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INDE

L’autre côté du boom

Vendredi 31 octobre 2008, par Karine Bates

Émeutes, violences et même des assassinats : autant de sujets tabous autour du boom économique de l’Inde. La multiplication des luttes pour le contrôle de la terre est au centre des transformations économiques que connaît actuellement le pays.

Le 13 août 2008, quatre fermiers sont tués lors d’une manifestation à Noida. Cette banlieue de Delhi est un des endroits où l’établissement de nouvelles compagnies se produit à un rythme fulgurant. Ce développement industriel a lieu sur des terres agricoles. Ces terres sont réquisitionnées par les municipalités ou le gouvernement afin de faciliter l’installation de grandes compagnies, souvent des multinationales. Les plans d’installation prévoient des compensations pour les fermiers à qui l’on rachète des terres. Mais l’histoire de Noida est en train de devenir un classique : les compensations financières ne reflètent pas toujours la valeur réelle de la terre et il n’est pas rare qu’elles ne soient jamais versées.

Les terres n’ont pas seulement une valeur financière puisqu’elles représentent aussi la seule manière pour ces fermiers de gagner leur vie, et la principale source de revenu de toute leur famille. De plus, les plans de compensation ne considèrent pas qu’après avoir « vendu » leurs terres, les fermiers n’ont pas d’alternatives économiques immédiates. En effet, ces familles n’ont souvent pas la formation requise pour être embauchées dans la compagnie qui sera basée sur leurs anciennes terres. Le plus souvent, ces emplois requièrent une formation technique et une bonne maîtrise de l’anglais. En milieu rural, où habitent près de 70 % de la population indienne, rares sont les institutions qui offrent le type d’éducation ouvrant les portes de cette nouvelle économie.

Dans ce contexte, la réquisition des terres signifie souvent que toute une famille doive quitter le village pour tenter de trouver du travail dans des centres urbains inconnus. Et même si certains fermiers avaient peine à joindre les deux bouts, leur terre les nourrissait au moins en partie. Maintenant qu’ils doivent tout acheter, ils font face à des défis encore plus grands, considérant le taux d’inflation de plus de 10 % depuis le début de l’année et la hausse du prix du carburant – le litre d’essence coûte plus cher qu’à Montréal !.

La gauche divisée

Même le grand homme d’affaires indien Ratan Tata n’a pas échappé à la colère des fermiers. Sa multinationale, Tata Motors, allait implanter à Singur, au Bengale-Occidental, l’usine afin d’y construire sa « voiture du peuple », la Nano. Pour accueillir Tata Motors, le gouvernement du Bengale-Occidental a réquisitionné 1000 acres de terres réparties sur cinq villages. Ces terres sont très fertiles et propices à la culture d’une variété de grains et de légumes.

Depuis 2006, les protestations n’ont pas cessé. Beaucoup de fermiers ont refusé de vendre leur terre à l’État. Face à la pression, le gouvernement a fini par inclure, dans les programmes de compensation, des promesses d’emplois. Pourtant, Tata Motors n’a jamais assuré qu’il y aurait des emplois réservés pour les gens de Singur. Par ailleurs, le gouvernement ne pouvait pas garantir l’ampleur des retombées économiques pour la région, ni le type d’emplois créés.

Cette affaire est devenue une question politique délicate puisque la gauche était très divisée sur la question. En effet, un des partis de gauche de l’État, le Trinamool Congress, a soutenu les manifestants tandis que le gouvernement, dirigé par le Parti communiste, a facilité la venue de Tata Motors. Et même au sein du gouvernement, il n’y avait pas de consensus sur cette question. Le désir d’une partie du gouvernement de s’attirer la sympathie de la classe moyenne montante n’a pas réussi à convaincre les gens de Singur. L’affaire s’est conclue au début d’octobre avec l’annonce du déménagement de l’usine au Gujarat.

Certes, tous les fermiers d’un village ne sont pas toujours contre l’acquisition de centaines d’acres de terre pour le développement de grands complexes industriels et technologiques. Par contre, les manifestations et les émeutes deviennent de plus en plus fréquentes à travers toute l’Inde. Et celles-ci peuvent aussi être liées aux conditions de travail dans les usines.

À Noida, le 23 septembre 2008, L.K. Choudhary, le président de la firme électronique italienne Graziano International, est battu à mort. En juillet, la compagnie avait mis à pied 192 employés pour les remplacer par des travailleurs à contrat. À la suite de cet assassinat, le ministre du Travail, Oscar Fernandes, a déclaré que l’incident était regrettable, mais qu’il devait servir d’avertissement aux employeurs afin qu’ils traitent bien leurs employés.

Fermiers et ouvriers sont-ils opposés à la croissance économique de l’Inde ? Non. Mais les gens qui quittent leur terre sont fragilisés puisqu’ils abandonnent le seul mode de vie qu’ils connaissent. De plus, le fossé grandissant entre les riches et les pauvres fait en sorte que cette croissance n’est pas accessible à une vaste partie de la population. Lors du dernier recensement en 2001, 15 % de la population indienne habitait dans des bidonvilles. L’arrivée de campagnards en ville vient accroître la pauvreté urbaine. Le gouvernement indien estime que le taux de personnes vivant dans des bidonvilles ne cesse d’augmenter.

L’auteure est professeure en anthropologie à l’Université de Montréal


Voir en ligne : www.alternatives.ca