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BIRMANIE

Entre cyclone et tyrannie

Samedi 17 mai 2008, par Marc JOHNSON et Danielle SABAI

Selon les médias birmans, contrôlés par l’État, il y aurait 22 980 morts ainsi que 42 119 disparus. Mais on approcherait plutôt de 100 000 personnes et d’environ un million de sans-abri. La junte militaire au pouvoir a une responsabilité immense dans cette catastrophe. Alors qu’elle connaissait l’existence du cyclone, grâce aux alertes des centres météorologiques indiens et thaïlandais, elle a refusé d’alerter la population et d’organiser l’évacuation des zones les plus menacées. Cela montre, une fois de plus, combien cette junte parasitaire fait peu de cas du peuple birman. Des centaines de milliers de personnes se sont retrouvées brutalement sans abri, sans électricité, sans eau potable, sans aucun secours, trouvant refuge dans les écoles et les monastères. Après la catastrophe, malgré la propagande montrant des généraux distribuant des colis, les soldats et les membres de l’Association pour le développement et la solidarité de l’Union (USDA), une organisation de masse progouvernementale, si nombreux à réprimer les mobilisations de septembre dernier, se faisaient rares dans les rues. Seuls les moines ont apporté une aide réelle.

Sous la pression internationale, la junte a fait appel à l’aide humanitaire mais, dans les faits, elle freine la délivrance de visas, prétendant prendre en charge seule l’acheminement de l’aide aux victimes. La Birmanie étant dépourvue de médias indépendants et d’un quelconque milieu associatif autonome, il est fort probable qu’une partie du matériel et de la nourriture sera détournée par les voyous qui administrent l’État.

Les victimes font face à la faim comme aux maladies et elles sont réduites à boire l’eau des rivières polluées par les milliers de corps qui y flottent. Le choléra est apparu et on signale des cas de diarrhées et de dysenteries. Une recrudescence de la malaria menace, ainsi que des nombreuses maladies qui font leur nid dans ce pays où le régime consacre moins de 3 % du budget de l’État à la santé (contre 49 % à l’armée).

Régime paranoïaque

Le refus de l’aide humanitaire internationale tient principalement à la situation politique interne. Ce régime xénophobe, qui ne cherche qu’à se perpétrer, vit dans la peur permanente d’un nouveau soulèvement populaire ou d’une invasion militaire américaine. Mais, surtout, la junte ne voulait pas voir débarquer des milliers d’étrangers à l’approche du 10 mai, date prévue du référendum sur une nouvelle Constitution. C’est le changement politique le plus significatif organisé par la junte depuis les élections de 1990. Malgré la situation, le gouvernement a refusé de reporter la date du référendum, sauf dans les régions les plus touchées par le cyclone. Il a tout fait pour assurer la victoire massive du « oui » : arrestations de militants, persécutions, amendes, emprisonnements, menaces de révocation des fonctionnaires ou de confiscation de terres, de fermetures de magasins, de renvoi des étudiants en cas de vote « non ».

Cette nouvelle Constitution a pour but d’asseoir le pouvoir des militaires en légitimant leur participation aux affaires de l’État. 25 % des sièges des deux Chambres leur sont attribués, directement cooptés par le commandement en chef de l’armée birmane, la Tatmadaw. Pour pouvoir modifier la Constitution il faudra le soutien d’au moins 20 % des membres du Parlement. Autant dire, qu’avec 25 % de militaires désignés dans les deux Chambres, la junte se garantit une stabilité, au moins au niveau parlementaire.

Le comportement de la junte ne doit pas faire oublier celui des classes moyennes et des milieux d’affaires birmans, les principaux soutiens de l’opposition pro-occidentale, dont Aung San Suu Kyi est l’icône. Leur réponse à la crise a montré qu’ils ne sont pas en mesure de prendre en charge les commandes du pays. Après le passage du cyclone, les petites et moyennes entreprises ont augmenté les prix des biens de première nécessité, de 200 à 400 %, alors que la grande majorité des habitants vit avec moins d’un dollar par jour.

Les puissances occidentales ont exploité la situation créée par le passage du cyclone pour faire avancer leur propre plan, à savoir l’ouverture sans restriction de la Birmanie aux investisseurs occidentaux. Elles cherchent à contrer l’influence de la Chine, qui utilise les routes et les ports birmans pour désenclaver ses régions occidentales sous-développées. Ainsi, le ministre des Affaires étrangères français, Bernard Kouchner, a suggéré, dès le 6 mai, que les puissances occidentales fassent valoir « le droit d’ingérence humanitaire » et déploient des aides militaires et civiles sans le consentement du gouvernement birman.

La très grande médiatisation de la catastrophe et de la folie du gouvernement birman est utilisée par l’administration américaine pour aligner les associations humanitaires et les journalistes derrière sa politique agressive de changement de régime. Un petit nombre d’organisations internationales de solidarité tente d’aller à contre-courant de cette déprimante situation, toutes n’ayant pas succombé à l’offensive idéologique américaine et à ses largesses.

Dans les prochaines semaines, nous allons malheureusement être les témoins de la lutte pour la survie de centaines de milliers de Birmans laissés sans abri par le cyclone Nargis, mais aussi de millions de gens lentement affamés par la conjonction de l’incompétence du régime, de la politique agressive américaine, et de la voracité des profiteurs locaux.

Mais cette période pourrait bien aussi voir se redessiner les contours politiques de la Birmanie et, peut-être, s’effondrer ce monstrueux régime vieux de 45 ans.

JOHNSON Marc, SABAI Danielle

* Paru dans Rouge n° 2252, 15/05/2008.