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Après les trente « glorieuses »

La crise et au-delà de la crise

Jeudi 5 juin 2008, par CEDETIM

S’interroger sur la longue période pour caractériser l’étape actuelle ...
Après les échecs notables des présidentielles et des législatives de 2007, face aux lourdes questions que ceux-ci posent pour mener l’indispensable bilan et proposer des perspectives pertinentes sans lesquelles le mouvement populaire ne manquerait pas d’être à nouveau battu, il est sans doute utile de s’interroger sur la longue période pour caractériser l’étape actuelle et inscrire ces perspectives dans la durée. Ceci d’autant plus que nous découvrons que 40 ans se sont écoulés bientôt depuis Mai 1968, étape d’un soulèvement général comme nous n’en n’avons pas connu depuis.

Cinquante ans avant Mai 68 avait eu lieu la révolution de 1917 qui bouleversa le Monde. Peu après, Lénine décrivait de façon éclairante l’étape dans laquelle était parvenu le développement du capitalisme que Marx n’avait pas connu dans « L’impérialisme stade suprême du capitalisme ». Cette analyse clairvoyante permettait de comprendre parfaitement les affrontements entre puissances et la guerre mondiale de 1914-18 qui venait de se dérouler. Elle annonçait les affrontements à venir qui conduiraient à la seconde guerre mondiale. Elle éclairait l’après-guerre, la guerre froide, et le phénomène central qu’est la domination de l’impérialisme américain. De fait, la caractérisation de l’impérialisme américain et la lutte contre celui-ci sont imprégnées par cette pensée depuis 1945 ne serait-ce que implicitement et, récemment, c’est le cas de l’analyse de la mondialisation libérale et de la lutte contre celle-ci aujourd’hui.

Nous nous risquons ici à formuler quelques réflexions pour lancer la discussion.

Le compromis « rooseveltien » de 1933 a été la solution à la crise du capitalisme financier et à la mise en place d’un nouveau bloc au pouvoir donnant toute sa place au capital industriel...
La lecture de L’Impérialisme stade suprême a souvent donné lieu à une interprétation « à la lettre » des analyses de Lénine comme si la victoire du capitalisme financier et bancaire sur le capitalisme industriel était définitive dans le temps et l’espace depuis 1918. La réalité du développement historique postérieur à Lénine conduit à une autre compréhension. La crise de 1929 est apparue comme une crise du capitalisme financier américain qui a entraîné non seulement l’appauvrissement radical du peuple américain mais également une crise sans précédent par son ampleur du capitalisme industriel et de la sphère productive réelle, seule source de vrais profits garantis.
Aux États Unis, le New Deal, le keynésianisme et l’ère Roosevelt (1933-45) peuvent être interprétés comme la perte du pouvoir par le capital financier, le retour au pouvoir du capital industriel capable de conquérir une alliance, subordonnée, avec de larges couches populaires. Au plan du pouvoir politique, la traduction de cette situation dans la « coalition rooseveltienne » a été marquée par la mise en place d’une « fraction gouvernante » (certains disent aussi « régnante »), élites capables de représenter et de mettre en œuvre durablement cette coalition. Au plan idéologique s’est établi la domination de la référence à la « démocratie américaine » « porteuse et garante des libertés individuelles et des libertés universelles », dans un lien « indissoluble et fort » entre liberté individuelle et liberté d’entreprendre, donc la liberté d’exploitation du travail par le capital. Ainsi, dans l’idéologie américaine nouvelle, on tentait d’effacer le caractère dictatorial du capitalisme américain depuis son origine, chasseur et tueur de syndicalistes et de grévistes au moyen de milices patronales et de policiers asservis, capitalisme prédateur de la conquête de la terre et des ressources des peuples indiens victimes d’un immense génocide. Par dictatorial nous entendons, cf. le Robert, « concentration de tous les pouvoirs dans les mains d’un individu (nota : ce n’est pas le cas), d’une assemblée, d’un parti, d’une classe (c’est le cas).

La réussite économique, politique et idéologique (y compris dans le champ culturel) du nouveau pouvoir rooseveltien des années trente allait donner une telle puissance et une telle légitimité à ce mode de gouvernance du capitalisme que, pratiquement, celui-ci est resté en vigueur et a été la référence centrale dans ce pays jusqu’à la fin des années 1970. Sa solidité s’est aussi établie avec le ralliement du capitalisme bancaire, puis ultérieurement du capital financier, après la reconstitution de sa puissance, après guerre.

En Europe, les trois impérialismes principaux, Angleterre, Allemagne, France, allaient secréter des réponses différentes entre elles ...
Les raisons internes propres au mode particulier de capitalisme financier et le type d’équilibre avec le capital industriel, avec notamment la City dominante, les caractéristiques de l’impérialisme britannique avec l’importance des ressources et des profits tirés de l’Empire et du contrôle de certains territoires (cf. l’Argentine du blé et de la viande), la force et en même temps la neutralisation relative du mouvement ouvrier, expliquent sans doute la situation d’équilibre instable et de coalition de pouvoir qui a été trouvée en Grande Bretagne avec cette composante fondamentale qu’est le travaillisme. Ainsi était l’étape rooseveltienne à l’anglaise.

En France, s’est établie une radicalisation progressive des forces en présence. Le camp des couches populaires parvenait à réaliser son unité face aux menaces et à entraîner les couches intermédiaires : il produisait l’expérience de référence d’une coalition avec le Front Populaire en 1936, détruite peu après par ses adversaires, après qu’ils se soient regroupés.

En Angleterre comme en France, après la honteuse et inutile démission de Munich, la question principale devenait celle de l’affrontement inéluctable avec l’impérialisme allemand devenu surpuissant et de plus en plus agressif. La clairvoyance de Churchill sur le rôle décisif des hydrocarbures dans la marine, l’aviation et les moyens terrestres, dans la puissance militaire et la confrontation inévitable avec l’Allemagne, montrait alors que le contrôle sur le Moyen Orient et son pétrole était une des conditions de la suprématie.

En Allemagne, la crise de 1929 venait se surajouter à deux crises : la crise économique et financière de l’après 1918 avec la composante non négligeable de la charge du paiement des réparations et avec l’hyperinflation ; la crise politique et idéologique due à la puissance du mouvement ouvrier renforcée par la victoire de la révolution soviétique. Les différentes fractions du capitalisme allaient investir sur le parti nazi comme fraction gouvernante et sur ses projets impérialistes dans une version « totalitaire » de l’impérialisme (totalitaire : « régime à parti unique n’admettant aucune opposition organisée »). Brandissant la « menace rouge », l’élimination de tous les opposants à ce projet était mise en œuvre. En contrepartie d’un retour à de meilleures conditions matérielles pour les travailleurs allemands était mis en place un nouvel ordre productif autoritaire. Ensuite, le pillage des biens juifs et des territoires conquis, puis le relais massif dans la production des déportés et prisonniers juifs et non-juifs, allaient permettre le maintien de cette situation. Pour parachever la force de la réponse, cet impérialisme totalitaire à l’allemande établissait un nouvel ordre idéologique dont les mots-clés étaient : ordre, autorité, chef, nation, race élue, expansion territoriale, etc. Cet ensemble, dont une variante moins forte avait émergé en Italie, allait se fracasser dans l’affrontement militaire avec les autres puissances coalisées. Les États Unis et l’Union Soviétique devenaient les puissances gagnantes après la guerre.
Après la seconde guerre mondiale, USA contre URSS, luttes anticoloniales et impérialisme américain dominant...

Peu à peu, l’impérialisme américain, toujours fondé sur la même coalition, passait à l’intérieur de l’économie de guerre à l’économie de consommation de masse et, à l’extérieur, à l’établissement de sa domination sur toute la planète non soviétique. Mettant en avant le « péril communiste », le coté dictatorial de l’impérialisme à l’américaine procédait à l’intérieur à l’élimination de toutes les forces politiques « menaçantes » pour son ordre, et à l’encadrement du syndicalisme et du mouvement ouvrier dans le carcan du corporatisme. Le tout accompagné d’une domination des médias et d’un contrôle idéologique renforcé (le régime nazi avait ouvert la voie) derrière les discours sur la liberté. A l’extérieur, les occupations de pays (Allemagne et Japon, puis Corée) et les interventions directes et indirectes (Iran, Indonésie, Amérique Latine, Turquie, Moyen Orient, ...) allaient accompagner et renforcer son contrôle sur le Monde dit « libre », avec bien sûr le contrôle sur les matières premières, le pétrole en tête.

En URSS, la victoire de Staline dans les années 1920 avait conduit progressivement à la mise en place d’un capitalisme d’État à caractère industriel avec la bureaucratie comme couche gouvernante. Avant guerre, ce capitalisme d’État avait pour centre les zones industrielles de la Russie et pour périphéries dominées le reste de la Russie dont la Sibérie et les autres républiques de l’Union. Le caractère totalitaire puis dictatorial de cet impérialisme (industriel et non financier) n’est pas à démontrer quel que soit le domaine, y compris idéologique. Pour autant, ses caractéristiques sont nettement divergentes et antagoniques de l’impérialisme allemand dans sa version nazie, tant sur le plan de la nature de ses forces économiques (le régime hitlérien était « fusionnel » des forces capitalistes industrielles, bancaires et financières allemandes, avec un seul projet, celui du redressement et de l’expansion de la puissance de l’Allemagne), que sur le plan idéologique et politique (internationalisme ici contre nationalisme là, égalité ici contre discrimination et racisme là, droits des peuples à disposer d’eux-mêmes ici contre expansion territoriale guerrière là, etc...). Les multiples camps nazis d’extermination de masse ne sont pas de même nature (objectifs et moyens) que le Goulag.

Les divergences et les antagonismes entre l’impérialisme soviétique et l’impérialisme américain sont également forts, même après 1945 dans le version autoritaire de ce dernier marqué par un contrôle social interne très dur et par un contrôle externe fort y compris par dictatures interposées. Dès lors, avec l’élargissement de la domination russe aux pays européens de l’Est, et une fois éliminés les dangers des deux impérialismes totalitaires allemand et japonais dont les restes étaient absorbés par les USA, la situation de guerre froide allait caractériser les relations entre les impérialismes américain et soviétique, chacun renforçant son contrôle et son hégémonie dans son camp, avec les multiples pillages de ressources que cela permettait.
Sortis très affaiblis de la seconde guerre mondiale, les impérialismes anglais et français allaient devoir faire face partout aux luttes anticoloniales. Il est commun de dire que les britanniques se sont bien mieux sortis de la nécessaire décolonisation (encore que la question de l’Irlande du Nord et de l’Afrique du Sud ne doit pas être oubliée), mais de toutes façons, le fait est que, dans le même temps, ils ont du céder la place de puissance industrielle et d’impérialisme dominants aux États Unis. Il est rare que soit assez souligné que les États Unis allaient profiter et accélérer le déclin britannique en devenant à sa place la puissance dominante du Moyen Orient et de son pétrole, ressource énergétique devenue majeure, alors que c’était la Grande Bretagne, appuyée un peu par la France et surtout par l’URSS avec Stalingrad, qui avait payé le prix fort pour barrer la route du pétrole aux nazis. Dans le même temps, les USA devenaient responsables d’Israël, produit et solution de la mauvaise conscience occidentale né du fait de n’avoir pas fait de l’arrêt de l’extermination de masse des juifs d’Europe un des buts de guerre contre l’Allemagne. Produit qui allait devenir de façon récurrente un instrument et une des causes du grand jeu américain visant le contrôle de la zone où se trouvait la ressource naturelle historique stratégique majeure qu’est le pétrole. Dans cette zone, on sait avec quelle vigueur allait être sanctionné l’Iran de Mossadegh qui osa nationaliser son pétrole en 1951. A l’inverse les États Unis n’allaient pas vraiment hériter de la débâcle de l’impérialisme et du colonialisme français si ce n’est du « mistigri » indochinois empoisonné.
... mais apparaissent au Sud Bandoeng et le mouvement des non alignés et, en Europe, la construction de l’Europe rooseveltienne et les Trente glorieuses ...

Parallèlement à la montée des luttes anticoloniales des peuples du Sud et de leurs élites, et face à la bipolarisation USA-URSS, allait se développer le mouvement des pays non-alignés, depuis 1954 et la réunion de Bandoeng. Son succès et la menace qu’il représentait pour la domination américaine, renforcés par la victoire de la révolution cubaine et la lutte du peuple vietnamien, explique sans doute le raidissement de l’impérialisme américain, avec notamment son interventionnisme violent en Amérique Latine (putschs successifs et répression en Bolivie, Uruguay, Chili, Argentine, etc.. ) et en Asie (putschs en Birmanie, Thaïlande, régimes autoritaires en Malaisie et Philippines, putschs puis extermination des communistes en Indonésie en 1965, ...) ;
Dans cette période se mettait en place un nouveau jeu généralisé en Europe de l’Ouest. Face au défi que représentaient « les lendemains qui chantent » des pays de l’Est, inspirés pour sa reconstruction par l’exemple du bloc au pouvoir rooseveltien et par la tradition travailliste anglaise, les principaux pays européens de l’Ouest allaient voir se mettre en place progressivement la social-démocratie comme force-clé politique et idéologique. La construction européenne, fruit de la coalition entre chrétiens sociaux et sociaux-démocrates allait se développer rapidement car garante à la fois de la paix entre pays et d’une certaine redistribution des richesses au salariat, réponse à « la menace communiste ». Tout cela, dans le consensus keynésien et l’accord sur l’État-providence, en phase avec les États Unis, allait produire les « trente glorieuses » que certains présentaient comme la preuve irréfutable que le capitalisme, bien géré, était capable de surmonter ses contradictions génératrices de ses crises.

...et surgit une annonce tonitruante : le capitalisme est en crise, l’impérialisme américain aussi ...

Certains peuvent se rappeler la « bombe » politique et théorique en France que devait représenter les « thèses » d’un petit parti qui venait de naître en 1961-62, le PSU, affirmant haut et fort que « le capitalisme est en crise ». Cela en a étonné plus d’un venant d’un petit parti né de l’union des progressistes en lutte contre la guerre d’Algérie, soutenant les luttes anticoloniales, et en rupture avec les trahisons algériennes et pro-pouvoir personnel du parti socialiste SFIO de Guy Mollet. Cette affirmation allait être élargie à l’impérialisme américain, l’offensive vietnamienne et les suites de la révolution cubaine étant les témoins de sa crise. L’analyse de cette crise n’était pas seulement menée sur les plans économique et politiques mais également sur le plan idéologique, marquée par la remise en cause de « la société de consommation » et des rapports Nord-Sud inégalitaires et conduisant à l’affirmation de valeurs collectives et de solidarité nouvelles et fortes.

Quelques années après, éclataient les révoltes étudiantes dans bien des pays et apparaissait en France le puissant mouvement populaire de Mai Juin 1968, signaux forts de la fin des trente glorieuses et de l’ouverture visible d’une nouvelle crise du capitalisme. Dans la plupart des pays européens, l’évolution des rapports de force en faveur du travail allait se concrétiser par une nouvelle étape dans la redistribution et des succès sociaux-démocrates importants. En France, sur cette lancée, se produisait la victoire de l’Union de la Gauche en 1981 et l’ère Mitterrand.

Parallèlement, la crise de l’impérialisme américain se manifestait clairement avec la victoire de la révolution vietnamienne et son incapacité à assurer son hégémonie dans ses zones stratégiques proches comme l’Amérique Latine autrement que par les coups d’État militaires et la répression. Certes, les États Unis parvenaient à contenir leur adversaire soviétique mais, dans son camp, apparaissait deux menaces. L’une était la montée en puissance et l’autonomisation progressive de l’Union Européenne : le déclenchement de la crise pétrolière de 1973 se révélera une arme décisive de rappel à l’ordre pour les contenir et en fixer les limites. L’autre était la renaissance puis l’explosion de la puissance industrielle puis financière du Japon, fruit de l’abandon du caractère dictatorial militarisé antérieur, de ses qualités de bon élève du maître américain et de ses investissements et, surtout, de l’adoption d’un modèle intermédiaire adapté féodalo-keynésien à l’intérieur et exportateur intensif pour l’extérieur (invention du premier vrai modèle extra-centré). Les succès japonais allaient apparaître non seulement dans le Monde mais également aux États Unis même, non seulement dans les technologies nouvelles mais aussi dans l’automobile, cœur de la grande industrie américaine, de sa classe ouvrière concentrée et de la fraction industrielle du capitalisme américain. Le Japon allait devenir le principal créditeur des USA et détenteur de dollars, situation qui fabriquait une nouvelle crise financière américaine.

Fin des années 1970, l’épuisement du modèle keynésien et de son bloc au pouvoir conduit à l’apparition dans la sphère idéologique puis à la victoire de la révolution conservatrice, victoire du bloc au pouvoir libéral dominé par la fraction financière ...

Il est important de constater que l’épuisement du modèle keynésien et de son bloc au pouvoir est apparu à la fois aux USA et en Grande Bretagne, bien que de façon différente et que dans ces deux pays la réponse allait être la même.

En Grande Bretagne, la crise politique et économique du travaillisme allait s’accompagner d’une crise idéologique née de l’affaiblissement progressif des valeurs collectives, engendré peu à peu par la société de consommation et l’apparition de l’individualisme renforcé, références donnant désormais droit, pour les nouvelles couches sociales, à des biens nouveaux privilégiés toute de suite. Par derrière se déployait une crise du capitalisme industriel anglais encore fondé sur le socle charbon-métallurgie qui devenait archaïque face aux potentiels pétro-gaziers découverts en Mer du Nord et face aux modernisations de l’appareil productif ailleurs en Europe et au Japon. Par ailleurs, l’Empire ne fournissait plus les ressources additionnelles permettant de maintenir le standing qui était le fondement du travaillisme. Cette crise sapait une des bases essentielles de la production de capital et du pouvoir de la City. Celle-ci ne pouvait plus, dès lors, supporter la situation : le libéralisme partait alors à l’offensive, d’abord dans la sphère idéologique, à la conquête des nouvelles couches, puis il trouvait avec Thatcher son étendard et, après la victoire électorale des conservateurs en 1979, son bras armé, celui qui allait plus tard engager et gagner le bras de fer contre les mineurs et tout le mouvement ouvrier en 1984-85, avec ensuite les privatisations tous azimuts.

Aux États Unis allait se dérouler le même processus aboutissant à la victoire de Reagan, dans un contexte de crise industrielle, financière et monétaire, victoire précédée par un important travail idéologique et théorique des libéraux. On a parlé de « révolution conservatrice », de « révolution libérale » reaganienne et thatchérienne. Ce fut effectivement une révolution au sens de la prise du pouvoir par une nouvelle couche sociale, le capital financier, et de la mise à bas du bloc au pouvoir keynésien qui avait dominé depuis les années 30. Dit en termes simples l’enjeu était la conquête par la fraction financière d’une nouvelle répartition capital-travail en sa faveur, sur le plan des salaires, des retraites, des services sociaux et des protections sociales, de la conquêtes du privilèges étendus pour les couches dirigeantes, et d’un repartage des rentes de toutes natures, en particulier par la privatisation des entreprises et des services publics et la généralisation du « moins d’État ».

Il n’est pas anecdotique de rappeler que l’arrivée au pouvoir de Reagan en 1980 avait été précédée par l’offensive idéologique des nouveaux libéraux, couronnée par le prix Nobel de Milton Friedman en 1976 sur fond de crise financière affectant le dollar (crise de 1976 puis dollar à 10 Francs en 1984 année de la réélection de Reagan). A ce stade, il faut insister sur le fait que le Japon s’était reconstruit en tant que puissance financière sur la base de l’accumulation tirée de sa position exportatrice extra-centrée et détentrice de dollars et bons du trésor américain. La puissance japonaise était devenu un défi dans tous les domaines non militaires, d’autant qu’elle s’étendait géographiquement en Asie et contribuait, sur le modèle impérialiste classique, avec exportations de capitaux, d’ateliers, puis sous-traitances, à faire émerger de nouvelles sous-puissances comme la Corée du Sud, Singapour, la Thaïlande.
Fort heureusement pour lui, l’impérialisme américain allait bénéficier de deux évènements. En Europe de l’ouest, d’une part, le 2° choc pétrolier allait provoquer un affaiblissement certain et des besoins de remise en cause du compromis social, tandis que l’offensive idéologique libérale portée par le thatchérisme allait durcir les affrontements, dans chaque pays et au plan de l’Union. En URSS, l’épuisement du modèle soviétique devenait patent, tant dans ses constituants politiques, économiques et surtout idéologiques centraux que dans les capacités de l’impérialisme soviétique à maintenir sa domination en Europe de l’Est et ... à sa périphérie, dans les républiques ou en Afghanistan. Ici d’ailleurs, il faut souligner que c’est dans sa lutte contre l’URSS en Afghanistan que les USA allaient enfanter du pouvoir intégriste d’Al Qaïda mené par Ben Laden, dont l’existence est alimentée par le refus américain et israélien de reconnaître ses droits à un État au peuple palestinien.

La fin de l’URSS et la révolution bourgeoise en Russie...

La tentative gorbatchévienne de sauver l’Union Soviétique en la réformant profondément allait échouer, sans doute du fait que la très grande majorité des élites d’État régnantes étaient déjà idéologiquement totalement contaminées par l’idée que le capitalisme leur apporterait l’argent, le mode de vie, tout en gardant le pouvoir sans limite, tous attributs faisant l’apanage de leurs homologues occidentaux rencontrés dans leurs voyages. Quant aux peuples soviétiques manquant de biens élémentaires (sauf pour le logement et la santé), le miroir aux alouettes occidental présenté dans les médias ne pouvait que les attirer. Dès lors étaient réunies les conditions du succès du putsch du clan Eltsine, appuyé par la CIA, puis celui de la révolution bourgeoise russe au cours de laquelle la bourgeoisie d’État s’est emparée et s’est partagée la plupart des biens et des ressources du pays à son profit personnel, passant à la propriété privée d’une nouvelle classe, les oligarques, avec l’appui des occidentaux et du FMI.

Loin de sonner la fin de l’Histoire, cette révolution, qui éliminait « la menace communiste » et affaiblissait très fortement l’Empire concurrent des États Unis en le faisant éclater à sa périphérie, était porteuse de nouveaux épisodes et d’importants rebonds.

... ouvrent grande la porte de la prise du pouvoir libérale en Europe
En Europe, un des fondements majeurs de la social-démocratie, « alternative réaliste au communisme », venant de s’effondrer, l’offensive libérale se déployait dans tous les domaines à partir de la prise de contrôle idéologique dans les médias, « la pensée unique ». Cette conquête des médias par les propriétaires zélés du capital et leurs subordonnés constitue une étape fondamentale d’un changement radical dans les conditions de la lutte politique qui ont basculé en faveur du capital et des blocs au pouvoir libéraux partout dans le monde, question-clé qui reste toujours de pleine actualité.

La grande invention de l’offensive libérale était de combiner son action dans chacun des pays avec l’action de la nouvelle bureaucratie européenne bruxelloise devenue libérale, fortement appuyée désormais par le revirement anglais et son entrisme militant et lobbyiste dans les institutions. Toutes les régulations un tant soit peu démocratiques de la construction européenne historique, un certain type de balance chez ses leaders entre volonté d’avancer et temps d’assimilation et de recherche d’appui démocratique, étaient alors mises à la poubelle, avec cette géniale invention permettant de fabriquer des « lois » européennes s’imposant à tous, les directives, hors de tout cadre parlementaire démocratique, et de charger une bureaucratie non élue, transformée en exécutif, de les mettre en œuvre ; tout cela au service du règne d de la nouvelle religion, celle du « tout marché » et du « tout concurrence ».

Parallèlement, tous les pays de l’Europe de l’Est, désireux de profiter de l’affaiblissement russe du moment, se portaient candidats à l’Union. Alors que l’Espagne, le Portugal et la Grèce avaient été en stage probatoire pendant de longues années avant d’entrer dans l’Union, il a suffit que ces pays acceptent de se convertir à marche forcée au dogme libéral tout-marché/moins d’État et à son deal grossier avec les élites gouvernantes : « privatisez vos actifs industriels et de services, toutes vos rentes, en acceptant qu’elles soient accaparées par les firmes de l’Ouest et nous vous octroierons en retour l’accès aux privilèges des élites de l’Union ».

L’élargissement européen, ajouté aux succès libéraux ouvrant économiquement l’Europe tous azimuts, était réalisé à une telle vitesse et dans de telles conditions qu’il est devenu rapidement lumineux que le pactole né du pillage de l’Est, se payait par une évolution radicale de l’Union sombrant désormais dans l’impuissance complète. Certes, cette situation convenait fort bien aux libéraux anglais, (variante social-libérale Blair incluse, sorte de thatchérisme autoritaire adouci de plus de charité) ainsi que leurs alliés en Europe dont Aznar et Berlusconi. Mais, à l’opposé, les intérêts industriels de l’Europe ne pouvaient se satisfaire d’une dépendance complète vis-à-vis des États Unis. Ceci n’a pas manqué d’être visible au fur et à mesure des difficultés américaines nouvelles et a éclaté avec l’arrivée au pouvoir de Bush fils et de la guerre en Irak. Les divisions de l’Europe sur ce sujet sont le résultat de cette situation que Chirac a fort bien exploitée.

15 ans d’impuissance américaine à exploiter les évènements qui lui étaient favorables

A y repenser, au delà de sa superbe réussite en matière d’accumulation en faveur du capital financier mondialisé, on ne peut qu’être frappé par l’incapacité de l’impérialisme américain sous direction du bloc au pouvoir financier, à profiter des événements favorables dont il a hérité depuis 15 ans.

L’effondrement soviétique ? Dans les ex-républiques de l’Union, celles de l’Ouest se sont ralliées à l’UE sans autre avantage que diplomatique pour les USA. Ceux-ci, bien que jouant avec le feu via la CIA, ne sont pas parvenus à satelliser ces républiques pour piller leurs ressources naturelles. Au contraire, le retour d’un pouvoir bonapartiste en Russie avec Poutine a opéré une reprise en main publique sur la rente gazière et pétrolière et sur d’autres secteurs productifs.

La conversion de l’Europe en Union libérale impuissante ? Elle n’a pas empêché la résistance des français et allemands et de Chirac entraînant Schroeder et d’autres, contre la guerre en Irak.

L’affaiblissement de Saddam Hussein après l’échec de la guerre avec l’Iran ? Les USA ne prennent aucune initiative vis à vis de l’Irak et, de fait, ils portent la responsabilité de l’offensive de 1990 contre le Koweït. Puis ils persistent après avoir gagné la guerre du désert, sans propositions ni vis à vis de l’Irak, ni dans la région pour imposer à Israël un État palestinien. De fait, ils ne cessent de renforcer l’islamisme et sa fraction sunnite organisée Al Quaïda qui va leur porter le coup terrible du 11 septembre 2001. La seconde guerre avec l’Irak, avec la même cécité américaine, va provoquer la guerre civile, le renforcement sunnite et celui de l’Iran, et celui des réseaux Al Quaïda.

La crise de l’impérialisme japonais ? Le « colosse » japonais tant vanté s’est révélé avoir un tendon d’Achille, l’opacité et la corruption de sa face féodale interne qui, bien exploitée par la finance américaine à l’occasion de la crise boursière asiatique, l’a très fortement affaibli et même en partie neutralisé. Mais il est frappant de constater que les États Unis, loin de tenir compte de leur expérience avec le Japon allait montrer la même cécité avec la montée de la Chine, nouvelle grande puissance.

Ainsi, les USA sous direction de sa fraction financière n’ont eu aucune direction stratégique véritable et n’ont cessé d’aller de crise en crise sans exploiter des avantages dont ils héritaient. Cette cécité trouve sans doute sa source dans le fait que, malgré les crises et l’accumulation de risques, le capital financier américain mondialisé ne cessait de trouver les moyens de fuite en avant lui permettant de continuer à maintenir des taux de profits élevés et, par ailleurs, dans le fait que la poursuite du modèle de vie américain pétro-dépendant et énergétiquement vorace était garantie, profitant à la fraction représentée par les multinationales pétro-gazières et à la fraction gouvernante sous les Bush, celle des grandes firmes sous-traitantes de celles-ci.

Mais avec la Chine superpuissance, les choses deviennent autrement sérieuses...

Impossible de revenir ici en détail sur la longue histoire qui conduit à la révolution chinoise et à sa victoire en 1949 puis à la construction de la Chine sous Mao Tse Toung puis Deng Xiaoping. Rappelons seulement que jamais n’a été effacée l’humiliation qu’ont représentées l’occupation de la Chine par les grandes puissance avant-guerre puis, surtout, la victoire et l’occupation japonaises.

D’une part, il est vrai que le mode de production asiatique a sans doute imposé et rendu possible une clairvoyance politique qui a permis, à la différence de l’URSS, le développement de la petite production marchande notamment agricole. Il fallait cette clairvoyance pour que les masses chinoises ne vivent pas durablement, comme en URSS et sauf lors de quelques années de crise, les pénuries alimentaires et de biens élémentaires.

D’autre part, après une étape de développement industriel intérieur, incluant certains épisodes de conquêtes et de colonisation de certaines régions périphériques, la volonté politique de faire de la Chine une Nation puissante qui surpasse le Japon et ne tombe pas dans l’impuissance et la paralysie soviétique, a surement été un des éléments essentiels à l’origine de l’adoption de la voie du développement extra-centré. Après Deng Xiaoping, la mise en œuvre accélérée de cette voie par Jiang Zemin et le groupe de Shanghai a été un succès total vu ses objectifs, et ce n’est seulement que maintenant, avec les inflexions que Hu Jintao annoncent que ce développement à marche forcée peut être mené en redressant ses effets les plus pervers vis à vis des couches populaires et de l’environnement.

Nous ne sommes pas en mesure ici de faire le tour de la lourde question de la Chine sinon pour ouvrir un débat. Pour cela nous avancerons quelques points.

Globalement, un constat : la Chine est devenue en 10 ans une puissance de premier ordre au plan mondial alors qu’elle ne domine pas directement ou indirectement d’autres pays (le cas du Tibet peut être discuté, mais plutôt comme une présence coloniale, si on l’envisage autrement que comme l’était le cas des possessions papales vis à vis de la construction de l’Italie comme nation). En cela, la Chine semble être dans la même situation que l’était les États Unis avant-guerre (mais on ne peut oublier cependant ses guerres, avant 1914, contre le Mexique puis l’Espagne, Cuba, Porto Rico). En ce sens, on ne saurait parler d’impérialisme chinois.

L’accumulation du capital qui a été réalisé ces 25 dernières années, tant pour la demande intérieure que pour la transformation du pays en « Atelier du Monde », a été gigantesque et elle a été quasi uniquement nationale, les apports extérieurs étant relatifs à la technologie. Nous sommes loin des formes historiques mises en évidence par Braudel qui lient la succession des États Monde, de Florence et Gênes à Amsterdam, d’Amsterdam à Londres, de Londres à New York. Avec à chaque fois exportations de capitaux et de biens industriels. Expliquer cela n’est sûrement pas simple. Cela renvoie à la performance du bloc au pouvoir chinois et de ses formes d’exercice du pouvoir. Ce n’était pas facile de garantir aux masses chinoises rurales et urbaines aussi nombreuses des conditions de vie et un progrès certes lent mais réel, et d’obtenir en échange un appui suffisant pour que leurs immenses efforts, parfois leurs sacrifices, soient convertis en actifs industriels destinés à la production de biens bien sûr en grande partie pour l’intérieur mais aussi en priorité pour l’extérieur. Aucun pays capitaliste n’a conduit sa révolution industrielle à une telle vitesse avec un consensus aussi majoritaire, en dépit des multiples révoltes locales de ce pays, sans cris grave.

Évidemment, c’est dans la sphère idéologique et dans la sphère politique et médiatique, avec les spécificités de PCC que se trouve sans aucun doute la réponse. En tout cas, la cause interne étant prédominante, on peut dire que la bourgeoisie industrielle d’État qui s’est constituée et s’est alliée avec la bureaucratie a su conquérir tout le pouvoir en Chine et la transformer en une force telle quelle est devenue un des problèmes majeurs posé à l’impérialisme américain. A cet égard on ne peut que s’interroger sur le fait que, au final, avec ses spécificités, le bloc au pouvoir chinois peut être analysé comme parent du bloc au pouvoir rooseveltien, en quelque sorte une version proche du compromis entre classes.

Le modèle chinois est entré en résonance avec le projet libéral...
Mais la réussite chinoise, qui probablement surpasse désormais celle du bloc au pouvoir rooseveltien, est due également au fait que son projet est entré en résonance au bon moment historique où il était utile et où il pouvait jouer un rôle clé dans le nouveau projet économique et financier des blocs au pouvoir libéraux américain et européens.
En effet, l’offensive libérale pour surmonter les crises des années 70-80 et retrouver un niveau d’accumulation élevé s’est développée tous azimuts.

D’un côté la lutte pour le partage et le repartage des rentes a conduit à de larges processus de privatisation et de libéralisation/concentration, avec le cortège de prélèvements nouveaux imposés aux couches populaires par des prix plus élevés des biens et services fournis.
De l’autre, l’action combinée des firmes et des États a enclenché une lutte sans merci de celles-ci pour un nouveau partage capital/travail en leur faveur. Que ce soit à l’occasion ou non de changements des processus de production et de technologies, les firmes ont utilisé la délocalisation massive d’une partie de leurs activités comme menace nouvelle s’ajoutant à celle du chômage de masse organisé, pour contraindre à la remise en cause du partage antérieur.

Les délocalisations de la production ont eu lieu dans tous les pays périphériques et ont été alliées avec les importations massives de tout ou partie des biens à des prix bas. Parallèlement les mêmes firmes industrielles et toutes les firmes de distribution, devenant dominantes dans maints domaines grâce à leur alliance avec le capital financier, ont trouvé des sources de profits nouveaux dans l’importation massive permise par le nouveau modèle libéral mondialisé.

Le résultat ? La Chine est devenu l’Atelier du Monde et les États Unis et l’Europe importent un nombre considérable de biens de ce pays. Le projet politique chinois de développement extracentré s’est parfaitement « emboîté » jusqu’à aujourd’hui avec le projet libéral. Derrière la Chine, viennent la Corée, Singapour, la Thaïlande, le Vietnam et se profile l’Inde (mais dans d’autres conditions et plutôt d’abord pour les services). L’autre puissance montante qu’est le Brésil relève d’un autre type de modèle, extracentré lui aussi, exportateur de matière peu transformées et restant régional pour les biens industriels.
La puissance et la dynamique chinoise viennent désormais se heurter frontalement aux États Unis...

De puissance industrielle, la Chine est en train de devenir puissance financière. En rachetant les dollars et les bons du Trésor américains aux volumes énormes correspondant à l’étendue des déficits des USA, la Chine en devient un détenteur exceptionnel qui se trouve de fait dans la position de soutien du pouvoir américain et de ses projets. Jusqu’à quand, jusqu’à quel point la Chine peut-elle faire durer cette situation ? Désormais, on le voit, il suffit d’une déclaration d’un officiel chinois sur ses achats de devises ou de bons du trésor pour que se déclenche la spéculation contre le dollar avec effets sur le cours du pétrole ! Un nouvel arbitrage en Chine en faveur des couches populaires dans la foulée des déclarations de Hu Jintao au Congrès du PCC peut-il conduire à une redistribution complète des cartes ? Et à un changement de posture vis-à-vis de Bush ? On comprend que nombreux sont les experts américains y compris du Pentagone qui pensent que la Chine soutient Bush comme la corde soutient le pendu, et qui cherchent comment sortir de cette situation. Ces questions sont d’autant plus brûlantes que la crise des systèmes bancaires et financiers va de rebonds en rebonds, de bulles en bulles. Le récente crise née des sub-primes dans l’immobilier va contaminer la sphère productive et entraînera des conséquences économiques lourdes. Dès lors que le capital financier a réduit par la désindustrialisation les bases saines nationales de l’accumulation, l’inventivité des financiers, des fonds spéculatifs ou non, ne suffit plus à masquer les risques pris, les pertes et la baisse des profits. Bref, la crise est ouverte officiellement. Elle est d’ailleurs accentuée par la concurrence des fonds « souverains », c’est à dire publics et d’État gérés très différemment des autres et venant de Norvège, des Émirats, et ... de la Chine.

L’émergence de la Chine n’a pas seulement une forte dimension désormais financière.

Elle est le catalyseur de la crise climatique planétaire. Pour quelles raisons, en 10 ans, la question du réchauffement climatique né de la production de CO2 a-t-elle fait un saut qualitatif de cette nature au point que les projections les plus pessimistes ont été dépassées ? Pas seulement parce que les USA ne se sont pas engagé dans la politique adoptée à Kyoto. Parce qu’au modèle américain surconsommateur d’énergie (modes de vie, de transport, de logement et de locaux pétro gaspilleurs) se sont ajoutés, avec un effet multiplicateur, les conséquences du surgissement de la Chine comme Atelier du Monde, atelier dont l’énergie est le charbon surproducteur de CO2. Deux milliards de tonnes de charbon environ produites et consommées cela donne plus de 1,5 tonne par habitant, ce qui ferait 90 millions de tonnes de charbon pour la France ! C’est gigantesque ! La Chine est récemment devenue le 2° producteur de CO2 du Monde et sera bientôt le premier. Ses besoins en énergie supplémentaire importée, c’est à dire en pétrole et gaz, sont de telle grandeur qu’ils alimentent toutes les spéculations sur les prix de ces énergies et sur les scénarios de lutte de la Chine pour l’accès à des ressources pétro-gazières.

Ici, on aurait envie de revenir longuement sur l’histoire de la domination pétrolière, celle des firmes pétrolières anglo-saxonnes et leur articulation avec la puissance impériale britannique puis américaine. Elle est constamment jalonnée de crises graves et de guerres. La zone géographique-clé, c’est le Moyen Orient, la péninsule arabique, l’Irak, l’Iran, avec dans cette zone la Palestine et Israël. Contrôler cette zone, ses ressources à bas prix, c’est s’assurer l’avantage décisif dont un empire a besoin. C’est aussi en tirer des profits considérables à condition de créer et de pérenniser un mode de production et un mode de vie dépendant du pétrole.

Le nombre et l’importance des alertes n’ont pas suffit à changer la cécité de l’impérialisme américain pétrodépendant, première forge du réchauffement climatique et de ses conséquences catastrophiques...
L’Iran de Mossadegh nationalise en 1951 ? Voici le Shah mis en place. Le Shah chassé par Khomeiny en 1978 ? Voici l’Irak des Saddam Hussein lancé dans la guerre contre l’Iran en 1980. Saddam Hussein envahit le Koweït en 1990 ? Voici tempête du désert et la guerre. Mais cela ne suffit pas aux grands stratèges conseils de Bush : il leur faut faire la guerre en envahissant l’Irak pour mettre la main sur ses ressources pétrolières, en invoquant l’idée-masque d’un nouvel ordre « démocratique » dans la région (bien sûr est décrété démocratique tout ce qui permet aux américains de capturer les ressources d’un pays). Opération rendue plus intéressante depuis que le pétrole du Venezuela n’est plus sous contrôle américain.

Avec Bush fils, la fraction régnante aux États Unis qui l’accompagne a pourtant fait une évolution stratégique qui est née lors du projet d’invasion de l’Irak. Les grandes sociétés sous traitantes de firmes pétrolières type Halliburton jouent désormais un rôle majeur dans la recherche et la mise en valeur des hydrocarbures et elles se sont progressivement taillées une part telle du gâteau de la rente pétrolière que leur rôle est désormais contesté en partie par ces firmes.
La nouvelle option stratégique est celle des prix élevés du pétrole. Elle s’énonce ainsi : « nous, communauté de tous les métiers pétroliers, nous devons regarder la situation en face et faire d’une immense menace une plus grande opportunité ; l’existence du pic pétrolier dans les années en cours, qui conduira à une réduction de la production de pétrole, doit nous conduire à faire partager l’idée que le pétrole doit avoir un prix élevé ; ce prix élevé lui, nous procurera des gains encore plus importants qu’avant, avec en perspective le doublement de la rente pétrolière pourvu que nous en concédions une partie aux pays producteurs et surtout que nous restions tous unis, firmes et sous-traitants, derrière notre meilleur garant de cet ordre pétrolier, le Président américain ».

La validité de cette réorientation stratégique est avérée depuis 4 ans. Les hausses de prix du brut sont savamment entretenues et justifiées par les mécanismes des bourses du pétrole qui fixent ces prix régulièrement soutenus par les annonces ou évènements mis en avant pour provoquer ces hausses ou les maintenir dès que le mouvement pourrait trop s’inverser. Tout cela bénéficie de l’ambiance créée par le réchauffement climatique et l’aveuglement de beaucoup qui voient dans la hausse des prix du pétrole le moyen de changer la trajectoire de la production de CO2 et la solution des problèmes climatiques. Que les libéraux reconvertis nous servent ce discours sur le prix du pétrole, c’est évident, mais là où le scandale arrive c’est lorsque c’est un ex-ministre vert qui entame cette litanie à la radio sans signaler que cela, ces prix élevés du pétrole à 100 dollar le baril, augmentent considérablement la rente pétrolière au profit des firmes pétrolières et aux dépens des ménages sans que soient réorienté sérieusement le système productif en vue de réduire vraiment la production de C02.

Cependant, les mécanismes à l’œuvre ne peuvent, à ce niveau là de prix du baril si vite atteint, ne peuvent qu’avoir de lourdes conséquences récessives vu l’ampleur du prélèvement qui, au final sera supporté sur les ménages, entraînant une réduction de leur demande seul moteur de croissance (les investissements productifs sont désormais pour l’essentiel faits hors des USA et Europe). Cette baisse de la demande euro-américaine ne peut qu’entraîner un ralentissement des exportations de la Chine. Ainsi nous allons vivre, un peu plus tôt, un peu plus tard, la propagation conjuguée de la crise financière et de la crise pétrolière. Elles vont probablement entrer en résonance dans la période qui vient.

Ces deux crises, financières et pétrolières, sonnent le glas des trente glorieuses libérales et appelleront des changements profonds. La Chine, devenue puissance de premier plan dans la plupart des domaines sera appelée à des choix fondamentaux.

Progressivement, le groupe de Shanghai de la croissance extracentrée à tout prix a commencé de perdre de l’influence. Sous la pression et l’ampleur des révoltes et luttes locales, notamment contre les conséquences désastreuses pour les travailleurs et les populations du mode de production industriel actuel qui a des impacts calamiteux sur la santé et l’environnement, une inflexion « plus humaine » a été décidée, mais son ampleur et sa réalité ne sont pas établies.

Les surplus dégagés par le modèle extracentré sont tels que leur réduction consécutive à une récession aux USA et en Europe peut être amortie dans certaines limites si, de plus, une part de l’importante épargne des nouvelles couches est reportée sur la consommation et sur les investissements de sauvegarde de l’environnement. La Chine joue par ailleurs un rôle majeur dans l’intensité possible de la crise financière américaine, Mais elle n’a pas les moyens de peser à cour terme sur la crise pétrolière sinon par ses effets d’annonce.

Or c’est dans le champ énergétique que se situent des enjeux majeurs.
Le modèle extracentré chinois actuel est énergie-vorace, hyper producteur de CO2, vu le rôle tenu par le charbon national comme il ne l’est plus dans aucun pays actuel. Face à la crise environnementale engendrée par le charbon et le CO2, la Chine renforce sa production d’électricité à partir du nucléaire d’une part, et augmente sa consommation de pétrole et de gaz d’autre part. Cette demande sur le plan international est une des raisons de la spéculation à la hausse sur les prix boursiers du baril. Certes, une récession générale peut ralentir ce phénomène, voire l’inverser brutalement de façon temporaire. On verra ce qui se passera sur ce plan juste avant les élections américaines et si les amis pétroliers de Bush feront ou non ce cadeau aux républicains, ou bine si les grandes firmes pétrolières attendront et jouerons ainsi une victoire démocrate. Mais le changement des fondamentaux énergétiques chinois demandera au mieux une décennie. A l’extérieur, c’est la Russie qui jouera le rôle majeur, selon les grands contrats pétroliers et surtout gaziers qu’elle acceptera de passer avec la Chine, mais aussi selon la vitesse à laquelle les oléoducs et gazoducs géants pourront être construits. Par ailleurs, la Russie sait que la Chine peut être mise en concurrence, d’un côté à l’Est avec la Corée, le Japon, l’Inde et les autres pays asiatiques, et de l’autre avec l’Europe à l’Ouest. Au total, comme il est probable que la Chine se refuse à une confrontation directe avec les USA à propos du pétrole, se contentant d’un grignotage, c’est bien l’énergie et la contrainte environnementale qui sont le tendon d’Achille dans son affrontement de grande puissance industrielle et financière avec l’impérialisme américain.

On comprend dès lors que commence à émerger en Chine même, mais à titre seulement expérimental, un projet Énergie-CO2-Économes, ses promoteurs mettant en avant l’idée que si la Chine s’engage dans une révolution industrielle et de mode de vie de ce type, alors ce pays prendra définitivement l’avantage sur son concurrent américain et le reste du Monde. Ce projet visionnaire est encore loin de devenir le projet stratégique pour le pays, mais son apparition récente nous oblige à approfondir ce qui se passe sur ce plan aux États Unis.

De Milton Friedman, prix Nobel en 1976, à Al Gore et au GIEC prix Nobel en 2007 ...

Certains évènements jouent un rôle particulier au plan mondial dans la sphère idéologique, domaine clé annonciateur de toute fin d’un pouvoir et de toute prise de pouvoir nouvelle : c’est 1905 qui a annoncé 1917. En 1976, Milton Friedman se voyait attribuer le Nobel d’économie, annonciateur de la « révolution libérale » et de la fin des trente glorieuses rooseveltienne. C’est pourtant le démocrate Carter qui gagnait les élection cette année-là, mais en 1980 arrivait Reagan et la prise du pouvoir par le bloc libéral. En 2007, c’est Al Gore, ex vice-président de Clinton qui a reçu le Nobel (de la Paix) avec le GIEC pour son action environnement et pourtant c’est Bush fils qui avait été réélu en 2004 avec une ligne anti-Kyoto. Comment ne pas voir dans cette année 2007 l’année symbolique de la fin des trente glorieuses libérale comme le fut 1976 ?

Que sera le projet stratégique américain après les élections de 2008 ? Écolo-business ou projet de changement radical de mode de vie et de production et de modèle énergétique.

Rien n’est décidé, mais cela vaut la peine d’y réfléchir, surtout dans l’hypothèse d’une victoire électorale démocrate, fort possible.
Mme Clinton peut s’en tenir à suivre les traces de son mari président : assainir les équilibres budgétaires et financiers, revenir à des programmes sociaux et les renforcer, en finir avec la guerre en Irak, imposer à Israël un État palestinien, et engager le pays dans un projet environnemental réformiste : ce projet est un post Kyoto tranquille, fondé sur l’idée que l’écolo-business et le marché amélioreront la trajectoire et qu’il est pour cela naturel que ce soient les citoyens qui acceptent un nouveau partage capital-travail en réduisant encore puis en maintenant une part travail basse imposée par les libéraux, cela afin de permettre de dégager une part capital nécessaire pour les changement environnementaux sans toucher à la part capital qui alimente la fraction financière, ni au système de rapports USA-Chine.
Dans ce projet, les grands équilibres du bloc au pouvoir américain ne seraient que retouchés, avec un recul léger mais un maintien du pouvoir de la fraction financière, bien que la fraction régnante des pétroliers sous-traitants amis de Bush soient rejetée et que le capital industriel américain soit de nouveau en partie aux affaires.

Dans cette hypothèse, après une période de répit engendrée par le rétablissement postélectoral de la confiance, les éléments fondamentaux générateurs des crises actuelles restant inchangés (crise énergétique, crise environnementale et crise de la finance mondialisée), l’impérialisme américain ne pourrait trouver de solution au caractère répétitif des crises. L’instabilité s’installerait durablement, entraînant au plus bas l’Europe, maillon faible parce que resté libéral et impuissant. Certains, au Pentagone notamment, ne manqueraient pas de préparer la confrontation dure avec la Chine pour l’asservir aux intérêts américains, solution qui appellerait le retour d’un républicain nouveau Bush. La guerre, oui, est une possibilité qui pourrait surgir entre USA et Chine.

Un autre projet américain démocrate émergera-t-il ? Un projet radical Énergie-CO2- Économes avec changement sociétal et productif profond, avec retour de la fraction industrie-services dans le bloc au pouvoir pour le mettre en œuvre ? Dans ce projet, la nouvelle répartition capital-travail consiste à redonner la part au travail du projet rooseveltien et à redéployer une autre et grande part au profit du capital environnemental, tout cela aux dépens du capital financier.
Tout dépend des manifestations de la crise qui vont marquer la fin des trente glorieuses libérales. Seront-elles suffisantes ? En effet, il a fallu une crise aussi considérable que celle de 1929 pour produire le pacte rooseveltien. A cet égard ce que fera et ce qui va se passer en Chine sera décisif. En effet, ni le Japon affaibli, ni l’Europe libérale actuelle ne peuvent jouer un rôle de premier plan mondial et la Russie, après la présidence Poutine sera en transition.

En Europe, et en France ... les évolutions du PS et ses erreurs
Avec la fin des trente glorieuses libérales, l’Europe ne peut que continuer à voir sa crise s’approfondir. L’autodestruction de tous les instruments et mécanismes porteurs d’une voie social-démocrate liquide les bases politiques des partis sociaux-démocrates, qui sont désormais entraînés vers le social-libéralisme, ce qui contribue à la destruction de l’espoir en une Europe plus sociale et plus solidaire.
L’évolution de ces partis est marquée par la prééminence d’une petite bourgeoise qui a tout intérêt à remplacer la lutte des classes par la lutte des places. Le fait central est probablement la contamination idéologique par le libéralisme où tout ce qui est idéal, projet ou pouvoir de nature collective est remplacé par le tout-individu, le moi-je, prééminents.

Dans cette dégénérescence, ce n’est pas un hasard si l’idée même de coalition politique a été évacuée par le PS français, si le centrage sur la personne du candidat aux présidentielles est apparue, et si une majorité de ses adhérents s’est ralliée à la personne présentée par les médias (bien en main du sarkozisme) comme pouvant gagner en tant que personne. Pire, ce mouvement a conduit à la destruction de tout projet collectif de gauche tel qu’il fut incarné avec l’Union de la gauche, par le PS de Mitterrand, coalition de ses 4 courants internes : socialisme de tradition française de réformes radicales, social-démocratie à l’européenne, sociaux-libéraux, socialisme plus libertaire issu de 1968.
Épousant les arguments et campagnes de la Droite et de ses médias contre les « éléphants » (espèce disparue hors Mauroy pourtant), lesquels avaient pour but de faire le vide et d’écarter les dirigeants aguerris (Fabius, DSK, Martine Aubry, ...), un nouveau courant apparemment fourre-tout mais de fait blairiste à la française avec sa dimension économique et social-autoritaire (mise en avant des « valeurs » d’autorité, de famille, de drapeau et de nation, mise au carré des familles et immixtions dans la vie privée, ..), allait se constituer et surtout conquérir la majorité des voix des adhérents.

On connait le résultat de ce projet qui ne pouvait représenter un projet de gauche alternatif au candidat de la Droite et qui, pire, l’a servi en maintes occasions. A noter qu’il a provoqué la défiance de beaucoup d’électeurs de gauche soit votant contraints soit, pour 6% des votants se reportant sur le candidat du Centre. Sans oublier les 4% de blancs et nuls du 2° tour. Pourtant, loin d’être une débâcle du camp populaire, qui pour certains aurait disparu et pour d’autres serait devenu versatile, ce résultat confirme une constante historique de celui-ci : la gauche populaire a toujours sanctionné dans les urnes les erreurs de ceux qui prétendent la représenter.

Nul besoin de remonter aux sanctions populaires contre Guy Mollet et son parti qui ont conduit à la liquidation de la SFIO. En 2002, la sanction populaire s’était exercée contre le candidat Jospin et en 2004 contre Hollande et la majorité du PS lors du référendum européen. A l’inverse, les législatives ont bien marqué l’existence et la constance d’un vote populaire en rééquilibrant le résultat des présidentielles.
La majorité du PS d’aujourd’hui espère qu’une majorité d’adhérents en finira avec l’étape précédente de Royal et son cercle restreint. Hollande, qui avec Jospin, est le grand responsable de la situation qui a conduit aux échecs de 2002, 2004 et 2007, continue sa gestion de notaire et joue sur le fait que les citoyens vont vouloir sanctionner le pouvoir sarkoziste en utilisant les municipales de mars 2008. DSK s’est mis à Colombey-Washington, et il sera aux premières loges pour voir ce qui se passera pour le projet démocrate et préparer son retour. Fabius est pertinent mais très prudent.

Pourtant, c’est maintenant que le PS aurait le temps de se poser les vraies questions et de préparer un nouveau et grand projet alternatif marquant un changement radical vis-à-vis de la période précédente.
Celui-ci ne peut partir que du constat que les trente glorieuses libérales sont en crise et nous conduisent à la catastrophe en France, en Europe, au Sud et pour toute la planète. Que la question du réchauffement climatique est devenue centrale s’ajoutant à celle de la lutte contre toutes les inégalités, et que seul un projet collectif de nouvelle société solidaire, économe en énergie et C02, marquée par un changement radical de modes de vie et de production avec au centre la fin des inégalités, seul ce projet est une réponse aux crises actuelles. Sans un tel projet collectif qui peut partir à la conquête idéologique de larges couches sociales, point de passage obligé de tous changements, avec comme moyen la construction d’une coalition pour le porter, la gauche sera condamnée et le PS avec.

....plus les erreurs de la gauche non PS

Or le PS ne peut à lui seul produire un tel projet, ce qui nous conduit à faire le point sur les forces de gauche non-PS. Rappelons que la victoire de Jospin aux législatives de 1997 était l’aboutissement d’un processus de confrontation et de renforcement mutuel, à cette occasion, entre toutes les forces de gauche qui avait conduit au gouvernement dit de gauche « plurielle ». Celui-ci faisait une place significative au PC, aux Verts et à Chevènement et ses camarades. Le PC avait plutôt consolidé une influence alors en déclin mais il allait payer son silence et la caution apportée au virage pro-Europe libérale de Jospin 2, avec notamment l’acceptation de l’impuissance politique face aux délocalisations. Ces dernières années d’offensive libérale, de poursuite des délocalisations et de démantèlement des bases ouvrières concentrées des ateliers français, n’ont fait que renforcer le mouvement de déclin du PC bien que sa force militante reste élevée. Les Verts ont connu la même tendance avec déclin au plan national alors qu’ils s’enracinaient au plan municipal et, ceci, pour les mêmes raisons d’alignement sur les compromissions de Jospin mais aussi par incapacité de se saisir de la question-clé de leur domaine : le réchauffement climatique comme conséquence de la mondialisation libérale, au moment même où les citoyens y devenaient de plus en plus sensibles.

Fort heureusement depuis le début des années 2000 émergeait puis se consolidait le mouvement altermondialiste, dont l’irruption dans un grand nombre de pays au Nord et au Sud allait être le signal de l’offensive contre le libéralisme et de sa première défaite idéologique. Défaite de l’idée, alors véhiculée par la pensée dominante, selon laquelle rien ne pouvait s’opposer à la victoire de la mondialisation libérale. En France, ce mouvement allait entrer en parfaite conjonction avec l’attente d’une réponse radicale antilibérale, alternative au virage social-libéral. C’est dans ce contexte et persuadé que l’accord du PS lui suffirait, que la Droite a offert ce formidable cadeau du référendum européen à la gauche non PS. Celle-ci est parvenue à bâtir une vraie coalition qui s’est renforcée grâce à la fracture du PS et à la position courageuse pour le Non de Fabius. Cette coalition est parvenue à entrer en résonance avec la gauche populaire. D’où la victoire du Non devenu symbole du refus de l’Europe libérale et des politiques suivistes à son égard, symbole du non aux délocalisations, aux privatisations, aux libéralisations, à la dégradations des services publics, de l’emploi, du pouvoir d’achat et des conditions de vie.

Cette victoire du Non est aussi remarquable que le sont ensuite les erreurs et les échecs de la gauche non PS. L’objet ici n’est pas de les identifier et de les analyser toutes par masochisme. En faire le tour serait ici trop long. Relevons quand même à quel point ont pu régner l’infantilisme et l’amateurisme. Très tôt, le refus d’inclure Fabius dans une coalition alternative, avec la prétention d’en finir avec un front antilibéral pour « construire un front anticapitaliste », allait être l’indicateur avancé des échec futurs. Après cela, arrivait la prééminence donnée à la présidentielle et au choix d’un candidat sur la construction de propositions et d’un programme commun et celle d’une coalition pour la porter, centrée sur les législatives et un gouvernement d’alternance. Dès lors, cela ne pouvait que se terminer aussi mal, avec candidatures multiples et sanction par les électeurs de la gauche populaire. Les ondes engendrées par ces échecs n’ont pas fini de produire leurs effets, d’autant que chaque organisation partage la responsabilité des échecs et n’a pas encore conduit jusqu’au bout l’analyse de ses erreurs. A cet égard, notons que si certains ont pu parler de désastre de la gauche non PS, c’est que le mouvement altermondialiste n’a pas été épargné en raison de la folle candidature Bové, perçu précédemment comme son principal porte-parole, candidature qui a éclaboussé ce mouvement alors que l’altermondialisme avait été une des bases essentielles sur laquelle avait été surmonté l’échec de Jospin et d’où avaient été réunies les conditions de la coalition victorieuse du Non. D’où le désamour actuel qui affecte une partie de ses soutiens antérieurs.

A partir d’une réussite et d’un échec, on peut tirer de quoi rebondir
A bien y regarder, ces deux expériences, la positive conclue par le référendum et la négative conclue par les élections de 2007, constituent pourtant un capital inestimable si chaque composante sait en analyser les points forts et les erreurs afin de s’en servir pour repartir à l’action dans la période à venir. Ne prenons que deux exemples. Pour négatives quelles soient, les élections de 2007 marquent le pas en avant décisif, dans le champ de l’intervention politique du pouvoir jusqu’aux élections, de ceux qui se réclament du mouvement social contre la mondialisation libérale. Cette intervention relègue au loin l’impuissance de ceux qui refusent ce champ, pour ne pas se salir les mains peut-être en se limitant à la « conscientisation » rebaptisée éducation populaire, version laïque moderne de l’action catholique. En même temps, c’est bien l’absence de formulation d’un projet collectif, d’un programme et d’une coalition qui ont ouvert la porte au jeu de personnes et aux combines. S’agissant du référendum, a-t-on tiré suffisamment de leçons de la victoire du non ? Sur ce plan, c’est bien parce que il y a eu une entrée en résonance concrète avec les citoyens refusant le libéralisme et ses effets (licenciements, délocalisations, privatisations, services publics, etc..) que la victoire put se construire et non parce que des idées abstraites ont été mises en avant. Dès lors, autant la lutte idéologique contre le libéralisme justifie la poursuite des rassemblements mondiaux altermondialistes, autant il n’est plus possible de tourner de capitales en villes européennes pour manifester sur ce plan en continuant à épargner Bruxelles, centre du pouvoir de l’Europe libérale, où tant de secteurs de tant de pays frappés séparément seraient prêts à converger pour dire Non et montrer leur colère, jusqu’à ébranler la forteresse derrière laquelle se cachent les gouvernants. Car il faut bien se rappeler que c’est en s’appuyant et en donnant toute leur place aux luttes sociales que les conditions d’un rebond seront réunies.
Parallèlement, c’est dans les cercles les plus variés que pourront être menés les nécessaires débats sur la période précédente, la situations actuelle et les propositions. Et pour la gauche non PS comme pour le PS les questions sont les mêmes, avec en premier lieu celles-ci : dans quelle phase historique sommes-nous ? Où nous conduit la poursuite de la phase actuelle ?

Pour avancer, nous mettons au débat 3 thèses :

thèse N°1 : nous sommes dans la phase de crise généralisée des trente glorieuses libérales ; la poursuite du projet libéral et de son mode de production et de vie conduit à une catastrophe inéluctable par la destruction de tout projet collectif, par le développement des inégalités et par le désastre climatique qui frappera d’abord les plus pauvres et les plus fragiles

Thèse N°2 : il est donc indispensable de formuler un projet collectif de nouvelle société solidaire, économe en énergie et CO2, et capable de répondre aux crises actuelles. Ce projet suppose une rupture radicale dans les modes de production et de vie et il a une dimension locale, nationale, européenne et mondiale. Il vise à une nouvelle répartition capital-travail aux dépens du capital financier, en restituant d’une part au travail une part fortement accrue et d’autre part au capital la part nécessaire aux changements environnementaux fondamentaux. Ce projet est radicalement différent du projet libéral et social-libéral qui tente de faire croire que l’écolo-business et le marché bien accompagnés peuvent changer les effets des crises actuelles sans s’attaquer aux causes. Il marquera une rupture avec l’Europe libérale pour être conduit par un sous-ensemble ad hoc de pays qui relancera une nouvelle Europe sur de nouvelles bases : France, Italie, Espagne, Allemagne si possible, etc.

Thèse N°3 : pour mener ce projet et conquérir la majorité des citoyens nécessaire à sa mise en œuvre, il est nécessaire de le traduire par des propositions et un programme commun en construisant une coalition qui le portera. Ceci signifie que cette coalition a un caractère antilibéral incluant des forces et des courants qui ne sont pas anticapitalistes. Cette coalition a donc une gauche, une droite et un centre, et c’est de la dynamique sociale, idéologique et politique que dépendent les évolutions et radicalisations ultérieures.

En mettant en débat ces 3 thèses nous espérons contribuer à la reconstruction d’un espoir collectif de transformation à gauche.
Cela se joue dans et hors des organisations, politiques, syndicales et citoyennes. Cela se joue dans et hors du PS et dans et hors de chaque organisation non PS, dans une dynamique et des interactions internes-externes. N’oublions pas le facteur temps dans cette reconstruction : « la patience est une vertu révolutionnaire » mais, « la temporisation c’est la mort ». La forme actuelle de la démocratie est une donnée. Qu’elle ait pris un tour de « dictature de la majorité électorale présidentielle », sans aucun autre véritable contre-pouvoir autre que les luttes sociales, la grève et la rue, est aussi une donnée. Donnée renforcée par le bonapartisme, « vraie religion de la bourgeoisie en France », qui vient de triompher une nouvelle fois ici avec Sarkozy. Surtout, espérons que les municipales ne soient pas l’occasion d’une fuite en avant vers le local, d’une attitude d’autruche alors que la crise du libéralisme est ouverte et que les responsabilités actuelles sont historiques. Tout sera joué en France d’ici moins de 4 ans. Ce qui sera possible dépend de nous, de ce que nous ferons d’ici là. De ce que nous ferons dès maintenant.