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SOUDAN

La crise du Darfour est aussi une crise environnementale

Vendredi 29 juin 2007, par Programme des Nations Unies pour l’Environnement

Programme des Nations Unies pour l’Environnement publie un rapport liant le conflit du Darfour à la crise environnementale que la sécheresse a provoqué dans cette région. Le Darfour est-il le premier conflit né du changement climatique ?

L’investissement dans la gestion et la régénération des ressources naturelles est essentiel à la résolution des conflits et à l’édification de la paix au Soudan, selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement

Il est peu probable que le Soudan connaisse une paix durable si la dégradation environnementale considérable, qui s’accélère rapidement, n’est pas enrayée au plus vite.

Une nouvelle évaluation du pays, y compris la région du Darfour en proie à des troubles, indique que l’effritement rapide des services environnementaux dans plusieurs zones clés du pays constitue l’une des causes profondes à l’origine des décennies d’agitation sociale et de conflits.

L’investissement dans la gestion environnementale, financé par la communauté internationale et à partir des revenus assurés par l’essor naissant des exportations de pétrole et de gaz du pays, jouera un rôle capital dans l’édification de la paix, constate le rapport.

Les questions les plus préoccupantes sont la dégradation des terres, la désertification et l’expansion du désert vers le sud, celui-ci ayant progressé de 100 km en moyenne au cours des quatre dernières décennies.

Ces problèmes sont liés à divers facteurs, dont le surpâturage en sol fragile par un cheptel dont les effectifs ont connu une augmentation spectaculaire, passant de près de 27 millions d’animaux à environ 135 millions aujourd’hui.

Un grand nombre de zones sensibles traversent également une « crise de déboisement », qui a entraîné la perte de près de 12 pour cent du couvert forestier du Soudan en 15 ans seulement. En fait, il se peut que certaines régions subissent une perte totale de leur couvert forestier dans les dix prochaines années.

Par ailleurs, on a de plus en plus de preuves témoignant d’un changement climatique régional à long terme dans plusieurs régions du pays. Ce fait est attesté par la diminution très irrégulière, mais marquée, des précipitations, qui est particulièrement évidente dans les états du Kordofan et du Darfour.

Au Nord-Darfour, par exemple, les précipitations ont diminué d’un tiers au cours des 80 dernières années, constate le rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et de son antenne chargée de la gestion post-conflit et post-catastrophe naturelle.

L’ampleur des changements climatiques relevés au Nord-Darfour est sans précédent et ses impacts sont étroitement liés au conflit dans la région, car la désertification a considérablement aggravé les pressions sur les moyens de subsistance traditionnels qui reposent sur l’agriculture et de l’élevage.

En outre, « les changements climatiques prévus risquent de réduire encore la production alimentaire en raison de la diminution des précipitations et de la variabilité accrue, en particulier dans la ceinture du Sahel. D’après l’évaluation post-conflit du Soudan, une baisse de jusqu’à 70 pour cent du rendement des cultures est prévue dans les régions les plus vulnérables ».

Achim Steiner, Secrétaire-général adjoint des Nations Unies et Directeur exécutif du Programme des Nations Unies pour l’environnement, a déclaré : « Ce rapport présente l’ampleur et les nombreux facteurs de la tragédie du Soudan ?tragédie qui se déroule depuis des décennies, affectant la vie de millions de gens et de milliers de communautés. »

« Toutefois, la signature d’un accord de paix global en 2005 et les événements récents, y compris la décision de déployer une force de maintien de la paix Union africaine-ONU au Darfour, offrent une chance réelle de bâtir un avenir différent pour le peuple soudanais », a-t-il ajouté.

« Il est néanmoins clair que la manière dont l’environnement sera réhabilité et géré au Soudan aura une très forte incidence sur cet avenir et sera déterminante en ce qui concerne le maintien de la paix. La tragédie du Soudan n’est pas seulement la tragédie d’un pays d’Afrique, c’est une fenêtre sur le reste du monde qui met en évidence la manière dont des problèmes tels l’épuisement incontrôlé des ressources naturelles, comme les sols et les forêts, conjugués à des impacts comme les changements climatiques, peuvent déstabiliser les communautés, voire même des nations entières », a observé M. Steiner.

Les tensions et les conflits au Darfour font actuellement les gros titres, mais le rapport signale le risque de voir dans d’autres régions du Soudan une reprise des conflits historiques, ravivés en partie par le déclin des services environnementaux.

C’est tout particulièrement le cas de certaines zones à la frontière nord-sud. Dans la région des monts Nouba au Sud-Kordofan, par exemple, la tribu autochtone des Nuba a exprimé son inquiétude quant aux dommages subis par les arbres et autre végétation en conséquence de la présence récente de la tribu Shanabla, qui vit de l’élevage des chameaux. Comme bien des gardiens de troupeaux, les Shanabla ont été contraints de migrer vers le sud à la recherche de pâturages adéquats, détruits au nord par l’expansion agricole et la sécheresse. Certains Nuba ont menacé de « redémarrer la guerre » s’il n’était pas mis fin à ces dégâts.

L’évaluation, qui a été demandée par le nouveau gouvernement d’union nationale et le gouvernement du Sud-Soudan et réalisée en collaboration avec eux, fait un grand nombre de recommandations diverses.

Parmi celles-ci figurent l’investissement dans la gestion environnementale, y compris des mesures d’adaptation au climat ; le renforcement des capacités des gouvernements national et local dans le domaine de l’environnement et l’intégration des facteurs environnementaux dans tous les projets d’aide et de développement des Nations Unies.

« Le coût total de la mise en oeuvre des recommandations de ce rapport est estimé à environ 120 millions de dollars sur une durée de trois à cinq ans. Ce chiffre n’est pas exorbitant si on le compare au PIB du Soudan, qui s’élevait à 85,5 milliards de dollars en 2005 », constate l’étude du PNUE.

Quelques conclusions fondamentales

Les données disponibles indiquent un changement climatique régional à long terme dans plusieurs régions du pays, avec une diminution très irrégulière, mais marquée, des précipitations.

En effet, les données historiques au Darfour indiquent une diminution des précipitations comprise entre 16 et plus de 30 pour cent, en conséquence de laquelle des millions d’hectares de pâturages semi-désertiques marginaux se sont transformés en désert.

Globalement, dans certaines régions au nord du Soudan, les déserts ont progressé en moyenne de 100 km au cours des 40 dernières années.

Les zones en bordure du Sahara, y compris les régions du Darfour, du Nord-Kordofan, de l’État de Khartoum et de l’état de Kassala touchées par les conflits et la sécheresse, seront extrêmement vulnérables.

Les modèles climatiques élaborés pour le Nord-Kordofan indiquent qu’il faut s’attendre à une augmentation des températures de 0,5 à 1,5 degrés C d’ici 2030 et 2060, celle-ci s’accompagnant d’une diminution moyenne de 5 pour cent des précipitations.

Les impacts sur l’agriculture risquent d’être désastreux dans certaines régions. Par exemple, le rendement des cultures de sorgho pourrait passer de près de 500 kg/hectare à 150 kg/hectare ?soit une baisse de 70 pour cent.

D’ici 2020, la perte de récolte au Darfour pourrait atteindre entre cinq et 20 pour cent.

La crise est aggravée par la dégradation des sources d’eau dans les déserts, à savoir les oueds ou les oasis. « Pratiquement toutes les zones de ce type inspectées par le PNUE ont subi une dégradation modérée à forte, principalement due au déboisement, au surpâturage et à l’érosion », constate le rapport.

Malgré ces graves pénuries d’eau, les inondations et les catastrophes naturelles qu’elles entraînent contribuent également à la vulnérabilité de la population soudanaise.

Les inondations les plus dévastatrices sont celles du Nil bleu, qui sont causées par le déboisement et le surpâturage dans le bassin versant supérieur du fleuve. L’érosion des berges dues à la dégradation du bassin hydrographique et aux inondations qui s’ensuivent est particulièrement forte et destructrice le long de la bande fertile en bordure du Nil.

« Le PNUE prévoit que les lâchers d’eau pulsés à partir du nouveau barrage de Méroé deviendront une cause majeure d’érosion des berges du Nil principal en aval », constate le rapport.

Une gestion durable de l’agriculture ? le plus important secteur économique du Soudan ? procurerait des avantages importants.

« La culture pluviale mécanisée, désorganisée et mal gérée, qui couvre une superficie estimée à 6,5 millions d’hectares, a eu un effet particulièrement destructeur, entraînant une déforestation massive, la destruction de la faune et de la flore, et une forte dégradation des terres », constate le rapport.

Déplacement de la population

On compte cinq millions de déplacés internes et de réfugiés au Soudan. La dégradation de l’environnement est l’un des facteurs contribuant au déplacement de la population, l’environnement étant fragilisé encore davantage par le seul volume de déplacés et de réfugiés présents dans certaines régions.

Les impacts environnementaux de nombreux camps sont importants, notamment du point de vue du déboisement pour l’alimentation en bois de chauffage. L’étude du PNUE a constaté qu’on pouvait observer un déboisement important jusqu’à 10 km des camps au Darfour. La situation est aggravée par la fabrication de briques dans certains camps.

Il faut un gros arbre pour alimenter le feu nécessaire à la fabrication de 3 000 briques environ. En outre, l’extraction de l’argile nécessaire à la fabrication des briques peut endommager les arbres en exposant les racines, et créer également des fosses où l’eau s’accumule et les moustiques prospèrent.

« Il est possible que certains camps du Darfour viennent à manquer de bois de chauffage utilisable dans un rayon faisable à pied, ce qui entraînera de sérieuses pénuries de combustible », constate le rapport.

Le retour des déplacés dans leurs villages d’origine est indubitablement un objectif louable mais, selon le rapport, cela risque d’être impossible dans certaines régions du fait que la dégradation de l’environnement est trop avancée.

Une analyse préliminaire de la durabilité environnementale de certains États, réalisée par le PNUE, indique que « la situation au Darfour est particulièrement claire ». De nombreuses régions du Nord-Darfour et du Darfour occidental sont victimes d’une désertification et d’une dégradation des terres accélérées. Les autres États confrontés à des problèmes similaires sont le Sud-Kordofan, le Kassala oriental, le Nil bleu septentrional, le Nil supérieur septentrional et le nord de l’État Unity.

« Dans la majeure partie du Sud-Soudan, la situation est relativement positive du fait que les précipitations plus importantes assurent une meilleure productivité agricole », constate l’étude du PNUE.

Les forêts

Au Soudan, les forêts sont en train de disparaître avec une grande rapidité. Le couvert forestier a diminué de 11,6 pour cent depuis 1990, ce qui représente environ 8,8 millions d’hectares.

L’agriculture sur brûlis et les demandes en énergie en sont essentiellement responsables. Le PNUE estime que les besoins en bois de chauffage se situaient autour de 27 à 30 millions de mètres cubes en 2006.

« Au niveau régional, deux tiers des forêts du nord, du centre et de l’est du Soudan ont disparu entre 1972 et 2001. Le Darfour a perdu un tiers de son couvert forestier entre 1973 et 2006. Il est estimé que le Sud-Soudan a perdu 40 pour cent de ses forêts depuis l’indépendance et le déboisement se poursuit », constate le rapport.

Une étude complémentaire de l’ICRAF, le Centre international pour la recherche en agroforesterie, commandée par le PNUE pour le rapport, indique que le Soudan a perdu 30 pour cent de ses forêts depuis l’indépendance, la majorité des forêts du nord ayant déjà disparu.

À Timbisquo et Um Chelluta, deux sites au Sud-Darfour, les taux annuels de déboisement sont respectivement de 1,3 et 1,2 pour cent. Globalement, le taux de déboisement des forêts naturelles au Soudan pourrait approcher les deux pour cent par an.

La demande de charbon est signalée comme une question névralgique et une source potentielle de conflit entre le Nord et le Sud Soudan, ainsi qu’au Darfour.

Le PNUE prévoit que dans cinq à dix ans, les États du nord du Soudan pourront obtenir des approvisionnements suffisants en charbon uniquement du Sud Soudan et du Darfour, car toutes les autres réserves importantes auront été épuisées », constate le rapport.

Les eaux douces 20 pour cent des ressources en eau douce du Soudan sont produites intérieurement par les précipitations. Le reste provient de sources situées en dehors du pays, comme le Nil par exemple.

La dégradation des terres, liée en partie au déboisement, réduit considérablement la capacité des barrages existant au Soudan, en raison de la sédimentation. Le barrage de Sennar sur le Nil bleu a perdu 60 pour cent de sa capacité, tandis que celle du barrage de Khashm el Girba sur l’Atbara est réduite de plus de 50 pour cent.

Le rapport attire l’attention sur les préoccupations liées au nouveau barrage de Méroé ?le plus important projet de construction de barrage en Afrique depuis le barrage d’Assouan en Égypte. L’évaluation du PNUE conclut que les lâchers d’eau du barrage risquent d’avoir un impact sur les programmes agricoles voisins et d’entraîner l’érosion des berges.

Parmi les autres préoccupations figurent la diminution de l’écoulement assurant la recharge des nappes aquifères et « le blocage des migrations de poissons ».