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Altermondialisme

L’intelligence en essaim

Stratégie d’internationalisation des forums sociaux et régionalisation de la contestation mondiale

Mercredi 5 novembre 2008, par Raphaël Canet

Francis Fukuyama lisait dans les décombres du Mur de Berlin la fin du grand conflit idéologique qui a marqué le xxe siècle. Le triomphe du libéralisme sur le socialisme incarnait la victoire d’une vision du monde sur une autre et allait s’épanouir à mesure que le marché étendrait son empire sur l’ensemble de la planète. Or, force est de constater que la prophétie ne s’est pas réalisée. Alors qu’elle devait apporter la prospérité pour tous, la mondialisation néolibérale, essentiellement centrée sur ses dimensions économiques a failli dans sa tâche. Bon nombre de pays – l’Argentine en est le plus bel exemple – ayant suivi à la lettre les recommandations du Consensus de Washington en adoptant toutes les politiques macro-économiques censées stimuler la croissance ont été livrés en pâture aux spéculations du capitalisme financiarisé, pourtant entré dans un cycle de crises successives. Depuis le début des années 1990, plus de 80 pays, dont 55 d’Afrique subsaharienne et d’Europe de l’Est, ont vu leur revenu per capita diminuer et, désormais, près de la moitié de la population mondiale vit avec moins de 2 $ par jour. Pourtant, l’économie mondiale n’a jamais été aussi prospère. Le Produit brut mondial a plus que doublé ces trente dernières années pour atteindre, au tournant des années 2000, plus de 30 000 milliards de dollars.

Ce n’est pas la fin de l’Histoire qu’annonçait le terme de la Guerre froide, mais bien son recommencement, alors que se redéfinissaient les espaces, les acteurs, les modes de régulation et les formes de mobilisation sur la scène internationale. A la mondialisation du capital financier a répondu la mondialisation de la résistance des peuples qui a connu diverses formes d’actualisation. D’une attitude défensive et d’opposition affichée dès la fin des années 1990, lors des contre-sommets et autres manifestations tenues en marges des grands rassemblements officiels des organisations internationales à caractère économique (Organisation mondiale du commerce, Fonds monétaire international, Banque mondiale, G8), le mouvement pour une justice mondiale a progressivement évolué vers une position plus offensive de proposition, notamment dans le cadre du Forum social mondial (FSM) dont la première édition s’est tenue à Porto Alegre (Brésil), du 25 au 30 janvier 2001.

Qu’elle soit définie en termes de contre-pouvoir, de mondialisation contre-hégémonique, de mouvement anti-systémique ou encore de berceau d’une hypothétique Cinquième Internationale, la mouvance altermondialiste s’est imposée dans le champ de la représentation en brisant le dogme de l’unicité de la pensée, du modèle de développement, de la rationalité instrumentale. Derrière le slogan « Un autre monde est possible », se dessine une nouvelle utopie rêvant d’une :

Article 4 de la Charte des principes du Forum social mondial, adoptée par le Conseil (...) « mondialisation solidaire qui respecte les droits universels de l’Homme, ceux de tous les citoyens et citoyennes de toutes les nations, et l’environnement, soutenue par des systèmes et institutions internationaux démocratiques au service de la justice sociale, de l’égalité et de la souveraineté des peuples. »

Cette nouvelle utopie est porteuse d’espoir pour les mouvements qui s’en réclament. Cependant, considérant que la mondialisation est le produit de plus de trente ans d’hégémonie idéologique et politique du néolibéralisme dont le Forum économique mondial de Davos s’est fait le relais 18, le défi que doit relever la mouvance altermondialiste est immense. Véritable travail de Sisyphe, cette élaboration d’alternatives se situe par ailleurs dans un contexte idéologique et géopolitique caractérisé par le naufrage des grandes utopies socialistes, dont la chute du Mur de Berlin constitue le symbole le plus éclatant.

La mouvance altermondialiste a, dès lors, tenté de tenir compte de cette leçon de l’histoire en faisant le pari de la force de changement du multiple. Si l’alternative est toujours possible, elle ne doit ni se penser au singulier, ni découler d’une vision qui émanerait d’une avant-garde éclairée et qui se diffuserait vers les masses opprimées alors soudainement éveillées à leur conscience de classe. Au contraire, ces projets alternatifs doivent plutôt émaner de la base des mouvements sociaux . Plutôt que la construction d’un système de pensée surplombant et cohérent, c’est la manifestation de la diversité des points de vue et des initiatives que favorise la mouvance altermondialiste. Cet a priori envers la vertu du multiple, de la diversité des luttes et des pratiques pose à la mouvance altermondialiste le défi de la cohérence. Comment mettre en acte cette utopie ? Afin de pouvoir asseoir la dynamique du changement social sur la diversité des pratiques plutôt que sur une élaboration théorique, il fallait faire preuve d’innovation. Le Forum social mondial, conçu comme un lieu de réflexion et d’échange sur l’altermondialisme, un espace de convergence de la diversité des pratiques alternatives, est alors apparu comme le creuset de cette mondialisation alternative. Le Forum social mondial a tout d’abord été élaboré en s’opposant au modèle du Forum économique mondial. Par le nom, la date et le lieu, il s’agissait de construire l’anti-modèle de Davos. Puis, afin de favoriser l’essor de la mouvance altermondialiste en s’appuyant sur cette innovation politique, le FSM a développé sa propre dynamique. Tout d’abord, il y a eu l’adoption de la Charte des principes (avril-juin 2001) dans laquelle se trouve consigné un socle de valeurs communes permettant de rassembler, dans une vision partagée du monde et de son devenir souhaité, une large diversité de groupes, de mouvements, d’individus. Ensuite, en 2002 est déployée une stratégie « de mondialisation et d’enracinement » des forums sociaux. Celle-ci a principalement consisté à favoriser le processus d’expansion du mouvement en y intégrant la diversité des revendications émergentes tout autour du monde, ce qui signifiait à la fois délocaliser le Forum social mondialet stimuler l’organisation de forums régionaux.