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PALESTINE

L’impossible problème d’Abu Mazen

Mercredi 20 février 2008, par Caelum Moffatt

Le siège de Gaza mené actuellement par Israël doit causer au président palestinien, Abu Mazen, de forts maux de tête. Cette douleur, intermittente depuis juin 2007, lui est sans nul doute causée cette fois par son indécision quant à la façon de réagir à la nouvelle démonstration de force israélienne.

Les 1,5 millions de Gazaouis, le peuple du président, sont les innocentes victimes pris au piège entre les roquettes palestiniennes tirées depuis la côte et les frappes aériennes israéliennes. Manquant de nourriture, de médicaments et d’électricité, ils sont isolés dans les limbes d’un désastre humanitaire. Comment Abu Mazen peut-il réagir fermement à cette situation, tout en conservant le respect de son peuple et en poursuivant le processus de paix avec Israël ?

Abu Mazen est abreuvé d’avis divers d’aides, de conseillers et d’experts, il est soumis à la pression d’Israël pour ne pas mettre en danger le processus de paix par son intervention, il doit répondre à des questions et des sollicitations d’un grand nombre d’officiels internationaux, tout en ayant en dernière instance à répondre et à satisfaire son propre peuple. Cependant, Abu Mazen a été élu pour cette raison précise – prendre des décisions et être le représentant de son peuple dans une telle adversité. Celui-ci ne s’attend pas à le voir se tapir dans l’ombre.

Le président palestinien a réagit aux événements de Gaza en appelant le gouvernement israélien à lever immédiatement son blocus, tout en soulignant que les négociations avec Israël devaient continuer. « Nous devons même intensifier ces négociations pour mettre un terme aux souffrances de notre peuple... Comment persuader l’autre camp que notre peuple souffre si nous tournons le dos et refusons de négocier avec les Israéliens ? »

Ces commentaires pour le moins diplomatiques furent prononcés alors que de nombreux dirigeants palestiniens appelaient Abu Mazen à faire preuve de solidarité avec les Palestiniens de Gaza. Le porte-parole du Conseil Législatif Palestinien, Aziz Dweik, déclara que les négociations devaient être suspendues pendant que l’Autorité Palestinienne et le Hamas « gommaient tout désaccord, s’entendaient sur une position palestinienne commune et mettaient tout en oeuvre pour lever le siège ».

Ce n’est pas facile, pour le peuple palestinien, d’observer Abu Mazen alors qu’il semble ne rien faire pendant que la situation à Gaza empire. La fermeture complète par Israël de ce « territoire hostile » après des tirs incontrôlés de roquettes artisanales Qassam a été sévèrement condamnée par de nombreux pays et des ONG internationales. Le Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki Moon ; John Holmes, Secrétaire général adjoint aux Affaires humanitaires ; John Duggard, rapporteur spécial pour les Droits de l’Homme dans les Territoires Occupées et John Ging, directeur de l’UNWRA pour Gaza ont tous pris position contre une punition collective envers les Palestiniens de la bande de Gaza. Ils soulignèrent que cette pratique inhumaine, qui viole les articles 31 et 33 de la 4ème Convention de Genève, ne peut être justifiée même par les tirs de roquette et qu’elle restera inefficace, attisant un peu plus le radicalisme.

La Secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice a déclaré qu’elle comprenait le besoin israélien de protéger son peuple mais souligna « l’importance de ne pas faire advenir une crise humanitaire ». Le position de l’Union Européenne était symbolisée par le Commissaire chargé des Relations Extérieures Benita Ferrero-Waldner, qui déclara que « ni le blocus ni les récentes frappes militaires ne peuvent empêcher les tirs de roquettes... seulement un accord politique viable y parviendra ».

Pendant ce temps, Israël se dédouane presque complètement d’envenimer la situation. Le Premier Ministre Olmert a commencé par rassurer la communauté internationale en promettant qu’Israël ne laisserait pas Gaza s’enfoncer dans une crise humanitaire, mais il ajouta aussitôt, par une formule qui trahit la réalité de la punition collective infligée aux Palestiniens, que si Gaza n’a plus d’essence, « tous les habitants de Gaza peuvent marcher... parce qu’ils ont un régime terroriste et criminel ». Le ministre des Affaires étrangères, Tzipi Livni, a également réaffirmé son attachement à la question sécuritaire, mentionnant « qu’Israël continuerait à agir et à remplir ses obligations vis-à-vis de ses citoyens même si nous devons être condamnés pour cela ».

D’importants officiels israéliens ont choisi de faire porter la responsabilité de l’escalade de la crise humanitaire à Gaza à une manipulation complexe et raffinée du Hamas, sabotant les capacités électriques Gaza et coupant inutilement l’électricité « pour tirer parti des images de Gaza dans le noir à des fins de propagande ».

Israël s’est peut être retiré de Gaza en 2005, mais la région ressemble encore beaucoup à un territoire occupé. Israël contrôle tous les passages frontières, la terre, les airs, la mer, l’état-civil et les rentrées fiscales. Bien sûr, toute forme de fermeture de Gaza affecte profondément sa population. De plus, on ne peut sérieusement accuser le Hamas de manipuler la situation à Gaza au point de plonger 800 000 personnes dans le noir, de fermer 180 stations essence, de tuer des patients innocents dans les hôpitaux suite aux coupures de générateurs et au maintien de Gaza dans une dépendance à 80% de l’aide humanitaire.

Qu’ils veuillent ou non le croire, les Israéliens ont précipité Gaza dans le désespoir. Les habitants y sont si désespérés que le 23 janvier, les Nations Unies ont signalé que des dizaines de milliers de Gazaouis se sont précipités en Egypte pour échapper à l’insupportable pénurie de nourriture et autres produits. Des brèches ont déjà été faites dans le mur de 7 kilomètres qui sépare Rafah de l’Egypte par des hommes masqués.

Devant ces derniers événements, quelles sont les intentions d’Abu Mazen vis-à-vis de Gaza ? C’est une question on ne peut plus difficile à cerner. L’analyse peut se faire selon trois angles : intervention constructive, action limitée et stratégie « pour le bien commun ».

Est-ce qu’Abu Mazen consacre toute son énergie à résoudre la situation de Gaza ? Les efforts rigoureux et répétés d’Abu Mazen pour arriver à un accord de paix avec Israël témoignent d’une volonté d’intervention constructive. Comme l’a affirmé le président, une solution n’émergera pour Gaza que si le processus de paix avec Israël l’emporte sur toute autre considération. Cependant, avec un processus de paix aussi embourbé et une situation aussi problématique à Gaza, cette idée relève probablement d’une rhétorique faite pour gagner du temps, que le président mettrait à profit pour définir la position à adopter. Rencontrer le chef du politburo du Hamas, Khaled Mesha’al et le président égyptien Moubarak pourrait également être perçu comme une intervention constructive. L’incident de Rafah fournit une superbe occasion à Mesha’al et Abu Mazen. Le trio n’aurait pas à évoquer le contrôle de Gaza par le Hamas mais pourrait à la place lancer le dialogue sur le sujet neutre des passages de frontière. Mesha’al a déjà appelé à une réunion « sans condition », affirmant qu’il accepterait un contrôle de Rafah par l’Autorité Palestinienne et l’Egypte.

Autre théorie : Abu Mazen veut adopter une politique d’intervention constructive mais en est empêché par son statut de partenaire mineur dans la relation inégale entre l’occupant et l’occupé. Abu Mazen n’a probablement pas la capacité d’intervenir, freiné par les mots de Tzipi Livni, qui déclare que les deux parties « doivent se garder d’importer des problèmes du monde extérieur dans la salle des négociations ». En tant que « partenaire » pour la paix, Abu Mazen a semblé remporter une petite victoire quand le 22 janvier, Israël a levé le blocus et a fait entrer dans Gaza 700 000 litres de fuel et l’équivalent de 50 camions de nourritures et de médicaments. Cependant, Abu Mazen n’a pu négocier que deux jours d’approvisionnement. Ce manque d’aide, au moment même où les Gazaouis se précipitent en Egypte depuis Rafah pour s’approvisionner eux-mêmes, fait apparaître les efforts d’Abu Mazen comme insuffisants, limitant ainsi sa capacité à négocier un compromis avec Israël, et renforçant le sentiment qu’Israël estime les besoins essentiels de Gaza et agit en conséquence, comme l’affirma le porte-parole du ministère israélien de la Défense, Schlomo Bror.

La dernière stratégie qu’Abu Mazen pourrait employer est une stratégie « pour le meilleur ». Ce n’est pas surprenant qu’Abu Mazen subisse une forte pression des pays arabes au sujet de la situation à Gaza, de même qu’il n’est pas surprenant de constater que Gaza est un frein pour Israël, une région que les Israéliens voudraient voir passer sous juridiction égyptienne. Gaza est également un problème pour Abu Mazen, tout particulièrement avec à sa tête un Hamas qui freine le processus de paix. Ainsi, on peut comprendre les réactions somme toute nuancées d’Abu Mazen non comme de l’indécision mais comme élément d’une stratégie plus élaborée de paralysie du Hamas. Après tout, il ne subit aucune pression de Cisjordanie pour régler la situation à Gaza. A Ramallah, la capitale de fait [1], seuls 200 manifestants se sont rassemblés silencieusement pour marquer leur solidarité avec le peuple de Gaza. Autre exemple de cette stratégie : l’initiative de l’OLP visant à dissoudre le Conseil Législatif Palestinien. Le Hamas ne dispose pas de beaucoup d’atouts à négocier, mais il détient Gilad Schalit. S’il parvenait à négocier un échange de prisonniers, Schalit contre des membres du Conseil Législatif Palestinien appartenant au Hamas, il pourrait atteindre une majorité et ainsi rejeter toutes les motions passées par Abu Mazen depuis juin. C’est fort improbable aujourd’hui côté Hamas, en raison des frappes aériennes et du blocus, de même que ce n’est pas dans l’intérêt d’Israël d’offrir un tel levier de pouvoir aux gouvernants de Gaza – et ce à n’importe quel prix. Quoiqu’il advienne, laisser Israël aux prises avec le Hamas tout en condamnant ses actions assez fermement pour convaincre la communauté internationale de son implication ne peut que conforter la position à long terme d’Abu Mazen.

Difficile de savoir si Abu Mazen a l’intention d’intervenir, s’il veut intervenir mais en est empêché ou si simplement il ne pense pas qu’intervenir ait un quelconque intérêt pour lui. Et ce notamment car il est difficile d’analyser certaines de ses réactions les plus ambiguës aux événements récents, de même qu’il est difficile d’essayer de prédire les stratégies d’Israël, de l’Autorité Palestinienne et du Hamas. Ce qui est clair, c’est que Gaza vit une crise humanitaire terrible. Mais encore une fois, c’est le Hamas qui a remporté la victoire sur le terrain de l’opinion. Il n’a pas endossé la responsabilité des explosions qui ont détruit le mur mais il est fort improbable que cela se soit fait sans son assentiment.

Aujourd’hui, le ministre des Affaires étrangères égyptien a affirmé que le poste frontière de Rafah resterait ouvert aussi longtemps que la crise humanitaire se poursuivrait. Ce qui laisse Abu Mazen devant une décision difficile. Doit-il continuer à préparer la paix avec Israël tout en soulignant son incapacité à intervenir et déléguer la responsabilité de Gaza à l’Egypte ? Ou bien doit-il au contraire désobéir à son « partenaire » pour la paix et montrer aux Gazaouis plus que de la solidarité en substituant à ses paroles des actes concrets, afin de résoudre la situation en acceptant tout d’abord de discuter avec le Hamas et l’Egypte. Le veut-il ? En est-il capable ? Ces deux options sont-elles vraiment exclusives l’une de l’autre ?

[1] rappelons que la revendication première de tous les Palestiniens est, avec l’Etat, d’avoir Jérusalem comme capitale de la Palestine libérée. Ramallah est actuellement la capitale administrative et économique de la Palestine occupée.

Posté le 24 janvier 2008 Par Caelum Moffatt pour MIFTAH http://www.miftah.org/Display.cfm ?DocId=16012&CategoryId=13

traduction : B. Declercq, Afps note : CL, Afps


Voir en ligne : www.france-palestine.org