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COLOMBIE

Génocide

Jeudi 4 septembre 2008, par Marcelo Ferreira

Le Tribunal Permanent des Peuples, lors de la séance sur les Entreprises Transnationales et les Droits des Peuples en Colombie, célébrée entre les 21 et 23 juillet à Bogota, a condamné le gouvernement colombien et un groupe d’entreprises transnationales pour pratiques de génocides, pour crimes de lèse humanité et pour crimes de guerre.

Ce Tribunal est continuateur du Tribunal Russell - dénommé Tribunal contre le Crime de Silence-, fondé par le philiosophe anglais en 1966 pour juger les crimes commis au Vietnam. La sentence peut se lire sur www.internazionaleleliobasso.it.

La situation en Colombie est très différente de celle exhibée par les médias, qui agissent bâillonnés par la terreur dominante ou sont à son service. Aujourd’hui on commet un génocide, le plus grand des crimes, dans le cadre du plus froid silence.

Selon les chiffres officiels, dans les dix dernières années, on compte 300 000 morts, la moitié imputable aux groupes paramilitaires, bien que les chiffres réels sont beaucoup plus importants. Les paramilitaires ont tué une moyenne de 1060 personnes par an, parmi cellesci 678 enfants. 4 000 syndicalistes ont été assassinés, dans l’objectif d’une politique de démantèlement des syndicats et des réseaux sociaux. 1293 fosses communes ont été trouvées, bien que la majorité des corps démembrés aient été jetés à la rivière, pour qu’ils disparaissent en mer.

Ce sont aussi des milliers de cas de "faux positifs" : disparus dont les cadavres réapparaissent habillés de brillants uniformes de guerrilleros, sans trou de balle. Les terroristes d’État ont joué au football avec des têtes coupées et éventré des femmes enceintes sous les yeux du village. Ils ont mangé de la viande et bu du sang d’êtres encore en vie. Pour des faits comparables à ceux-ci, Radovan Karadzic a été soumis à un procès à La Haye.

Il y a un génocide ethnique. Les massacres d’indigènes mettent en danger d’extinction vingt-huit peuples et constituent dans les termes du Tribunal "une authentique honte pour toute l’humanité". Dans le Massacre de Bahia Portete, ont été assassinées des femmes du peuple Wayúu, caractérisé par son organisation matriarcale.

Il y a un génocide politique. L’extermination du groupe Union Patriotica s’exprime dans 2350 homicides, 415 disparitions forcées et 377 victimes de torture.

C’est un génocide aussi le déplacement forcé de quatre millions de personnes, exilées par des "paracos cortamochos" qui nettoient le terrain pour les affaires des transnationales, comme les cultures de palmiers africains pour biocombustibles. Quatre millions d’hectares - un tiers de la surface cultivable de Colombie - volés à cette fin. 0,3 pour cent de la population est propriétaire de plus de la moitié des terres agricoles.

La complicité entre gouvernement, paramilitaires et entreprises transnationales est inocultable. Le groupe uribiste (du président Uribe) a 37 parlementaires emprisonnés pour leur relation prouvée avec des paramilitaires, parmi ceux-ci le frère de l’ex-ministre des Relations Extérieures et le propre chef du parti uribiste. La Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme a déjà établi la responsabilité de la Colombie "pour avoir émis un cadre légal au travers duquel il a été favorisé la création de groupes d’auto-défense qui ont dérivé en paramilitaires" (Massacre de La Rochela, le 11 mai 2007).

Les transnationales, principales bénéficiaires de la criminalité d’État, fournissent de l’argent et des armes aux mercenaires. L’entreprise Chiquita Brands (ex United Fruit Company) a livré trois mille fusils AK 47 et cinq millions de projectiles le 21 novembre 2001, à bord du bateau Oterloo. Le propre Département de Justice des Etats-Unis l’a condamnée à une amende, étant donné qu’elle a expressément reconnu qu’elle avait financé des groupes paramilitaires entre 2001 et 2004. Les multinationales Anglo American, BHP Billiton et Glencore A.G. ont reconnu qu’elles avaient choisi pour leur service le commandant du bataillon militaire chargé de la sécurité d’une mine. Et par une lettre rendue publique, on a su que Union Fenosa a désigné des paramilitaires à des postes administratifs clefs pour connaître son personnel et pour épier les chefs syndicaux.

En Colombie, le mot officiel est utilisé comme arme de guerre pour défigurer la réalité en fonction de la raison d’État. On présente les libération (d’otages) au moyen d’opérations militaires comme "humanitaires" adjectif difficilement conciliable avec l’usage d’armes à feu. On exhibe la politique officielle d’ "Etat communautaire" comme un "rapprochement de l’État au citoyen", ce qui est universellement connu comme "autoritarisme". On nomme la doctrine de la sécurité nationale "politique de sécurité démocratique", ce qui est la même chose avec une nouvelle tenue fashion. Le président appelle les paramilitaires "messieurs" ; les insurgés, "terroristes" ; les étudiants, "bandits". Pour vérifier autant de cynisme, il suffit d’entrer dans le site officiel du Ministère de la Défense colombien (www.mindefensa.gov.co) (une fenêtre sur la "Politique Intégrale de Droits de l’Homme et DIH").

En Colombie, le budget militaire est de 6,5 pour cent du PBI, chiffre plus élevé que celui des Etats-Unis en guerre. Les effectifs de l’armée et de la police sont de 430 000 auxquels il faut ajouter 600 000 membres de sécurité privée sans compter les paramilitaires toujours actifs.

La dénommé Loi de Justice et Paix du 25 juillet 2005 a accordé une impunité à 33 000 paramilitaires. Quatorze de leurs commandants ont été extradés le 13 mai dernier à des destinations touristiques.

Le vieux Droit Humanitaire est inappliquable en Colombie parce qu’il n’y a plus de distinction entre civils et militaires. Le propre État promeut des politiques de "soldats paysans" et de "réseaux d’informateurs". Des dénonciateurs payés : frère, voisin, ami, amant... L’objectif est que tous participent d’une manière ou d’une autre aux hostilités, sous peine d’être accusé de "terroriste". Dans ces conditions, n’est pas étonnante l’énorme popularité du mandataire Alvaro Uribe Velez, qui bénéficie de la terreur, comme cela est arrivé avec d’autres criminels du monde, aussi élus par vote populaire.

Il y a un génocide en Colombie, ce qui oblige à connaître et à faire connaître la vérité, pour ne pas être complices du crime de silence.

Marcelo Ferreira, professeur titulaire de la Chaire Libre de Droits de l’Homme de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Buenos Aires. Membre du Tribunal Permanent des Peuples.

Pagina/12, 03 septembre 2008.
http://www.pagina12.com.ar/diario/elmundo/4-110857-2008-09-03.html