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PAKISTAN

La crise et les apprentis sorciers

Jeudi 3 janvier 2008, par Pierre ROUSSET

L’assassinat, le 27 décembre dernier, de Benazir Bhutto, ancienne Premier Ministre et présidente du Parti du peuple du Pakistan (PPP), a provoqué un mouvement de révolte populaire peut-être sans précédent dans le pays par son ampleur : des centaines de milliers de personnes ont participé aux funérailles dans la province méridionale du Sind, mais se sont aussi attaqué dans nombreuses localités aux symboles du pouvoir, en particulier aux biens du parti PMLQ et de ses dignitaires. Les émeutes et la répression ont fait des dizaines de morts. Les manifestants ont ainsi mis clairement en cause la responsabilité du régime Musharraf dans le meurtre (ne serait-ce que pour n’avoir pas assuré la protection de la défunte) et dans la crise sans fin qui taraude le pays. Même s’il s’avérait que les islamistes étaient effectivement les auteurs de l’assassinat, ce qui est possible, ils auraient pu (et dû) bénéficier de complicités actives dans les services spéciaux ou l’armée.

On ne saura peut-être jamais qui a commandité le meurtre de Benazir Bhutto. Mais on connaît en revanche parfaitement les responsables de la crise pakistanaise dont cet assassinat n’est que le dernier avatar en date. Les puissances impérialistes tout d’abord, qui n’ont cessé de jouer les apprentis sorciers. Les Britanniques, bien entendu, qui à force de diviser pour régner ont présidé en 1947 à la partition de leur Empire des Indes, sanglante vivisection. Les Etats-Unis aussi, qui ont soufflé sur les braises du fondamentalisme religieux pour mieux combattre les Soviétiques en Afghanistan et installé les talibans des deux côtés de la frontière, avant d’exiger d’Islamabad un brutal retournement d’alliance au nom de la « guerre anti-terroriste », nouvelle croisade occidentale. L’Union européenne et la France enfin, qui, à l’instar de Londres et Washington, se sont fort bien accommodés d’une succession de régimes militaires à la Musharraf.

Premières coupables, les classes dominantes occidentales. Mais les classes possédantes pakistanaises n’ont pas été en reste. Elles ont accueilli en leur sein la caste militaire, entré en affaire, tout en maintenant dans des conditions de dépendance et d’exploitation extrêmes des secteurs entiers de la paysannerie et du salariat (dans les briqueteries par exemple). Elles ont usé et abusé du communautarisme, comme le MQM à Karachi, capitale industrielle et portuaire du pays. Elles ont nourri le radicalisme islamiste pour nouer des alliances et affaiblir des mouvements nationalistes, au Baloutchistan notamment. Elles ont privatisé la politique et le pouvoir, le Parti du peuple (PPP) devenant pour sa part la propriété du clan Bhutto. Elle ont étouffé les traditions laïques, pourtant puissantes dans l’islam asiatique, au profit d’une définition toujours plus religieuse et divise de l’Etat. A force de corruption, de népotisme et de prévarication, elles ont déconsidéré le régime parlementaire, identifié à l’affairisme. Comment dans ces conditions fonder une démocratie ?

Le prix à payer pour l’incurie des bourgeoisies impériales et locales a été et reste terrible. Les millions de morts de la partition de 1947, la guerre de 1971 et la sécession du Bangladesh, les meurtriers affrontements entre sectes musulmanes, la montée en puissance d’un ordre moral féodal dont les femmes sont les premières (mais pas les seules) victimes, la surexploitation du travail, une géopolitique guerrière dont tous les pays de la région sont otages, un face-à-face nucléaire indo-pakistanais… Le bilan de faillite est sans appel. Pourtant, après l’assassinat de Bhutto lesdites bourgeoisies persistent et signent. Washington fait passer aux pertes et profits le meurtre de sa protégée, confortant une fois encore la dictature Musharraf. Le PPP nomme à sa tête Bilawal, étudiant de 19 ans vivant en Angleterre mais fils de Benazir, cornaqué par son père : on reste en famille ! Plutôt que d’amplifier la campagne de boycott des élections générales et d’imposer un changement de régime, l’opposition respectable (PPP et PLM-N réunis) négocie un compromis sur leur report.

Tous font comme si les immenses mobilisations de 2007, en défense d’une magistrature devenue indépendante, n’avaient pas eu lieu. L’aspiration démocratique s’est néanmoins manifestée avec particulièrement de force l’an passé, au point qu’il fallut pour la juguler l’état d’urgence imposée par un général-président aux abois. Une alternative a commencé à se dessiner dans la rue — mais sans que le lien entre cet élan démocratique et les revendications sociales des plus démunis ne soit noué. La gauche et les mouvements ouvriers ou populaires sont en effet historiquement marginaux au Pakistan, ce qui constitue le véritable talon d’Achille des combats progressistes en cours. C’est auprès du mouvement démocratique en général, mais tout particulièrement auprès des forces qui, comme le LPP [1], tentent de consolider ce maillon faible, que notre solidarité doit aujourd’hui se manifester.

Note

1. LPP : Labour Party Pakistan (Parti du travail du Pakistan) Voir : Pakistan : le LPP a réuni son congrès