franches restent les deux priorités de l’administration Préval). Le budget de l’État accorde moins de 11 % des ressources à l’agriculture, selon l’étude du Groupe de recherche et d’appui en milieu rural (Haïti et le droit à la sécurité alimentaire) .

Par ailleurs selon le directeur de l’Institut national de la réforme agraire (INARA), Bernard Ethéard, le projet du gouvernement d’établir une zone franche sur trois mille hectares dans le département du Nord-est pourrait déposséder plusieurs centaines de paysans. Les associations demandent aux organisations paysannes de se mobiliser afin d’inciter l’État haïtien à assumer ses responsabilités envers le monde rural. Elles encouragent l’État via la Coordination nationale sur la sécurité alimentaire à trouver avec les communautés des solutions à la crise .

Le rôle de la coopération internationale

Les associations paysannes déplorent également l’indifférence des donateurs internationaux. D’une part, l’aide internationale reste « conditionnalisée » par l’acceptation par Haïti du sacro-saint principe de l’« ouverture des marchés ». Il est vrai que l’État peut, du moins en principe, invoquer des « raisons majeures » et protéger l’agriculture, mais une telle approche ne serait certes pas bien vue à Washington qui accorde aux producteurs états-uniens d’énormes subventions pour le riz qu’ils déversent sur le marché haïtien. En pratique et au bout de la ligne, les cadres de la coopération internationale mis en place avec Haïti en ce moment s’intéressent davantage à d’autres secteurs que celui de l’agriculture et la sécurité alimentaire.